L’horloge biologique permettrait de lutter contre le diabète

Dernière mise à jour 22/04/21 | Article
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Une équipe genevoise de chercheurs étudie le processus de régénération des cellules productrices d’insuline pour combattre le diabète de type 1.

Nos cellules n’ont pas toutes la même aptitude à se régénérer. L’opération en question consiste à enclencher un habile processus de multiplication permettant de compenser pertes ou lésions. Si la manœuvre est aisée pour les cellules de la peau par exemple, elle l’est beaucoup moins pour nos neurones ou pour les cellules bêta du pancréas, productrices naturelles de notre insuline. Ces dernières sont pourtant au cœur d’une vaste recherche menée par des scientifiques de l’Université de Genève (UNIGE) et des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), portant précisément sur les processus de régénération. La raison de telles investigations? Ces cellules, produites au sein des îlots de Langerhans du pancréas, sont les cibles du diabète de type 1. Maladie auto-immune, il sévit en les détruisant irrémédiablement. Pour rappel, l’insuline est l’hormone régulant le taux de glucose (sucre) dans le sang. Sécrétée au moment des repas, elle permet de stocker le glucose en excès dans les muscles, le foie et les tissus adipeux. Ce phénomène étant vital, nous ne pouvons pas nous passer d’insuline.

Le pari des chercheurs? Miser sur les processus de régénération naturelle pour permettre aux cellules bêta restantes de compenser les pertes induites par la maladie. Leur piste? Optimiser l’efficacité des horloges circadiennes (sur 24 heures) en action au sein du pancréas. Leurs derniers travaux ont fait l’objet d’une publication dans la revue Genes and Development*.

Projet multidisciplinaire

«Par le passé, nous avions travaillé sur le rôle majeur des rythmes circadiens dans la survenue du diabète. Beaucoup reste à découvrir, mais il apparaît clairement qu’un rapport de cause à effet existe entre le dérèglement de ces rythmes et l’apparition de la pathologie, relate la Pre Charna Dibner, responsable du Laboratoire d’endocrinologie circadienne de l’UNIGE et des HUG et responsable de cette récente étude. Cette fois, nous avons focalisé notre attention sur un lien plus subtil: celui existant entre ces rythmes biologiques et les processus de régénération des cellules productrices d’insuline. Cette capacité, existant bien chez les rongeurs, est modeste chez les humains, mais elle pourrait être précieuse pour traiter le diabète, en particulier celui de type 1». C’est ainsi un projet multidisciplinaire et international qui s’est amorcé, impliquant non seulement l’équipe de la Pre Dibner, mais également celle du Pr Bart Vandereycken (Section de mathématiques, UNIGE), le Pr Yuval Dor (Jérusalem, Israël) et la Pre Simona Chera (Bergen, Norvège).

Dans le détail, l’étude a comparé deux groupes de rongeurs chez qui 80% des cellules pancréatiques bêta avaient été supprimées. «Notre objectif était d’observer le comportement des 20% de cellules restantes, explique la chercheuse. Le paramètre distinguant les deux groupes: le premier était génétiquement modifié pour ne plus avoir de rythme circadien – nous avons pour cela agit sur un gène clé nommé BMAL1. Le second groupe disposait d’horloges circadiennes parfaitement fonctionnelles.» 

Et les résultats ont été sans appel: les souris du premier groupe, incapables de compenser les pertes cellulaires, ont souffert d’un diabète sévère. Les autres, en revanche, ont montré une réelle capacité de régénération de leurs cellules bêta. Leur diabète s’est même atténué en quelques semaines. Au fil de l’enquête, l’étau s’est resserré sur le gène qui a rendu cette expérience possible, BMAL1. Celui-ci commande la synthèse de la protéine du même nom, connue pour être impliquée dans le fonctionnement des horloges circadiennes et qui semble indispensable à la régénération des cellules bêta…

Prendre soin de nos horloges biologiques

Qu’en déduire? «Nos recherches se poursuivent, avec deux questions en ligne de mire, explique le Dr Volodymyr Petrenko, maître-assistant au Centre facultaire du diabète de l’UNIGE et premier auteur de l’étude. Comment stimuler les horloges biologiques quand celles-ci sont défaillantes, dans nos recherches, chez la souris? Et que sera-t-il possible de faire chez l’être humain si de telles anomalies sont détectées?» Les outils à disposition pour cela? «Bien sûr, il y a la piste génétique, poursuit la Pre Dibner. Ce gène BMAL1 est sans doute central, mais il n’est pas le seul. Il appartient à un groupe que l’on appelle les clock genes (ou “gènes horloges“).» Mais un autre volet, moins technique mais sans doute déterminant, entre en jeu: le mode de vie. Il est en effet probable que nous ayons nous-mêmes la capacité de resynchroniser nos horloges biologiques, de restaurer les rythmes à l’œuvre au sein de nos cellules et organes, et de tordre ainsi le coup à certaines pathologies. «Les recherches innombrables en chronobiologie prouvent que la piste est sérieuse, estime le Dr François Jornayvaz, responsable de l'Unité de diabétologie au Service d'endocrinologie, diabétologie, nutrition et éducation thérapeutique du patient des HUG. Et certaines observations sont évidentes: on constate par exemple que le travail de nuit multiplie les risques de développer des maladies métaboliques comme le diabète, l’obésité ou encore l’hypertension artérielle. L’explosion de ces pathologies ne s’explique pas uniquement par notre alimentation, que l’on sait généralement trop grasse, sucrée, abondante, mais bien, pour une large part, par nos rythmes de vies.»

Une évidence pour Charna Dibner: «Nos organismes sont réglés sur un rythme de 24 heures, avec une alternance jour/nuit. Cette adaptation est profondément ancrée en nous puisqu’elle est directement liée à la rotation de la Terre sur son axe. Guidés par une structure cérébrale faisant figure d’horloge centrale – l’hypothalamus – mais également par des horloges périphériques œuvrant au sein de chacun de nos organes et cellules, ces rythmes sont “resynchronisés“ en permanence.» Parmi les paramètres en jeu: l’exposition à la lumière, l’alimentation, la vie sociale, etc. Autant de facteurs susceptibles de garantir des rythmes optimaux… ou de les dérégler. Et certains ennemis sont bien identifiés, comme l’usage excessif des écrans la nuit, des horaires de sommeil ou d’alimentation irréguliers. Et la chercheuse de conclure: «Les recherches en chronobiologie se poursuivent et s’annoncent passionnantes, mais il est déjà possible pour chacun de nous de prendre soin de nos horloges biologiques en repensant nos quotidiens et en étant mieux à l’écoute de nos propres besoins… »

Diabète de type 2: autres causes, autres clés

Si le diabète de type 1 (10% des cas de diabète) résulte d’une destruction massive des cellules productrices d’insuline ­­– les cellules bêta du pancréas –, celles-ci sont généralement parfaitement fonctionnelles en cas de diabète de type 2 (90% des cas de diabète), au début de la maladie en tout cas. Le problème est alors plutôt d’ordre «mécanique». En clair, l’insuline est bien produite, joue son rôle en transportant le glucose (sucre) en excès dans le sang vers les lieux de stockage – foie, muscles, tissus adipeux –, mais ces portes restent closes. On parle de résistance à l’insuline. Le glucose demeure alors régulièrement en excès dans le sang et le diabète s’installe. À l’origine du problème, le plus souvent, deux facteurs: la sédentarité et le surpoids. «Les causes sont aussi les pistes de solutions», rappelle le Dr François Jornayvaz, responsable de l'Unité de diabétologie au Service d'endocrinologie, diabétologie, nutrition et éducation thérapeutique du patient des HUG. Et de rappeler les leviers d’action, efficaces tant à titre préventif que pour freiner la pathologie: «L’activité physique est cruciale, on ne le répétera jamais assez. L’idéal est de miser sur un minimum de 2,5 heures d’activité modérée, réparties sur la semaine. Et une alimentation saine, limitant les excès en graisses saturées (fritures, sauces, etc.), en sucres rapides (sucreries, sodas, pâtisseries, etc.) et en hydrates de carbone (pain, pâtes, etc., surtout s’ils sont raffinés (“blancs“) et non complets). Des conseils basiques, mais dont l’efficacité peut s’avérer spectaculaire au fil du temps.»

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* Petrenko V. The core clock transcription factor BMAL1 drives circadian β-cell proliferation during compensatory regeneration of the endocrine pancreas. Genes Dev 2020;1;34(23-24):1650-1665. Doi: 10.1101/gad.343137.120.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 18/04/2021.

  

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