Obésité: quand la nourriture devient une drogue

Dernière mise à jour 27/05/24 | Article
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Chez certaines personnes, manger peut se transformer en addiction avec, comme conséquence, le surpoids ou l’obésité et leurs complications. Un problème dont l’origine est en partie biologique, mais qui a aussi d’autres composantes.

Diabète, maladies cardiovasculaires, cancers… Les conséquences de l’obésité sur la santé sont lourdes, suffisamment pour inquiéter la communauté scientifique internationale qui, face aux chiffres en augmentation, parle d’épidémie. Depuis 1990, le nombre d’adultes obèses dans le monde a doublé; en Suisse, 42% des adultes sont en surpoids, 12% sont obèses.

Un problème de santé publique

La prévention et le traitement de l’obésité sont donc devenus une priorité de santé publique, mais également un domaine clé de recherche. Car pour soigner, il faut comprendre l’origine du problème. Dans le cas de l’obésité, elle se trouve avant tout dans notre alimentation, avec une cause principale: le fait de manger trop, sans faim. Un comportement qui s’apparente à une conduite addictive. «L’obésité vient le plus souvent d’une surconsommation de nourriture et non pas d’un défaut de dépense d’énergie. Certaines nourritures peuvent avoir le même effet addictif sur le cerveau que l’héroïne, ou presque», affirme le Pr Christian Lüscher, chercheur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Alors pourquoi mangeons-nous trop? Une partie de l’explication est biologique et permet de comprendre comment la nourriture peut parfois devenir une drogue.

Gras et sucré

Lorsque nous mangeons, deux systèmes interviennent dans le cerveau. Le système homéostatique contrôle ce que nous consommons par rapport à notre besoin énergétique, il nous fait manger lorsque nous avons faim et arrêter lorsque la satiété arrive. Le système hédonique, quant à lui, nous fait manger ce qui nous tente, même lorsque nous n’avons pas faim et qu’il n’y a pas de besoin énergétique. Ce système, au cœur de l’addiction alimentaire, est plus sensible aux aliments gras et sucrés, qui libèrent de la dopamine dans le cerveau (neurotransmetteur du plaisir), activant le circuit de la récompense… qui nous fera recommencer, favorisant ainsi l’addiction (lire encadré).

Or depuis quelques décennies, les aliments gras et sucrés ont déferlé dans nos habitudes alimentaires (lire encadré). «Les aliments de densité calorique élevée mélangeant sucres et lipides sont omniprésents et à un prix abordable. Nous pensons que c’est ce qui est à l’origine de l’épidémie. D’ailleurs, les États-Unis, la Turquie, la Jordanie et l’Arabie saoudite, pays où l’obésité est la plus prévalente, sont aussi ceux où ces aliments se sont généralisés», analyse le Pr Lüscher. 

Il est difficile d’évaluer combien de personnes sont concernées par l’addiction alimentaire. Comme pour les drogues, seule une minorité de personnes exposées à la substance (ici, la nourriture) devient accro. «Pour la cocaïne, c'est 20% des consommateurs, pour l’héroïne, 30%. Mais avec l’alimentation, étant donné que tout le monde doit manger, même une minorité représente déjà beaucoup de monde», note le chercheur. Une méta-analyse publiée en 2022 évalue la population adulte concernée par l’addiction alimentaire à 20%.

Qu’est-ce que le circuit de la récompense?

Lorsque nous consommons certaines substances pour la première fois (par exemple des drogues ou du sucre), des cellules de notre cerveau s’activent et libèrent de la dopamine, le neurotransmetteur du plaisir. Notre cerveau enregistre cette réaction comme une récompense et apprend que cette substance procure du plaisir. «La finalité du système, c’est qu’il renforce le comportement, parce que la dopamine induit un apprentissage. Lorsque le circuit est activé de manière importante, comme avec l’héroïne, le signal d’apprentissage est tellement fort que les décisions pour obtenir la drogue seront préférées à toute alternative. C’est cela qui crée l’addiction», explique le Pr Christian Lüscher, chercheur au Département des neurosciences fondamentales de la Faculté de médecine de l’Université de Genève. À noter que si tout le monde est sensible au circuit de la récompense, d’autres éléments interviennent dans le développement de l’addiction, comme l’environnement, la personnalité ou le vécu de chaque personne.

La piste génétique

Alors comment traiter la maladie? Face à une addiction, les régimes ne fonctionnent pas, ou pas à long terme. Même problème pour l’approche psychothérapeutique, qui se heurte à un écueil de taille, selon le Pr Lüscher: «C’est un vrai défi parce que, contrairement à une autre substance addictive, il n’est pas possible de ne pas manger, l’exposition à la substance est donc constante.» Reste la chirurgie bariatrique, efficace mais invasive, avec un grand risque d’effets secondaires.

Mais des recherches en génétique ont permis de développer de nouvelles pistes. Certains enfants naissent en effet avec une déficience en leptine (une hormone de satiété sécrétée par du tissu adipeux) qui les fait manger quatre à cinq fois plus que les autres enfants du même âge, causant une obésité sévère. Chez ces jeunes patients, un traitement à base de leptine permet une perte de poids rapide, puis sa stabilisation. «C’est un défaut génétique très rare et ce traitement reste inefficace pour la plupart des personnes obèses non déficientes en leptine. Mais cela nous instruit sur le fonctionnement du système homéostatique et nous permet d’avancer dans la recherche», se réjouit la Pre Valérie Schwitzgebel, médecin adjointe responsable de l’Unité d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Médicament miracle

Issu notamment de ces recherches en génétique, un nouveau traitement particulièrement efficace a vu le jour. Médicament antidiabétique appelé «analogue du GLP1», il agit au niveau de l’hypothalamus, la région du cerveau qui gère la satiété. Sous son action, celle-ci augmente, la digestion ralentit et l’envie de manger diminue, pour un effet spectaculaire. «C’est le premier traitement qui fonctionne et qui met tout le monde d’accord. Il permet une perte de poids jusqu’à 20%», estime le Pr Lüscher.

Seul problème, et pas des moindres: la prise de poids recommence aussitôt que le traitement est stoppé, induisant une médication à vie ou du moins tant qu’aucune autre solution n’existe pour maintenir la perte de poids. Un bémol qui n’en est pas forcément un pour les laboratoires qui le produisent, puisqu’à peine mis sur le marché, le médicament était déjà en rupture de stock. 

Une question (aussi) politique

L’augmentation rapide du surpoids et de l'obésité force à s’interroger sur les racines de cette épidémie et sur sa dimension sociétale. Bien loin de culpabiliser les personnes obèses pour leur façon de s’alimenter, la Pre Valérie Schwitzgebel, médecin adjointe responsable de l’Unité d’endocrinologie et de diabétologie pédiatrique des HUG, rappelle que c’est la société tout entière qui pousse à la consommation de sucre et de gras. «En Suisse, nous consommons 107 g de sucres ajoutés par jour, au lieu des 50 g recommandés par l’Organisation mondiale de la santé. L’industrie joue un rôle car elle n’étiquette pas clairement les sucres ajoutés. Il faut travailler sur l’environnement pour le rendre moins obésogène, c’est une question politique.»

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Bon à savoir: pour sensibiliser la population à la consommation de sucres ajoutés, l’association diabètevaud organise pour la deuxième fois l’opération « MAYbe less sugar » pendant tout le mois de mai. Plus d’infos : www.maybeless-sugar.ch

Paru dans Le Matin Dimanche le 26/05/2024

 

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