Nous avons testé la nutrition connectée

Dernière mise à jour 27/05/19 | Article
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Même si nous mangions tous les mêmes plats, l’évolution du sucre dans notre sang ne se ressemblerait pas. Au moyen d’une étude faisant participer des citoyens, une équipe de l’EPFL se penche sur les facteurs individuels qui influencent la glycémie. Récit.

C’est avec une piqûre que commence ce lundi matin. Vaccin ou prise de sang? Ni l’un ni l’autre. Plutôt un petit disque rond muni d’une aiguille que nous nous implantons dans le bras. Il s’agit d’un capteur de glycémie (concentration de glucose dans le sang). Il fait de nous des cobayes, volontaires bien sûr, pour l’étude Food & You du laboratoire d’épidémiologie digitale de l’École polytechnique fédérale de Lausanne(EPFL). Nous sommes trois membres de la rédaction de Planète Santé à contribuer à cette recherche participative: Aude, qui ne prend pas un gramme peu importe la nourriture ingurgitée; Amélie, sportive et adepte du grignotage; et Anouk, légèrement obsédée par la mouvance bio-végétarienne. Des profils distincts malgré un âge similaire.

Et ce sont justement les divergences qui intéressent les chercheurs: leur projet vise notamment à en apprendre plus sur les différences de réactions glycémiques entre les individus. Des nouvelles connaissances qui permettraient de proposer une nutrition plus personnalisée. «Si nous réagissons tous différemment aux aliments, les recommandations universelles peuvent être complétées par des conseils individuels, estime Chloé Allémann, ingénieure au laboratoire d’épidémiologie digitale de l’EPFL et responsable du projet Food & You. Nous pouvons espérer que les personnes suivent davantage des recommandations qui leur sont propres.» Afin de personnaliser les conseils nutritifs, il faut comprendre l’impact précis du mode de vie et de la génétique sur la réponse glycémique.

Autosurveillance

L’hypoglycémie, une légende urbaine?

Bip bip! Le lecteur de glycémie sonne pour annoncer des valeurs basses. Sur l’écran, la courbe descendante prend une couleur rouge: on approche de l’hypoglycémie. Pour une personne atteinte du diabète, ces alertes indiquent que des mesures doivent immédiatement être prises. Mais pour un sujet sain, une réelle hypoglycémie (au-dessous de 2,8 mmol/l) est rare. Le malaise qu’on lui associe relève souvent davantage d’un malaise vagal. Quand le taux de glucose dans le sang est bas, le corps produit l’hormone inverse de l’insuline, le glucagon. Celui-ci stimule alors le foie pour libérer les molécules de glucose qu’il contient. Cela permet à notre corps de garder le niveau de glucose dans le sang nécessaire entre deux repas.

Une fois le capteur posé, c’est le début de deux semaines de relevés en tout genre. Repas, sport, sommeil, tout est enregistré! Premier élément analysé, l’activité physique. Lundi soir, Amélie constate avec surprise que le début de sa session de crossfit est accompagné d’une montée de glycémie. Pourquoi cette augmentation alors qu’elle n’a rien mangé? «Un effort intense engendre un pic des hormones du stress, qui sollicitent les sucres contenus dans le foie et les muscles pour procurer de l’énergie au corps, explique le Dr Tinh-Hai Collet, médecin chef de clinique au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). À l’inverse, durant un sport d’endurance d’intensité modérée, on observe une glycémie relativement stable.» Sur le long terme, les personnes plus actives assimilent plus facilement le glucose issu de l’alimentation et sont ainsi mieux protégées contre le risque de diabète.

Grasses matinées ou courtes nuits, le sommeil influence également la glycémie. Lorsqu’on est en restriction de sommeil, le métabolisme du sucre est moins efficace. Autrement dit, davantage d’insuline est nécessaire pour assimiler le glucose issu de l’alimentation. Un phénomène favorable à l’apparition du diabète. Pas de risque pour Aude avec son sommeil réglé comme une horloge, mais il en est tout autre pour l’oiseau de nuit qu’est Anouk. Elle s’expose ainsi à un autre inconvénient d’un sommeil court: la tendance à grignoter pendant la nuit. «Le corps assimile moins bien les glucides durant la nuit, explique le Pr Jacques Philippe, médecin responsable de l’Unité d’endocrinologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). L’insuline est moins efficace que pendant le jour. Il est donc important de respecter son rythme biologique et de limiter l’alimentation à la journée.» Aux oubliettes le fameux plat de pâtes en rentrant de soirée!

Au creux de nos intestins, le microbiote joue également son rôle dans la réponse glycémique. Ces milliards de microorganismes, propres à chaque personne, influencent en particulier la sensibilité à l’insuline. Selon les bactéries présentes dans l’intestin, l’assimilation du glucose sanguin par les cellules du corps est facilitée ou diminuée. Pour mieux comprendre le rôle des bactéries impliquées, Food & You nous demande de prélever un échantillon de selles et de l’envoyer… par la Poste! Difficile de se sentir à l’aise lorsqu’on glisse ce colis piégé dans la boîte aux lettres.

Menu photographique

Les facteurs influençant la réponse de notre corps face aux aliments sont donc nombreux. Mais c’est bien par le biais de la nourriture que nous parvient le glucose nécessaire au fonctionnement de nos muscles et de notre cerveau. C’est pourquoi l’étude exige une traçabilité des aliments consommés. Nous prenons donc en photo tout ce que nous ingérons. Salade, verre d’eau, petit grignotage ou verre de vin, tout y passe! Résultat: nous sommes sans cesse confrontées à ce que l’on mange et boit. «C’est un bon moyen de se rendre compte de ses habitudes alimentaires et de les améliorer», sourit Chloé Allémann. Une habitude difficile à prendre et pas toujours facile à assumer en société. En sortant sans cesse notre smartphone, nous nous justifions en expliquant à nos amis que non, nous n’avons pas ouvert de compte Instagram dédié à la nourriture…

En scannant le capteur implanté au début de l’expérience grâce à une application mobile, on comprend bien vite l’impact de nos repas. Si le graphique reste linéaire face à une platée de légumes, la courbe de glycémie s’envole après un dessert sucré. Mais pas uniquement, comme a pu le constater Aude, catastrophée de voir sa glycémie monter en flèche après une tranche de pain blanc. Cet aliment possède en effet un indice glycémique élevé: les glucides qui le composent sont facilement digérés et transformés en glucose. Dans l’idéal, il est préférable de manger des aliments à faible indice glycémique, comme les fruits (mais pas en jus!), les légumes ou le pain complet. Ils engendrent moins de risque de surpoids ou de diabète et entraînent une satiété à plus long terme.

Quels résultats?

A la fin de l’expérience, nous devrons attendre plusieurs mois avant de recevoir nos résultats personnalisés. Malgré notre impatience, pas question de nous autodiagnostiquer face aux pics de glycémie. «L’alimentation est un phénomène complexe, avertit le Pr Philippe. La glycémie n’est qu’un facteur parmi d’autres. Il ne faut pas en faire une obsession! Le risque, c’est d’en arriver par exemple à ne plus manger de carottes simplement parce qu’on observe qu’elles augmentent le taux de glucose. Or, le secret d’une alimentation équilibrée, c’est justement une consommation variée de légumes et d’aliments bruts.» En attendant les conseils sur mesure, ce n’est pas sans soulagement que nous avons retiré le capteur de notre bras, retrouvant le plaisir de pouvoir manger… déconnectées.

Graphiques de glycémie: ce qu’on y lit

L’effet chameau

Aller au travail à vélo, c’est la routine d’Anouk. Sur le graphique, sa courbe de glycémie prend souvent la forme de deux bosses. Une configuration qui s’expliquerait par la combinaison de deux facteurs: «Le sport coupe la montée glycémique engendrée par le petit-déjeuner, en utilisant les glucides comme moteur de l’activité physique, suppose le Dr Tinh-Hai Collet, médecin chef de clinique au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV. Lorsqu’on arrête l’exercice, la digestion reprend et la glycémie augmente à nouveau.»

Vaguelettes nocturnes

Quand Amélie nous montre des fluctuations de sa courbe durant sa nuit, difficile de retenir des plaisanteries sur le grignotage nocturne. Et pourtant… la glycémie peut varier pendant notre sommeil. Si le repas consommé avant d’aller se coucher est riche, l’assimilation du glucose sera plus lente qu’avec un repas léger. Les petites fluctuations de la glycémie peuvent donc être liées au processus de digestion. Autre hypothèse: les cauchemars déclencheraient un pic d’hormones du stress qui ferait monter la glycémie.

Différences individuelles

Afin de pouvoir comparer nos réactions glycémiques, les trois cobayes que nous sommes avons consommé exactement la même chose pendant une journée. Sur nos graphiques, les pics coïncident mais ne se ressemblent pas. Alors que chez Amélie et Anouk, on observe de petites variations liées à la prise de nourriture, les pics atteignent des hauteurs impressionnantes chez Aude. «L’importance des pics varie selon les métabolismes, rassure Chloé Allémann. Tant que la glycémie redescend après le pic, il n’y a pas de raison de s’inquiéter.»

Légumes et pic de glycémie?

D’après Chloé Allémann, certains participants ont observé une augmentation de leur glycémie après un repas composé uniquement de légumes verts. Erreur du capteur ou dessert pris en cachette? Rien de tout cela. Ils ont découvert par la suite que les légumes de leur cafétéria avaient été cuisinés… avec du sucre!

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Paru dans Le Matin Dimanche le 28/04/2019.

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