Cannabis: ce qu’il faut savoir si vous pensez en consommer (ou arrêter)

Dernière mise à jour 23/06/14 | Article
Cannabis: ce qu’il faut savoir si vous pensez en consommer (ou arrêter)
Quand l'actualité médicale est victime des journalistes, il est parfois difficile de démêler le vrai du faux.

Une étude récemment publiée dans le Journal of Neuroscience établit un lien entre l'usage récréatif du cannabis et des modifications subtiles dans la structure du cerveau. L'équipe de chercheurs –encadrés par Jodi Gilman, du Massachusetts General Hospital– a observé une augmentation de la densité de la matière grise dans le noyau accumbens gauche ainsi que dans certaines régions avoisinantes. L'étude était intéressante, mais la couverture médiatique fut en-dessous de tout. Les journalistes ont exagéré la portée des conclusions, ont livré une mauvaise interprétation de l'étude, et n'ont pas fait mention des précédentes études consacrées à la santé et au cannabis.

Contrairement à ce que l'on peut penser, la mémoire des poissons rouges dépasse les trois secondes– mais certains chroniqueurs scientifiques n'ont visiblement pas cette chance. Lorsqu'une nouvelle étude paraît, elle est souvent traitée comme le premier et le dernier texte consacré au sujet. Les travaux portant sur les effets neurologiques et –plus généralement– physiologiques de la marijuana sont nombreux; mentionner une nouvelle étude sans y faire référence constitue à mes yeux une faute journalistique.

La Society for Neuroscience a souligné l'importance de l'étude de Jodi Gilman dans un communiqué de presse: la plupart des études sur le cannabis s'intéressent aux fumeurs réguliers, mais la chercheuse aurait choisi d'étudier des consommateurs occasionnels. C’est là une déclaration pour le moins douteuse. La moyenne de consommation hebdomadaire des participants était de 11,2 joints, 3,83 fois par semaine.

Parler de «fumeurs occasionnels» était certes un excellent moyen d'attirer l'attention des médias, mais cela n'avait aucun sens. Des consommateurs du dimanche se sont demandés s'ils avaient eux aussi endommagé leurs cerveaux à tout jamais; des parents d'adolescents se sont demandés si leurs enfants s'exposaient à des modifications neurologiques d'importance en fumant de temps en temps. Or, en lisant l'étude en question, un journaliste digne de ce nom aurait dû comprendre qu'il ne fallait pas mordre à cet hameçon.

L'appellation «fumeurs occasionnels» est ici clairement exagérée, même lorsqu'on la compare à la classification employée dans les précédents travaux traitant de la question. Prenons un exemple récent: il y a deux ans, Janna Cousijn et ses collègues ont publié une étude menée auprès de «grands consommateurs» de cannabis. Ces derniers fumaient trois grammes d'herbe par semaine en moyenne –soit deux de moins que les «fumeurs occasionnels» de Jodi Gilman (un joint contient environ 0,5 gramme de cannabis). Gilman justifie cette appellation en expliquant que ses sujets ne pouvaient pas être considérés comme dépendants; mais lorsque l’on compte le nombre de joints, on se rend compte que son étude n'a plus grand-chose de révolutionnaire.

De nombreux articles ont affirmé que l'étude du Journal of Neuroscience établissait un lien de causalité directe entre la consommation de cannabis et des anomalies neurologiques. C'est faux. L'étude a analysé les différences entre les fumeurs et les non-fumeurs à un moment donné. Seule une étude longitudinale examinant les modifications du cerveau aurait pu établir un lien de causalité. Il est possible que des différences neurologiques préexistantes poussent certaines personnes à consommer du cannabis, comme l'a fait remarquer un lecteur du Journal of Neuroscience dans un courrier. Les consommateurs de cannabis de Jodi Gilman buvaient plus d'alcool et fumaient plus de cigarettes de tabac que les membres du groupe contrôle, ce qui va dans le sens de cette interprétation –et permet d'imaginer que les différences neurologiques ont été provoquées par d'autres facteurs.

Le plus gros problème de la couverture médiatique de cette étude? C’est qu’elle n'est pas parvenue à replacer ce travail dans son contexte. Valentina Lorenzetti, de l'Université de Melbourne, a récemment publié un document synthétisant les dizaines d'études consacrées au cannabis et au cerveau. En étudiant l'ensemble des travaux concernés, on trouve des éléments qui indiquent que la consommation de cannabis provoque des modifications structurelles dans trois régions du cerveau: le lobe frontal, le lobe temporal et le cervelet. Par ailleurs, les données renforcent l'idée selon laquelle les grands fumeurs à long terme subissent des modifications plus prononcées que les consommateurs occasionnels. En revanche, ces études présentent plusieurs défauts. Elles étaient d'envergure modeste et ne sont pas parvenues à prouver que les modifications structurelles provoquent des troubles cognitifs. L'étude de Jodi Gilman –menée auprès de vingt fumeurs– est une contribution de qualité, mais elle ne résout pas ces problèmes.

Que faut-il réellement savoir?

Si vous comptez vous mettre au cannabis (ou arrêter d'en fumer), vous devez savoir plusieurs choses. Le fait de fumer du cannabis une seule fois comporte très peu de risques. Il faut au moins quinze grammes de cannabis pour tuer quelqu'un –et probablement beaucoup plus que cela. Une personne en bonne santé devrait fumer des dizaines de joints d'affilée pour s'exposer à une overdose mortelle. Les victimes de l'excès de marijuana perdent la vie dans des accidents de la circulation: une récente étude montre ainsi que plus de 10% des personnes retrouvées mortes derrière le volant conduisaient sous l'emprise du cannabis.

En essayant le cannabis, vous vous exposez avant tout au risque de la dépendance. Le caractère addictif de la marijuana est encore sujet à débats –ils portent avant tout sur des questions de sémantique, et ils sont donc sans grand intérêt pour la plupart d'entre nous. Sachez seulement que 9% des personnes qui commencent à fumer du cannabis finissent par devenir dépendantes, selon les critères médicaux traditionnels. C'est peu par rapport aux autres drogues: plus de 15% des buveurs d'alcool deviennent alcooliques; la cigarette rend dépendantes 32% des personnes qui l'essayent. Il n’en reste pas moins vrai qu’un fumeur de cannabis sur onze tombe tout de même dans l'addiction. Il est bon d'y songer avant de commencer, surtout si la toxicomanie fait partie de vos antécédents familiaux.

A quel type de risques les fumeurs réguliers s'exposent-ils? Il est particulièrement difficile d'étudier les effets à long terme du cannabis sur l'être humain. Légalement parlant, il est impossible de demander à mille personnes de fumer trois joints par semaine pendant quarante ans dans le seul but d'observer le résultat.Les chercheurs doivent se contenter de comparer les données médicales d'un groupe de consommateurs auto-déclarés à celles d'un ensemble de non-fumeurs auto-déclarés.

Les études de ce type (à la fois corrélationnelles et rétrospectives) s'exposent à de nombreux problèmes. Il est par exemple difficile d'accorder les deux groupes en écartant les variables parasites (Fument-ils aussi du tabac? Le cancer fait-il partie de leurs antécédents familiaux? Que mangent-ils? Pratiquent-ils une activité physique?). Par ailleurs, même si l'on part du principe que chaque participant dit la vérité, le volume de consommation de chacun des participants fumeurs varie forcément. La plupart des études laissent penser que les risques de santé potentiels liés au cannabis dépendent de la consommation (risques moindres en cas de faible consommation, plus élevés chez les grands fumeurs) mais à ce stade, cela n'est pour l'essentiel que conjecture.

Voilà pour les avertissements. Passons aux résultats. Les études en question montrent systématiquement que la consommation de cannabis est liée à une forme de problème respiratoire. Les fumeurs évoquent des quintes de toux, une respiration sifflante et des glaires. La question du cancer des poumons est plus difficile à trancher. La fumée du cannabis contient une plus grande concentration de certaines substances cancérigènes que la fumée de tabac. Certaines études de grande envergure montrent que les consommateurs de cannabis sont plus touchés par les cancers de l'appareil respiratoire; d'autres n'ont établi aucune corrélation entre la marijuana et ces cancers.

L'utilisation récréative du cannabis a été légalisée dans plusieurs Etats américains. Depuis, de nombreuses personnes se demandent s'il est possible de minimiser les risques de cancer en ingérant le cannabis au lieu de le fumer. C'est une suggestion sensée. Pour l'heure, il est toutefois impossible de répondre à cette question. Les personnes qui consomment la marijuana sans la fumer –et qui le font depuis longtemps– sont encore trop rares; on ne peut donc leur consacrer une étude. L'ingestion de cannabis pourrait comporter des risques: il semble plus facile d'abuser d'un produit lorsqu'on le mange que lorsqu'on le fume.

Le Colorado est en train de réviser sa réglementation après plusieurs morts accidentelles survenues après l'ingestion de cannabis. Préparer des gâteaux à la marijuana peut s'avérer risqué s'il y a des enfants sous votre toit. Une étude de 2013 indique ainsi que de plus en plus d'enfants consomment des aliments contenant du cannabis de manière accidentelle dans cet état américain.

Les effets cognitifs de l'utilisation chronique de cannabis ne sont pas clairement définis. Si vous êtes adulte, et si vous en fumez de manière occasionnelle, rien ou presque n'indique que vos performances mentales en pâtiront. Selon plusieurs études, ceux qui font l'expérience de troubles pourraient recouvrer leurs capacités lorsqu'ils arrêtent de fumer. Les grands consommateurs qui fument depuis longtemps peuvent souffrir de troubles de la mémoire et de l'attention. Par ailleurs, certaines données indiquent que les grands fumeurs ont plus de risque de souffrir de schizophrénie. Mais si ce lien existe bel et bien, il est difficile de savoir si le cannabis est la cause ou l'effet. Pour les personnes souffrant de ce trouble, la consommation de marijuana n'est peut-être qu'une forme d'automédication.

Une chose est claire: les mineurs ne devraient pas consommer de cannabis. Même histoire pour le tabac et l'alcool. De nombreuses études montrent que les jeunes qui en fument obtiennent de mauvais résultats scolaires; certains travaux indiquent par ailleurs qu'ils sont plus vulnérables face au risque de suicide. Le lien de causalité n'est pas nettement établi, mais les risques sont trop grands.

Vous avez sans doute une multitude d’autres questions. Exemple: le cannabis est-il plus néfaste que le tabac et que l'alcool? Réponse: il est essentiellement impossible de faire ce type de comparaison. Il existe une montagne de données statistiques sur le tabac, et ces données établissent un lien direct entre la cigarette et une pléthore d'effets secondaires graves. Il est difficile de savoir s'il en va de même pour la marijuana, car les fumeurs sont moins nombreux, et ils fument généralement moins que les accrocs au tabac. Comparer l'alcool au cannabis –au-delà des études de toxicité et des effets sur la conduite– est tout aussi complexe.

Et si vous vous demandez encore s'il est préférable d'opter pour le cannabis, le tabac ou l'alcool, laissez-moi vous suggérer une solution des plus simples: trouvez doncun passe-temps moins dangereux pour votre santé.

Article original: http://www.slate.com/articles/health_and_science/medical_examiner/2014/05/marijuana_brain_studies_comparing_pot_with_alcohol_and_cigarettes_on_health.html

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