Alcool: des parents en dépendance

Dernière mise à jour 03/12/20 | Article
PS38B_alcool_parents_dépendance
En Suisse, environ 100 000 enfants vivent avec un parent dépendant à l’alcool. Addiction Suisse sensibilise sur un sujet encore tabou.

Honte, tristesse, colère, culpabilité, peur, impuissance, perte de confiance, etc. Les enfants dont le parent a un problème avec l’alcool sont souvent traversés par des sentiments contradictoires, difficiles à gérer. Ces situations, qui peuvent longtemps rester cachées, échappent aux statistiques. «Il n’est pas rare que les familles concernées évoluent en mode "camouflage", décrit Lucile Ducarroz, cheffe de projet prévention à Addiction Suisse. Les parents tentent de fonctionner, tandis que les enfants, par loyauté, font en sorte que tout aille bien à l’école, passant ainsi entre les mailles du filet.»

Addiction Suisse estime à environ 100 000 le nombres d’enfants vivant avec un parent ayant une relation problématique avec l’alcool. Du fait du tabou qui règne encore, ces enfants sont une population peu étudiée et donc pas forcément prise en charge. Or, l’impact sur leur équilibre n’est pas négligeable. Les données le montrent: le risque de souffrir de dépendance et de troubles psychiques (anxiété, dépression, difficultés d’attachement, etc.) est six fois plus élevé dans leur cas.

L’alcool devient un vrai problème lorsque le parent change de comportement envers son enfant. «C’est surtout l’inconsistance du parent qui est problématique, car elle est source d’insécurité pour l’enfant, qui ne sait jamais sur quel pied danser», explique Lucile Ducarroz. On imagine un enfant heureux d’annoncer à ses parents qu’il a fait une bonne note, mais se heurtant à des réactions excessives un jour et à une indifférence le lendemain. Un parent tantôt permissif, tantôt rigide, tantôt accueillant, tantôt repoussant. Une instabilité qui nuit à l’enfant, qui risque alors de développer un sentiment d’incompréhension et de culpabilité, d’autant plus si personne ne lui explique les effets de l’alcool. Face à un parent fragile, l’enfant est constamment sous stress. Ne pas savoir quelle sera l’ambiance à son retour à la maison le place dans un état de vigilance.

La parentification qui découle souvent de ces situations est également problématique, l’enfant étant amené à prendre le rôle du parent et à assurer les tâches qui incombent normalement à ce dernier (cuisine, courses, ménage, garde des frères et sœurs, etc.). Pour les plus petits, des questions de sécurité se posent, le parent, sous l’emprise de l’alcool, ne pouvant assumer son rôle protecteur.

Pour grandir sereinement dans ces conditions, l’enfant doit pouvoir compter sur un adulte de confiance ayant des attitudes cohérentes, pouvoir parler de ce qu’il vit à la maison, avoir ses propres activités en dehors du cadre familial et si possible des journées ritualisées. Les enfants ayant de bonnes ressources internes (bonne estime de soi, confiance en soi, capacité à gérer le stress) seront mieux armés. Enfin, des groupes de parole, des sites internet dédiés à cette problématique sont des soutiens précieux.

Le rôle de l’entourage

Que faire si l’on soupçonne, ou constate, une telle situation ? Pour Lucile Ducarroz, «il est important de réagir, même si on n’a pas vu directement le parent sous l’emprise de l’alcool, mais qu’on en a le soupçon. Fermer les yeux ou attendre un événement grave ne rendra pas service à l’enfant», souligne-t-elle. Bien sûr, les choses sont délicates, mais on a tous un devoir de protection. La réaction adéquate dépend de chaque situation et du lien à l’enfant. À l’école, les enseignants doivent s’interroger face à un élève fatigué, dont les résultats scolaires chutent ou en présence d’autres signes inquiétants. Lorsqu’on est un proche de l’enfant, on peut lui faire part des changements observés, de son inquiétude, et lui témoigner de notre présence et de notre soutien. En cas de doute sur sa sécurité ou de violence, les autorités de protection de l’enfance doivent être alertées. « Pour les professionnels, c’est une obligation légale », rappelle Lucile Ducarroz.

Avant d’aborder le parent, il est préférable de réfléchir à plusieurs et de voir qui est le plus à même de gagner sa confiance. L’idée étant dans un premier temps d’ouvrir le dialogue. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de pointer du doigt la consommation d’alcool. On s’abstiendra de tout jugement, en se limitant aux faits observés: «tu as l’air fatigué», «tu n’as pas l’air en forme ces derniers temps», par exemple. Solliciter des services d’aide (lire encadré) peut être utile pour bien s’outiller et agir avec tact. Les proches peuvent également aider en prenant parfois l’enfant pour qu’il ait des moments de pause et qu’il puisse vivre sa vie d’enfant.

Pour les parents concernés, il est vivement recommandé de demander de l’aide et de consulter un service spécialisé, la dépendance à l’alcool étant une vraie maladie dont on se sort rarement seul. Mais la crainte de se voir retirer la garde de l’enfant freine beaucoup d’entre eux. Or, affirme Lucile Ducarroz, «pour les autorités de protection de l’enfant, il s’agit surtout de voir comment la parentalité peut s’exercer, malgré la dépendance, et de montrer à ces parents qu’ils peuvent être de bons parents malgré tout».

A qui s’adresser?

Pour les enfants…

  • Addiction Suisse: www.mamanboit.ch ou www.papaboit.ch
  • Ciao: www.ciao.ch
  • 147: ligne téléphonique gratuite et ouverte 7/7
  • Alateen (groupes de parole): www.alanon.ch/jeunes

Pour les parents…

 __________

Paru dans Planète Santé magazine N° 38 – Octobre 2020

A LIRE AUSSI

Alcool

Les excès d’alcool provoquent des arythmies cardiaques

Même ponctuelle, l’alcoolisation massive est délétère pour le cœur. Elle expose des personnes jeunes...
Lire la suite
Drogues
interview_luscher_addiction

«L’addiction et la dépendance sont deux choses différentes»

Ces phénomènes n’affectent pas le cerveau de la même manière. Éclairages de Christian Lüscher, neuroscientifique...
Lire la suite
Alcool
Trouble du rythme cardiaque

Quand l’alcool fait que vous battez la chamade

C’est établi: une consommation de boissons alcooliques est susceptible de déclencher des palpitations...
Lire la suite
Articles sur le meme sujet
PS46_daeppen_addictions

«L’addiction est une maladie du désir»

Spécialiste de la prévention et du traitement des addictions, le Pr Jean-Bernard Daeppen est chef du Service de médecine des addictions au sein du Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Dans son livre La maladie du désir* (Éd. JC Lattès), il ouvre la porte de sa consultation pour aider les lectrices et les lecteurs à porter un regard différent sur cette maladie. À travers des récits sensibles, il invite les patients et leurs proches à ne jamais baisser les bras.
LMD_alcool_trop_combien

Alcool: trop, c'est combien?

Pour trinquer, célébrer, se détendre… l'alcool est invariablement au rendez-vous. Le problème, outre ses conséquences sur la santé, tient dans sa fâcheuse tendance à se rendre indispensable au fil du temps. Quelles sont les limites d'une consommation «normale»?
Illustré_dry_january_mettre

«Dry January» ou janvier sans alcool: pourquoi faut-il s’y mettre?

Pour la première fois, la Suisse soutient officiellement la campagne «Dry January» (lire encadré). Lancée en Grande-Bretagne en 2014, elle prône un mois d’abstinence d’alcool en janvier. Selon les experts, ce janvier sec permettrait de sensibiliser la population face à la banalisation de la consommation d’alcool. Pourquoi pourriez-vous y mettre, vous aussi? Les explications de la professeure Barbara Broers et du docteur Thierry Favrod-Coune, tous deux spécialistes en addictologie aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).
Videos sur le meme sujet

Je pense qu’un de mes proches boit trop, comment lui dire ?

Face à une consommation excessive d’alcool, il peut être légitime de s’inquiéter. Mais lorsqu’un proche boit trop, comme aborder ce sujet le plus sereinement possible?

Le comment du pourquoi: médicament et alcool

La consommation modérée d'alcool est-elle vraiment déconseillée avec la prise de médicaments?

La consommation modérée dʹalcool ne protège pas des AVC

Il nʹest pas rare dʹentendre quʹun ou deux verres dʹalcool par jour, de vin par exemple, protègerait des accidents vasculaires cérébraux (AVC).
Maladies sur le meme sujet
Foie

Cirrhose

La cirrhose et une maladie chronique du foie. Les cellules normales sont progressivement remplacées par une grande quantité de tissu cicatriciel, ce qui conduit à une diminution du fonctionnement de cet organe.