Comment l’addiction modifie le cerveau
L’héroïne, la cocaïne, l’ecstasy, ou encore le tabac, l’alcool et les médicaments anxiolytiques: ces substances agissent toutes de la même manière sur le cerveau. Elles augmentent le niveau de dopamine dans le circuit de la récompense et créent ainsi une sensation de plaisir qui peut devenir addictive. Comment se fait-il que des produits aussi différents puissent avoir les mêmes effets sur nos neurones? C’est la question qui a été à l’origine des travaux de Christian Lüscher et qui a conduit ce professeur de neurosciences de l’Université de Genève (UNIGE) et neurologue aux Hôpitaux Universitaires de cette ville (HUG) à décrypter les mécanismes moléculaires à l’origine de l’addiction.
«Lorsque j’ai commencé ces recherches, il y a une quinzaine d’années, on pensait que les drogues dures détruisaient les cellules nerveuses», explique-t-il. C’était faux puisque, comme l’a montré le spécialiste, «ces substances agissent en modifiant la communication entre les neurones».
Communication perturbée entre les neurones
Les cellules nerveuses se connectent entre elles au niveau des synapses. Dans ces zones de jonction, elles se transmettent l’information par l’intermédiaire de messagers chimiques, les neurotransmetteurs. Parmi ceux-ci figure le glutamate, «le plus excitateur chez les mammifères», constate le chercheur genevois.
Addiction et dépendance
Dans le langage courant, ces deux termes sont souvent indifféremment utilisés pour qualifier un comportement qui pousse un individu à se droguer ou à fumer. Pour le Pr Christian Lüscher, ils ne sont pas synonymes. «Il y a dépendance lorsque l’arrêt de la consommation de la substance engendre le sevrage». Alors que l’addiction conduit «à une recherche compulsive de consommer en dépit des conséquences négatives». Toutefois, seule «une personne sur cinq est vulnérable à l’addiction». Les autres peuvent prendre ces produits sans pour autant devenir accros.
En travaillant sur des souris, un neuroscientifique californien avait observé qu’une seule injection de cocaïne changeait la transmission du glutamate dans l’aire tegmentale ventrale – une région du cerveau impliquée dans le circuit de la récompense – et induisait des transformations qui provoquaient une addiction pendant une semaine. Renouvelant l’expérience, l’équipe genevoise a constaté, précise Christian Lüscher, «qu’en quelques heures, le nombre des synapses glutaminergiques augmentait leur efficacité dans cette aire». Et cela, en réponse à la libération excessive, provoquée par la cocaïne, d’un autre neurotransmetteur, la dopamine, qui intervient aussi dans le processus d’apprentissage lié à l’obtention d’une récompense. «En modifiant la malléabilité de certaines synapses, la cocaïne stimule de façon anormale ce processus d’apprentissage que la personne ne contrôle plus. Cela la pousse à consommer la substance». Au fil de ses recherches, le scientifique a précisé les rouages moléculaires des mécanismes de l’addiction, non seulement à la cocaïne, mais aussi aux autres drogues.
Effacer les traces
Ce processus peut toutefois être réversible. Le cerveau dispose d’un système de défense contre ce type de perturbation et les chercheurs de l’UNIGE ont identifié des protéines qui y participent. En agissant sur elles à l’aide d’une substance pharmacologique, ils sont parvenus à restaurer une communication normale entre les neurones des souris et à les débarrasser de leur accoutumance à la cocaïne.
Ce serait une piste intéressante pour traiter les toxicomanes. Cependant, «la molécule que nous avons utilisée pour nos expériences n’est pas disponible en quantité suffisante pour être testée chez l’être humain», constate Christian Lüscher.
Tout espoir n’est pas perdu pour autant. Le chercheur et ses collègues ont réussi à renverser le processus d’addiction par une autre voie. Ils ont «réparé» les synapses en stimulant certains de leurs neurones en amont à l’aide de l’optogénétique. Cette technique, qui combine optique et modification génétique, est très précise puisqu’elle permet d’agir uniquement sur le neurotransmetteur ciblé. Mais son volet génétique la rend inapplicable à l’être humain.
En revanche, la stimulation cérébrale profonde, qui stimule les neurones à l’aide d’un courant électrique, bien que beaucoup moins spécifique, a le mérite d’être couramment utilisée pour traiter des maladies comme celle de Parkinson. Tirant parti des avantages de chacun des deux traitements, Christian Lüscher et son équipe ont associé «la stimulation par un courant électrique de basse fréquence à une substance bloquant les effets de la dopamine». Leurs résultats, probants sur des souris, ouvrent la voie à l’élaboration d’un nouveau traitement de l’addiction.
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Source: Paru dans le magazine Planète Santé N°25, mars 2017.
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