Renforcer la mémoire du système immunitaire

Dernière mise à jour 25/07/16 | Article
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Le système de défense de notre organisme garde le souvenir des agents infectieux ou des cellules malignes qu’il a déjà rencontrés, ce qui lui permet de réagir plus rapidement et plus efficacement lors d’une seconde invasion. Des chercheurs de l’Université de Lausanne ont élucidé un mécanisme qui permet aux cellules immunitaires d’acquérir cette mémoire. Leurs travaux pourraient avoir des implications thérapeutiques, notamment dans la lutte contre le cancer.

Grâce à son système immunitaire, notre organisme dispose d’une armée de cellules capables de le défendre contre les virus, bactéries et autres agents infectieux, mais aussi contre les cellules cancéreuses. L’une des composantes de ce système est innée. Constituée de cellules qui n’ont jamais été confrontées à des microorganismes pathogènes, elle n’est pas très spécifique (elle ne reconnaît pas l’ennemi avec une grande précision). Mais elle est rapide: dans les secondes qui suivent l’invasion, elle peut mobiliser ses troupes et notamment des globules blancs particuliers (les granulocytes) qui détruisent les cellules infectées. Ensuite, comme des kamikazes, ces cellules immunitaires dites «effectrices» se suicident. Quant à l’immunité dite «adaptative», elle fait intervenir une autre catégorie de globules blancs, les lymphocytes. Parmi eux, les lymphocytes T ont la responsabilité de surveiller et d’éliminer les cellules infectées ou malignes. A la différence des granulocytes, les lymphocytes T n’entrent en action que quand ils sont en présence du microorganisme pathogène (antigène). Ils se multiplient alors rapidement pour former de gros bataillons, tout en se déplaçant vers le théâtre des opérations. Lors de leur voyage, ils acquièrent des armes qui leur confèrent la capacité de reconnaître leur cible et de la tuer en épargnant les cellules voisines normales. Puis la plupart d’entre eux meurent une fois leur mission accomplie.

Prêts à l’attaque

«Toutefois, certains de ces lymphocytes T échappent à cette mort programmée, explique Pedro Romero, directeur-adjoint du Centre Ludwig pour la recherche sur le cancer de l’Université de Lausanne (UNIL). Ils acquièrent alors une certaine mémoire de l’agent pathogène qu’ils ont rencontré», ce qui leur permettra de devenir plus efficaces quand ils le croiseront à nouveau. C’est d’ailleurs sur ce principe que sont basés les vaccins. Une fois l’infection passée, ces lymphocytes T-mémoire se dispersent dans tous les tissus de l’organisme où ils jouent le rôle de sentinelles. Ils peuvent survivre longtemps, au repos. Mais, dès que le besoin s’en fait sentir, ces cellules «changent radicalement de métabolisme: elles se mettent à produire d’énormes quantités de glucose, de lipides, etc.» et, tels des soldats qui se nourrissent abondamment pour accumuler de l’énergie avant la bataille, «elles sont prêtes à aller à l’attaque». En outre, poursuit le chercheur, «elles produisent diverses molécules biologiques (des cytokines et des chimiokines) qui amplifient la réponse immunitaire et les transforment en armes de destruction massive».

Kamikazes ou sentinelles

En fait, précise Pedro Romero, les lymphocytes T «ont le choix entre rester des cellules effectrices, c’est-à-dire des soldats très agressifs qui vont mourir après l’élimination de l’ennemi, ou subsister en gardant la mémoire de leur adversaire». Son équipe a donc cherché à comprendre les mécanismes qui «régulent la prise de décision de ces cellules», en travaillant sur des souris génétiquement modifiées et infectées par la bactérie Listeria. Les chercheurs ont ainsi découvert qu’une des «voies de signalisation» de la cellule (ces systèmes de communication indispensables à leur bon fonctionnement), nommée mTOR, joue un rôle crucial dans l’affaire. «Elle se trouve à un carrefour qui permet au lymphocyte T d’intégrer tous les signaux qu’il reçoit de son environnement immédiat et de modifier son métabolisme en conséquence». Or, dans la cellule, la protéine mTOR s’associe avec différents composés pour former deux complexes distincts, mTORC1 et mTORC2. Les chercheurs les ont donc successivement désactivés chez leurs souris, afin de connaître leurs rôles respectifs. Ils ont alors constaté que les rongeurs dépourvus de mTORC1 «perdaient leurs réponses immunitaires, effectrices et mémoires, alors qu’au contraire, ceux qui étaient privés de mTORC2 avaient une réponse mémoire accrue». Ils luttaient donc plus efficacement contre une réinfection par la Listeria.

De possibles applications thérapeutiques

Ces recherches, encore fondamentales, pourraient trouver des débouchés thérapeutiques. Notamment dans les traitements du cancer, car le système immunitaire utilise les mêmes mécanismes pour détruire les agents infectieux et les cellules malignes (lire encadré). En collaboration avec une firme pharmaceutique, Pedro Romero a déjà entrepris de «chercher des molécules qui pourraient inhiber, de manière sélective, la voie de signalisation passant par mTORC2». Ce serait un bon moyen d’améliorer la mémoire des lymphocytes T et d’aider le système de défense de l’organisme à lutter contre les tumeurs et à éviter les récidives.

Renforcer le système immunitaire pour mieux lutter contre le cancer

Le système immunitaire est chargé de détruire les cellules de l’organisme infectées par des agents pathogènes, mais aussi de tuer les cellules cancéreuses, qui sont anormales. La plupart du temps, il n’y arrive pas, car il est trop faible. C’est pourquoi une nouvelle voie très prometteuse dans la lutte anticancéreuse passe par l’immunothérapie, qui vise à renforcer le système de défense de l’organisme. Dans ce cadre, les résultats de l’équipe de Pedro Romero pourraient ouvrir de nouvelles pistes.

Vaccins contre le cancer

Depuis quelques années, les chercheurs tentent d’élaborer des vaccins thérapeutiques contre les tumeurs. Jusqu’ici, leurs tentatives se sont soldées par des échecs, notamment parce que «les cellules malignes diminuent la mémoire des cellules immunitaires», précise Pedro Romero. Ses travaux apportent un nouvel espoir. Si on arrivait à renforcer encore la mémoire des défenseurs de l’organisme déjà introduite par le vaccin, tout en modulant la voie mTORC2, on pourrait les aider à détruire plus efficacement les tumeurs.

Thérapie cellulaire

Une autre voie explorée, la thérapie cellulaire, consiste à prélever des lymphocytes T de la tumeur du patient et, au laboratoire, à les reprogrammer génétiquement et à les cultiver avant d’en réinjecter de grandes quantités dans le sang du malade. Cette technique, encore expérimentale, a déjà permis de guérir des enfants atteints de graves formes de leucémies (cancers du sang). «Pour les tumeurs solides, les résultats ont été beaucoup moins spectaculaires, constate Pedro Romero, car les lymphocytes transférés ne perdurent pas longtemps dans l’organisme et l’on n’obtient qu’une faible réponse antitumorale». Si, in vitro, on arrivait à les doter de mémoire, on obtiendrait peut-être de meilleurs résultats.

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