On souffre moins de démence qu’il y a quarante ans
De quoi on parle
Selon une étude américaine qui a porté sur 5000 habitants d’une ville de l’Etat du Massachusetts entre la fin des années 1970 et le milieu des années 2000, le nombre de démences diagnostiquées a baissé de 44%. Au niveau individuel, ces chiffres sont encourageants: ils indiquent que chacun a moins de risque de souffrir de démence qu’auparavant. Mais une part toujours plus importante de personnes âgées dans la population augmentera inexorablement le nombre de cas dans les décennies à venir.
C’est une bonne nouvelle. Les nouveaux cas de démence, terme qui regroupe diverses pathologies mentales dont la plus connue est la maladie d’Alzheimer (dégradation progressive de la mémoire et du raisonnement), se font plus rares. C’est ce qu’a récemment conclu une équipe américaine dans The New England Journal of Medicine. «Leurs résultats confirment des observations précédentes», explique le professeur Christophe Büla, chef du service de gériatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).
Pour arriver à cette conclusion, les scientifiques ont utilisé les données d’une étude qui a suivi une population durant plusieurs décennies. Depuis 1948, en effet, des chercheurs enregistrent de nombreux paramètres de la santé de 5000 habitants de Framingham (lire ci-dessous), petite ville située à trente kilomètres de Boston. A l’origine, leurs recherches portaient sur «l’impact des facteurs de risques cardiovasculaires, qui influencent les maladies du cœur et des vaisseaux», détaille Idris Guessous, médecin et épidémiologiste aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et au CHUV. Depuis 1975, ils y ont ajouté la mesure du fonctionnement cognitif. Et les résultats sont sans appel. Sur une période de cinq ans – située à la fin des années 1970 – 3,6% des personnes de plus de 60 ans participant à l’étude ont développé une démence. Au milieu des années 2000, toujours sur cinq ans, elles n’étaient plus que 2%, soit une baisse de 44%.
L’hypertension abîme le cerveau
Comment expliquer ce recul important? En trente-cinq ans, à l’exception du diabète et de l’obésité, tous les facteurs de risque cardiovasculaires – la pression sanguine, le taux de cholestérol, le tabagisme, notamment – ont diminué chez les habitants de Framingham. «Or on sait qu’il existe un lien entre ces facteurs et la survenue d’une démence», souligne le Dr Guessous. Leur diminution a donc probablement exercé un effet protecteur sur le cerveau.
L’hypertension semble jouer dans ce cadre un rôle particulièrement important. «De manière insidieuse, reprend Christophe Büla, elle cause des lésions microscopiques dans les vaisseaux du cerveau, entraînant la mort de neurones. On ne voit d’abord aucune répercussion puis, quand cette destruction se poursuit, apparaissent des difficultés cognitives qui peuvent ressembler aux manifestations de la maladie d’Alzheimer.»
De son côté, le Dr Guessous souligne que la plupart des participants de l’étude de Framingham ont une pression sanguine de niveau très raisonnable pour leur âge, probablement meilleure que ce que l’on mesurerait par exemple dans la population suisse. Il faut dire que ces habitants du Massachusetts sont nombreux à être traités contre l’hypertension. Pour l’épidémiologiste, ces constats démontrent l’importance de la prévention des maladies cardiovasculaires. «Il y a des polémiques à propos de certains traitements préventifs. On se demande souvent si l’on n’en fait pas trop, par exemple dans la prescription de médicaments anticholestérol. Ces données de Framingham fournissent des arguments pour affirmer pourtant que, sur le long terme, cette prévention est bénéfique.»
Il existe donc bien une diminution du risque de démence pour chaque personne qui vieillit. Mais cette bonne nouvelle «ne sera qu’un petit allégement» pour la société, prévient le professeur Büla. Avec le vieillissement de la population, toujours plus de personnes arriveront à l’âge où surviennent généralement les démences. Et donc le nombre de cas continuera d’augmenter. Aujourd’hui, environ 120 000 personnes en souffrent en Suisse. En 2050, selon les experts, on comptera entre 200 000 et 300 000 malades. Il faut donc prévoir des structures de soin en fonction. Depuis l’an dernier, cette maladie a d’ailleurs été désignée prioritaire par l’OMS.
L’EPFL met au point un implant pour soigner la maladie d’Alzheimer
Une des hypothèses qui expliquerait la maladie d’Alzheimer est que, dans le cerveau, des plaques composées d’une certaine protéine (la bêta-amyloïde, néfaste pour le système nerveux) se forment autour des neurones, ces cellules essentielles au fonctionnement cérébral, avant de les détruire, ce qui se traduit par des troubles cognitifs. Les scientifiques cherchent donc des traitements pour permettre au système immunitaire de cibler et supprimer cette protéine. Mais le défi est de taille: on estime en effet qu’un tel traitement ne sera efficace que s’il débute dès les premiers signes de la maladie, puis poursuivi à long terme.
Parmi les recherches en cours, une équipe du laboratoire de Patrick Aebischer, à l’EPFL, utilise un implant placé dans le cerveau. Il s’agit d’une capsule longue d’un peu moins de 3 cm et épaisse de 1 mm seulement, qui renferme des cellules musculaires génétiquement modifiées pour produire un anticorps de la bêta-amyloïde et stimuler le système immunitaire. Le procédé est séduisant pour deux raisons: d’abord, les cellules contenues dans la capsule, «nourries» par l’organisme, assurent une production continue d’anticorps durant plusieurs mois. Ensuite, ces cellules peuvent provenir d’un donneur, sans crainte de rejet par le système immunitaire, car elles sont protégées par une membrane. Ce dispositif a été testé avec succès chez des souris et ces résultats ont été publiés dans la revue britannique Brain. La prochaine étape consistera à l’adapter pour évaluer son efficacité chez l’homme.
Injustice sociale
Mais l’étude sur la population de Framingham montre qu’un autre facteur influence la survenue d’une démence. La réduction des facteurs de risque cardiovasculaire n’a diminué le risque individuel que chez les titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme de niveau supérieur. Sur le plan cérébral, on observe là un phénomène connu, celui de la «réserve cognitive»: «Plus votre scolarité a été longue, plus vos neurones ont établi de connexions, explique Christophe Büla. Peut-être en avez-vous deux fois plus, voire trois fois plus que des personnes qui ont suivi une formation intellectuelle plus réduite. Dans tous les cas, cela permet de perdre davantage de neurones avant de ressentir les effets de la démence.» Une injustice de plus? Pour le Dr Guessous, les personnes plus favorisées bénéficient aussi plus tôt que la moyenne des messages de prévention, adoptant ainsi avant les autres des conduites bénéfiques pour leur santé.
Deux recherches au long cours à Genève et Lausanne
Suivre la santé d’une population pendant des années comme le font des chercheurs à Framingham depuis 1948 (qui examinent dorénavant les petits-enfants des premiers participants!), c’est réaliser ce que l’on appelle une «étude de cohorte». De telles études, menées sur une longue durée, permettent de révéler des liens de cause à effet insoupçonnés, comme par exemple celui entre l’apparition de la démence et la prévention cardiovasculaire.
En Suisse, deux études de ce type sont en cours. A Genève, depuis 1993, l’étude Bus Santé examine chaque année par le biais d’un questionnaire de nombreux paramètres de santé chez un millier de nouveaux habitants. A Lausanne, la CoLaus Study suit près de 7000 citoyens et s’intéresse, entre autres, à leur sommeil et à leur santé mentale. De très nombreuses études scientifiques émanant des données récoltées par ces deux recherches ont déjà été publiées
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