«Malbouffe» et paresse intellectuelle: laquelle est la cause de l'autre?

Dernière mise à jour 30/04/14 | Article
«Malbouffe» et paresse intellectuelle: laquelle est la cause de l'autre?
Chez les rats, les aliments riches en graisses et en sucres raffinés sont synonymes d'obésité, de déficiences cognitives et de tumeurs cancéreuses. Et chez l'Homme?

Se nourrir avec des aliments de mauvaise qualité est-il à l’origine d’une forme de paresse intellectuelle? Faut-il au contraire penser que c’est cette paresse qui pousse à la consommation de tels aliments? Ce sont là des questions épineuses qui nous renvoient volontiers au paradoxe de l'œuf et de la poule. Mais voici qu’une étude récemment publiée dans la revue Physiology & Behavior1 vient apporter un élément de réponse. Ses auteurs démontrent qu’une alimentation à base de mauvaises graisses diminue sérieusement l'énergie pouvant être développée par un organisme. Pour l’heure cette démonstration est apportée chez le rat. Rien ne dit qu’il n’en va pas de même chez l’homme.

Junk food

Qu’est-ce que la «malbouffe»? C’est une expression proche de celle, anglophone, de junk food. En substance, une alimentation qui est saturée de mauvaises graisses, trop sucrée ou trop pauvre en nutriments pour répondre à nos besoins physiologiques. Elle est souvent associée aux aliments tout préparés que l’on peut trouver dans les entreprises de fast-food (restauration rapide). La définition de la «malbouffe» a également été élargie à la production alimentaire telle que peut la proposer le modèle productiviste de la société capitaliste fondée sur la consommation.

Le lien entre «malbouffe» et obésité est établi depuis longtemps. L'OMS résume le consensus scientifique en ces termes: «la cause fondamentale de l’obésité et du surpoids est un déséquilibre énergétique entre les calories consommées et dépensées». «Au niveau mondial, on a assisté à une plus grande consommation d’aliments très caloriques riches en graisses; et une augmentation du manque d'activité physique en raison de la nature de plus en plus sédentaire de nombreuses formes de travail, de l’évolution des modes de transport et de l’urbanisation, explique l’OMS. L’évolution des habitudes en matière d’alimentation et d’exercice physique est souvent le résultat de changements environnementaux et sociétaux liés au développement et d’un manque de politiques de soutien dans des secteurs tels que la santé, l’agriculture, les transports, l’urbanisme, l’environnement, l’industrie agroalimentaire, la distribution, le marketing et l’éducation. »

Graisses et sucres

En un mot, nous aurions cédé à la malbouffe par paresse. C’est là une théorie communément admise. Elle est toutefois aujourd'hui ébranlée par l’étude publiée dans Physiology & Behavior. Selon ce travail, la théorie doit s’inverser. Ce sont les régimes à base d'aliments trop sucrés et gras qui entament la motivation générale, et non le manque d'énergie qui conduit à la consommation de «malbouffe».

Les chercheurs de l’étude sont catégoriques: en plus de provoquer l'obésité, les régimes composés d'aliments saturés, trop riches en graisses et en sucres entraînent de manière expérimentale des troubles cognitifs chez les rongeurs. Après les avoir rendu dépendants, cette mauvaise alimentation pourrait priver ses victimes d'une grande partie de leur énergie?

«Malbouffe» pour rats

Aaron Blaisdell (département de psychologie, Université de Californie à Los Angeles), qui a dirigé l'étude, explique avoir fait suivre deux régimes alimentaires différents à deux groupes de seize rats femelles pendant une période de six mois. Le premier régime était constitué d'aliments pour rats standards, généralement peu transformés (maïs moulu, farine de poisson). A l'inverse, les composants du second régime étaient fortement transformés, d'une qualité moindre, et contenaient beaucoup plus de sucres, caractéristiques synonymes de junk food. Les deux groupes de rongeurs pouvaient manger à volonté.

Trois mois plus tard, les chercheurs ont constaté une différence de poids conséquente entre les deux groupes. Les rates soumises au régime «malbouffe» étaient sensiblement plus grosses. «Un régime alimentaire a mené les animaux à l'obésité, l'autre non», résume Aaron Blaisdell.

L'équipe a d’autre part testé la motivation des rongeurs en les soumettant à un test: s’ils parvenaient à appuyer sur un levier, ils recevaient une récompense sous la forme d'eau ou de nourriture. Les rats condamnés à une mauvaise alimentation ont fait preuve de moins d'initiative. Ils espaçaient leurs efforts de pauses plus longues. Pendant une séance de trente minutes, les rats obèses se reposaient deux fois plus longtemps que leurs congénères de l'autre groupe.

Pas de solution éclair

Après six mois, les régimes alimentaires des deux groupes ont été permutés pendant neuf jours. Les rongeurs en surpoids n'ont pas réalisé de progrès fulgurants; ils n'ont pas minci et n'ont pas amélioré leurs performances au jeu du levier. Même observation dans l'autre groupe: les rats n'ont pas pris de poids et n'ont pas rechigné à la tâche pendant le test de motivation. Autant d’éléments qui laissent penser que ce sont bien les comportements alimentaires au long cours et non la consommation ponctuelle de «malbouffe» qui provoque l'obésité et a un impact sur les équilibres motivationnels. Pour Aaron Blaisdell, l'expérience est des plus limpides: «Il n'y a pas de solution éclair», affirme-t-il.

Outre les différences de poids et de motivation, l'équipe a observé un nombre de tumeurs cancéreuses beaucoup plus important dans le groupe des rates ayant suivi un régime riche en graisse.

L’œuf et la poule

«Un régime à base de malbouffe donne faim, que l'on soit un rat ou un humain, affirme Aaron Blaisdell. On accuse souvent les personnes en surpoids d'être paresseuses, de manquer de discipline. Au vu de nos résultats, nous estimons que les gens ne deviennent pas forcément obèses parce qu'ils sont paresseux, contrairement à ce que véhiculent souvent les médias. Nos données laissent penser que l'obésité provoquée par l'alimentation est une cause, et non un effet de la paresse. Soit les aliments fortement transformés provoquent la fatigue, soit ils entraînent l'obésité, qui provoque à son tour la fatigue.»

Le chercheur dit avoir bouleversé son régime alimentaire il y a cinq ans, pour en venir à une nutrition plus proche de celle «de nos ancêtres». Il a écarté les aliments transformés, le pain et les pâtes, et mange des fruits de mer, des œufs, des légumes, de la viande… Au final, ce travail et les conclusions qu’il en tire modifient notre regard sur la «malbouffe»: elle est à la fois la cause et le fruit. Comme dans l’affaire de l’œuf et de la poule.

         

1. Un résumé (en anglais) de cette étude est disponible ici.

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