Clitoris: ce que nous avons tous oublié

Dernière mise à jour 25/04/12 | Article
Canard noir
Un ouvrage à paraître en France rappelle ce que fut, durant des siècles la quête anatomique de cet organe dont on dit qu’il est toujours aussi méconnu. Retour vers le passé où l’on parlait d’expérience en surnommant le clitoris «le mépris des hommes»

Sans doute y a-t-il bien des façons d’écrire sur le clitoris. Surtout depuis ce que l’on appelait jadis la libération des mœurs. Est-ce dire pour autant que l’on en sait définitivement beaucoup plus, aujourd’hui qu’hier, sur cet organe a bien des égards déroutant. Pour les hommes à coup sûr. Pour la femme peut-être. Comment savoir? Signé par un sexologue de formation (en existerait-il d’autres?) un petit ouvrage à paraître en France démontre qu’il reste encore beaucoup à raconter sur ce sujet. A commencer par son histoire.

Pour l’essentiel l’affaire commence au XVIème siècle. Du moins pour ce qui nous concerne les témoignages égyptiens, grecs, perses, chinois, arabes et aztèques ne semblant ni très nombreux ni très fiables. Au XVIème les choses sérieuses commencent puisque l’homme entend voir de ses propres yeux comment Dieu l’a fait. Mieux il trace ce qu’il voit, puis imprime et diffuse ce qu’il trace. L’anatomie va connaître le début de son âge d’or. La découverte de l’oasis vulvaire et du clitoris semble devoir être attribuée, sans surprise, à un Italien: Matteo Renaldo Colomb – Renaldus Colombus (1516-1559). On connaît certes mieux son homonyme. Lui se borne à découvrir l’existence du clitoris, sa fonction, ses possibilités physiologiques et, de ce point de vue, le parallèle qui peut être fait avec la verge masculine. Un nouveau monde, en somme.

Fallope – Gabriele Fallopio (1523-1562) poursuit le voyage de son maître mais naviguera en amont et de manière bilatérale. On lui doit les trompes utérines qui relient les ovaires à l’utérus et qui, depuis, portent son patronyme. Il faudra encore patienter pour entendre Freud mais vers 1615 Giulio Casseri (1552-1616) semble laisser parler son inconscient: il s’intéresse à la vulve et fort de ses dissections il fournit un demi écorché de petite fille dont un détail montre un clitoris occupant toute la vulve au détriment des petites lèvres.

Puis on diffusera en 1627 l’un de ses traités consacré aux organes de reproduction dans lequel il récidive : un écorché du sexe d’une femme adulte. Il y dévoile l’invisible, soit le corps et les deux piliers du clitoris qui descendent de chaque côté du vagin pour s’insérer sur les ischions. «Juste sous le gland, une improbable collerette évoque une ressemblance avec le pénis.» Faut-il voir dans cette invraisemblance anatomique la signification d’une similitude fonctionnelle: le clitoris serait désigné (et donc compris) comme l’organe principal de la jouissance sexuelle féminine. Plaisir éminemment positif en ce qu’on pouvait l’associer aux coïts fécondants.

Toutefois chaque médaille à son envers. En France Pierre Dionis (1843-1718) chirurgien de Louis XIV et anatomiste préconise bientôt l’excision comme arme thérapeutique anti-lascivité. Puis ils seront nombreux et illustres à tâtonner, en marge de la jouissance, sur la question de la physiologie de la reproduction. Faut-il deux semences puisqu’on n’en est pas encore aux spermatozoïdes et aux ovules. Quoique, le microscope ne va pas tarder à révéler l’insoupçonnable. En Hollande Régnier De Graaf (1641-1673) perçoit la présence de follicules sur les ovaires, pressent les ovocytes. Il dessine également le clitoris en majesté.

1687: A Paris le Dr Nicolas Venette (1633-1698) publie Le Tableau de l’amour conjugal. Tableau érotique? Sur l’attouchement féminin il a ces mots: «L’on épuiserait plutôt la mer et prendrait plutôt les astres avec les mains que de rompre les mauvaises inclinaisons de cette jeune fille.» Quant aux caroncules myrtiformes, ces vestiges de l’hymen, il les présente ainsi: «Quatre petits morceaux de chair de la figure d’une feuille de myrte sont placés après les nymphes, qui, bien qu’ils soient incessamment arrosées, n’éteignent pourtant pas pour cela le feu que la Nature a allumé dans ces parties. Souvent c’est comme de l’eau, qui, tombant dur de la chaux les excite et les échauffe davantage.»

Venette mesure le clitoris comme plus ou moins long de la moitié du doigt; et il dit qu’il pourrait le nommer la fougue et la rage de l’amour. La Nature a mis là le trône de ses plaisirs et de ses voluptés comme elle l’a fait dans le gland de l’homme. Et Pierre Dionis revient à la charge en 1690 pour affirmer que le clitoris est la verge de la femme. Il écrit: «(…) il y a des femmes qui sont d’un tempérament si amoureux que par la friction de cette partie, elles se procurent du plaisir qui supplée au défaut des hommes; c’est ce qui la fait appeler par quelques-uns le mépris des hommes.» On savait écrire, au Grand Siècle, dans la Galerie des Glaces.

Qui se souvient de tout cela ? Emergèrent, à Londres puis bien vite en Suisse, les théories condamnant aux Enfers les malheureux tâtant de la masturbation. 1760: la condamnation de l’onanisme commence à faire florès. Elle jette le voile de sur tout ce que pouvait avoir de sain et de libérateur les Lumières précédentes. Libération sexuelle ou pas, nous en payons encore le prix.

L’ouvrage à paraître (mi mai) qui nous rappelle ces vérités historiques sera intitulé La Fabuleuse histoire du clitoris. Il est signé de Jean-Claude Piquard et est édité par Les Editions Blanche, maison parisienne en partie spécialisée dans la littérature érotique. Il ne répond pas (loin s’en faut et c’est sans doute tant mieux) à toutes les questions que nous nous posons tous (et toutes?) sur cet organe. Ceci n’interdit nullement d’admirer les gravures des anciens temps et de réfléchir. Voire, qui sait, de songer.

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