Quand le couple vacille après une longue union

Dernière mise à jour 15/10/22 | Article
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Après avoir partagé leurs vies pendant 30, voire 40 ans, voilà que le doute s’installe et que, pour certains, l’idée d’une séparation se profile…

Les enfants concernés à tout âge

Même s’ils sont parfois eux-mêmes divorcés, il n’est pas toujours simple pour les enfants de voir leurs parents âgés se séparer. Selon la psychanalyste Geneviève Manois, «la famille est une sorte de "maison psychique", un lieu de sécurité affective pour ses membres, même s’il y a des tensions ou des conflits. La fin du couple parental est une perte irrémédiable, comme si l’on cassait le nid». La séparation des parents impose aussi une nouvelle dynamique familiale et change les rituels. «On ne visite plus ses parents de la même façon: quand on "va chez" ses parents, on est reçu, on ne fait pas la cuisine… alors qu’après le divorce, les enfants ont plutôt tendance à "passer voir" leur parent, ou parfois c’est même le parent qui vient chez eux. Et un parent seul est plus en demande qu’un couple, même quand celui-ci dysfonctionne», illustre la clinicienne.

En baisse depuis plus de dix ans, le nombre de divorces n’a pas explosé pendant la pandémie comme certains le craignaient. Ainsi, en 2020, 16’210 séparations ont été officialisées contre 16’885 l’année précédente, mais «beaucoup de dossiers n’ont pas pu être traités cette année-là», modère Fabienne Rausa, collaboratrice scientifique à l’Office fédéral de la statistique (OFS). Des procédures qui ont été reportées en 2021 où le nombre de divorces

s’est élevé à 17’159. S’il faudra attendre quelques années pour connaître l’impact réel de la pandémie sur les mariages, nul doute qu’elle a fait trembler de nombreux couples. Et les plus de 60 ans ne font pas exception. Encore actifs ou déjà retraités, le rythme de vie de chacun a été bouleversé et la crise sanitaire s’est mue, pour certains, en une véritable crise de couple. 

Recréer des espaces

L’espérance de vie a largement progressé en Suisse et les sexagénaires peuvent aujourd’hui espérer vivre encore plus d’une vingtaine d’années. «Cela implique qu’il faut penser son couple sur un temps long alors qu’en parallèle le cadre du travail se termine. La perspective de ce couple "en continu" peut faire peur», constate Geneviève Manois, psychanalyste, thérapeute de couple et autrice de Vivre en Solo après 60 ans (Éd. L’Harmattan, 2018). Parmi les seniors qu’elle accompagne, ce sont ceux qui «n’arrivent pas à penser leur couple différemment ou à réaliser des aménagements dans leur relation» qui sont le plus à risque de se séparer. 

Partager un domicile en tête-à-tête revient à perdre les espaces personnels qu’une activité professionnelle permettait. «Il est donc crucial que l’habitat soit questionné pour être adapté à cette nouvelle vie, souligne Geneviève Manois. On entend certains hommes se plaindre d’être relégués dans leur atelier et de subir le "contrôle domestique" de leur femme. Il faut veiller à ce que chacun ait une place qu’il a choisie et une liberté de son temps, sans être sous le regard ou le contrôle de l’autre», conseille la thérapeute. Quitte à éventuellement déménager pour choisir un logement plus adapté aux aspirations de chacun. 

Redéfinir les bases

Un couple fonctionnel requiert souvent deux personnalités qui continuent d’exister individuellement. S’encourager à maintenir des activités, à l’extérieur et différenciées, est important. «Le couple est une création qui s’invente ensemble mais qui évolue, au gré des évènements de vie et du temps, souligne Geneviève Manois. Parfois, continuer le chemin ensemble nécessite de réinventer un "autre ensemble".» Certains couples font ainsi le choix de rester solidaires économiquement, envers leur famille, mais se mettent d’accord sur une part de liberté qui permet à l’édifice défini de tenir. Cependant, élaborer une nouvelle version d’un couple qui dure depuis plusieurs décennies n’est pas toujours aisé. «Quand on se sent contraint, empêché et que la communication diminue, il peut être bénéfique de se faire aider», suggère la thérapeute. Un accompagnement qui peut aussi permettre de mieux vivre le regard, pas toujours tendre, que portent la société ou les proches sur les seniors qui décident de réinventer leur vie de couple.

Des enjeux spécifiques

«En Suisse, la durée moyenne du mariage au moment du divorce est passée de 11,5 ans en 1984 à 15,6 ans en 2020. Et l’âge moyen au moment du divorce augmente lui aussi de manière constante», détaille Fabienne Rausa, collaboratrice scientifique à l’Office fédéral de la statistique (OFS). Mais divorcer à l’âge de la retraite présente des spécificités, à commencer par un double deuil, explique Geneviève Manois, psychanalyste et thérapeute de couple: «La sociabilité du couple et celle du travail disparaissent en parallèle, ce qui amène à une véritable remise en question de l’identité. Il faut accepter de se remodeler, de redonner un nouveau sens à sa vie».

Par ailleurs, reformer un couple est plus compliqué, surtout pour les femmes, deux fois plus nombreuses que les hommes dans cette tranche d’âge. Or, vivre seul après 65 ans a un impact direct sur l’espérance de vie qui serait, en Suisse, deux à trois ans moins élevée pour les personnes seules (divorcées ou célibataires) que pour les personnes mariées. «Il faut apprendre à vivre pour soi et par soi-même, ce qui n’est pas facile. Il y a un vrai risque de désociabilisation, voire de précarité et de dépression», rappelleGeneviève Manois.

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Paru dans Générations, Hors-série «Comment rebondir… dans son corps, dans sa tête, dans son couple, dans sa famille, dans sa vie», Octobre 2022.