Santé au travail: sur le terrain, ça se passe comment?

Dernière mise à jour 19/12/22 | Article
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Dans certains domaines d’activité, la pénibilité du travail n’est plus à démontrer. La période Covid a mis en évidence le rôle crucial des soignants.

Aux Hôpitaux universitaires de Genève, le service interne de santé au travail gère pas moins de 14 000 collaborateurs. La responsable du service, Catherine Chenaud Boyer, a pris ses fonctions en 2021, tout comme Alain Raybaud, médecin du travail. Il explique: «Nous sommes en train de réorganiser le service. Parmi nos objectifs, nous avons celui de mettre en place un système de détection précoce des problèmes de santé au travail pour favoriser le maintien en emploi et éviter les arrêts. La prévention est la clef. Avec l’aide des ressources humaines, nous organisons des formations sur les risques psychosociaux, le travail de nuit et la meilleure façon de garder une bonne hygiène de vie, entre autres. Si un soignant, qui commence à ressentir une douleur à l’épaule, vient nous voir tout de suite, nous pouvons résoudre le problème efficacement. Si cette personne n’est pas au courant de notre existence et qu’il laisse la situation se détériorer, il sera peut-être trop tard et elle ne pourra peut-être plus exercer son métier.» 

Les HUG sont un bon exemple d’entreprise qui doit gérer beaucoup de corps de métier: de l’infirmière au manutentionnaire et au laborantin, en passant par le chirurgien. Catherine Chenaud Boyer explique: «Désormais, à chaque nouvelle embauche, nous fournissons un questionnaire de santé au collaborateur et notre infirmière de santé au travail le reçoit. Le but est que le poste soit en adéquation avec l’état de santé de l’employé. Faut-il envisager des aménagements particuliers? Son statut vaccinal est-il compatible avec sa fonction? Ces questions permettent d’éviter que des problèmes de santé ne s’installent.» 

Autre exemple: au siège européen de l’entreprise américaine Intuitive Surgical, à Aubonne, Bernard Gianola est responsable du service de santé, sécurité et environnement. La firme, qui compte plus de 250 employés sur le site suisse, fait appel à l’expertise d’un médecin du travail externe. «Chaque collaborateur a la possibilité de le contacter directement et de manière totalement confidentielle. L’entreprise s’efforce ensuite de mettre en place les solutions nécessaires visant à favoriser un retour durable au travail. Les nouveaux modes de travail imposés par le Covid ont rendu les frontières entre nos vies privées et nos vies professionnelles plus floues qu’auparavant. Il est donc essentiel d’expliquer aux cadres et aux collaborateurs l’importance du droit à la déconnexion, afin qu’ils puissent maintenir un équilibre sain.» 

À l’État de Vaud, qui emploie plus de 30 000 personnes, le Centre de compétences gestion de la santé en entreprise, comprenant l’unité santé et sécurité au travail et la réinsertion professionnelle, s’intéresse également à la prévention. Il a créé des ateliers sur les dangers liés aux métiers et des modules de formation sur les risques psychosociaux destinés aux cadres et aux unités de ressources humaines des services, entre autres actions pour garantir la bonne santé des collaborateurs. Il propose aussi du e-learning permettant à chaque employé d’avoir accès aux ressources mises à disposition en cas de problème et il collabore étroitement avec les médecins du travail d’Unisanté. Enfin, le secteur de réinsertion professionnelle accompagne, de manière personnalisée, les personnes en arrêt de travail pour leur permettre un retour en poste dans les meilleures conditions possibles. 

Si beaucoup de choses sont mises en place pour les salariés, que dire de la santé des patrons de PME? Pour le Pr Mathias Rossi, responsable de l’institut Innovation sociale et publique à la Haute école de gestion de Fribourg, les dirigeants de PME se portent globalement bien, malgré la surcharge de travail, le stress permanent et les incertitudes financières qui caractérisent souvent leur situation. Les facteurs qui les protègent sont la satisfaction au travail, le sentiment de maîtriser leur destin, un certain optimisme et leur forte capacité de résilience. « Les études montrent que les dirigeants vont plutôt bien. Heureusement, puisque, en Suisse, 99% des entreprises sont des PME et que celles-ci risquent de disparaître si leur patron n’est plus apte à travailler.»

Manque de relève et cadre libéral

En Suisse, la réglementation en matière de santé au travail est libérale. La loi sur le travail (LTr) fixe la durée du travail et du repos et s’intéresse aux mesures nécessaires à la protection de la santé sur le lieu de travail. Parallèlement à cela, la loi sur l’assurance accident dresse la liste des maladies professionnelles. 

La Suisse n’est toutefois pas très bonne élève en matière de protection de ses travailleurs. Selon l’Enquête européenne des entreprises sur les risques nouveaux et émergents réalisée en 2019 dans 33 pays européens, le nôtre se retrouve à la dernière place en ce qui concerne la proportion d’entreprises qui effectuent une évaluation des risques dans ce domaine. La Dre Sophia-Maria Praz-Christinaz, co-présidente du Groupement des Médecins du travail vaudois, deplore: «Aujourd’hui, lorsqu’une PME a besoin d’un médecin du travail, elle a de la difficulté à en trouver. Sans oublier que dans les petites structures, les dirigeants ont souvent le nez dans le guidon et ne pensent à faire appel à des spécialistes que lorsque les arrêts maladies se suivent. » 

La Suisse compte 130 médecins du travail, ce qui est insuffisant pour assurer de bonnes conditions aux salariés. Elle peine d’ailleurs à former la relève. Un seul poste de professeur, renouvelable d’année en année, est actuellement pourvu à Zurich. Celui de Lausanne est vacant. «Très peu d’heures de cours sont données sur la santé au travail dans la formation de base, précise la Dre Praz-Christinaz. Et ce n’est une spécialité médicale que depuis l’an 2000.» Les futurs médecins ne semblent pas très attirés par cette branche. Laurence Wasem, également co-président du Groupement des médecins du travail vaudois, précise: «C’est pourtant un domaine très riche, avec une interface avec le droit. La période Covid nous a donné une meilleure visibilité, cela créera peut-être des vocations.»

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Paru dans Planète Santé magazine N° 47 – Décembre 2022