Comment faire pour que le chômage ne ruine pas la santé?

Dernière mise à jour 23/08/16 | Article
Etre contraint à ne pas travailler peut constituer un traumatisme psychique. Quels en sont les symptômes? Comment faire pour en réduire les conséquences? Les réponses d’un psychiatre, spécialiste de médecine légale et de droit de la santé.

Publiée en 2012, une étude américaine démontrait que le chômage pouvait augmenter le risque d’être victime d’un infarctus du myocarde1. C’était là une mise en évidence spectaculaire des liens pouvant exister entre l’absence (ou la perte) d’emploi et la santé. En France, une étude menée par Pierre Meneton, chercheur à l’Inserm, et publiée en 2015 dans International Archives of Occupational and Environmental Health2 suggère aussi l’existence d’une association entre le chômage et une moins bonne santé cardiovasculaire. Cette étude met en évidence une surmortalité très importante chez les chômeurs, presque trois fois supérieure à celle des non-chômeurs. Le chômage a notamment des effets sur la survenue d'accidents cardiovasculaires et de pathologies chroniquesLes chômeurs auraient davantage de comportements à risque, consommant notamment plus de boissons alcooliques. Plus généralement, de multiples observations, personnelles ou scientifiquement établies, convergent pour dire à quel point le chômage, sous ses différentes formes, est nuisible aux équilibres psychiques et somatiques. Un phénomène qui va en augmentant avec la durée et l’ampleur de la crise économique et du sous-emploi.

«Se sentir inutile»

En France, un spécialiste, le Pr Michel Debout, psychiatre, professeur émérite de médecine légale et de droit de la santé3,s’est tout particulièrement penché sur cette question majeure de santé publique. Il traitait de manière concrète les différents aspects de ce sujet lors d’un entretien accordé à Serge Cannasse (journaliste et animateur du site carnetsdesante.fr), publié dans La Revue du Praticien Médecine Générale4. «Être licencié et quitter des collègues, ne pas parvenir à retrouver un nouvel emploi, ne plus arriver à payer son loyer et les échéances d’un emprunt, se sentir inutile… Ces phénomènes, loin d’être anodins, provoquent souvent un véritable traumatisme. Pourtant, aucune action de santé n’est engagée auprès des chômeurs pour prévenir ces risques majeurs, expliquait alors le Pr Debout. Sous de multiples aspects, la souffrance vécue par beaucoup de chômeurs est incommunicable. Elle engendre ainsi des dégâts multiples: repli sur soi, problèmes conjugaux, sentiment de précarité, addictions, impossibilité d’envisager le futur et, parfois… suicide.» Pour ce psychiatre, aucun doute n’est permis: le chômage constitue bien un psycho-traumatisme, une réalité souvent sous-estimée mais qui est établie par de nombreuses publications internationales. Et un traumatisme qui (comme le harcèlement au travail) peut conduire au suicide. En France (où l’on compte plus de cinq millions de chômeurs), l’Observatoire national du suicide va d’ailleurs commencer une enquête à ce sujet en se fondant sur les données des instituts de médecine légale.

L’équivalent d’une agression ou d’un deuil

«Je suis frappé par les similitudes qui existent entre l’état de certains chômeurs et celui des victimes de traumatismes (accident, agression, deuil, etc.), dont on sait depuis longtemps que leur santé est fragilisée, poursuit le Pr Debout. Elles peuvent évoluer vers une récupération totale ou des troubles psycho-relationnels ou même un syndrome dépressif. C’est ce qui se passe au moment de la perte d’emploi qui pour moi induit un psycho-traumatisme du même ordre.» L’éventail des symptômes est large. Cela peut commencer par des sensations d’instabilité, d’inquiétude, de malaise, qui se traduisent souvent par des signes discrets, comme une irritabilité chronique. Suivent culpabilité et dévalorisation de soi («Je ne suis pas à la hauteur»), un phénomène bien connu chez les traumatisés, qui inversent souvent victime et auteur de l’agression («Qu’ai-je fait pour "attirer" ça?»). Pour le Pr Debout, ce phénomène est observé «aussi bien chez les salariés licenciés que chez les indépendants qui déposent leur bilan». L’attitude de l’entourage (surtout familial) est alors déterminante. «Soit cet entourage est un point d’appui pour que le chômeur rebondisse, en contribuant à le déculpabiliser et le valoriser, explique le spécialiste, soit il renforce le désarroi en aggravant la culpabilité ("Comment se fait-il que tu n’aies pas encore trouvé de travail?"), ce qui peut aller jusqu’à des problèmes relationnels majeurs dans le couple et la famille, avec les amis, etc. Cela peut évoluer vers une authentique dépression, avec repli sur soi, absence d’activité, de relations sociales, etc., pouvant déboucher sur le suicide.»

Pour une médecine des chômeurs

Le Pr Debout use alors d’une phrase terrible: «Nombre d’entre eux ne meurent pas parce qu’ils se suicident, ils se tuent parce qu’ils sont déjà morts». Or notre société est ici responsable d’un formidable paradoxe médical: la médecine du travail s’arrête à un moment où le risque est particulièrement élevé pour le salarié, quand il perd son travail. C’est là un message extrêmement négatif aux chômeurs, qui contribue à renforcer leur sentiment d’abandon: plus personne ne s’intéresse à eux. Il faut donc mettre en place une véritable «médecine du chômage». «Le chômage est une menace pour la santé, ça n’est évidemment pas une maladie, précise-t-il. Il faut prévenir ce risque, comme on le fait pour les maladies professionnelles ou liées à des situations de vie (école, grossesse, etc.). Il faut construire une médecine du chômage pour évaluer le risque que celui-ci fait courir à chaque salarié pris individuellement et l’orienter efficacement au besoin: il s’agit bien de prévention et non de soins.» Cette prévention organisée est d’autant plus nécessaire que le chômage entraîne une baisse des revenus et, parfois, des situations de surendettement. «Cela contribue fortement à la perte d’estime de soi, surtout chez les hommes, dont la fonction traditionnelle est le soutien financier de la famille, souligne le Pr Debout. Il s’agit d’une atteinte à la dignité personnelle, fondée sur l’obligation que ressent chacun dans notre société de devoir subvenir à ses propres besoins et à ceux de ses proches et renforcée par le sentiment humain de devoir rembourser sa dette, quelle qu’elle soit. (...) Cette menace constante fait que chaque jour devient le même en pire.»

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1. «Quand le chômage fait mal au cœur», Planète Santé, 22 novembre 2012.

2. Cette étude est disponible (en anglais) à cette adresse: Unemployment is associated with high cardiovascular event rate and increased all-cause mortality in middle-aged socially privileged individuals. Int Arch Occup Environ Health DOI 10.1007/s00420-014-0997-7.

3. Le Pr Michel Debout est notamment l’auteur de l’ouvrage Le traumatisme du chômage, Éd. de l’Atelier, 2015.

4. Tome 30, N° 955. Février 2016.

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