Antivieillissement: deux clans, deux médecines

Dernière mise à jour 10/07/14 | Article
Antivieillissement: deux clans, deux médecines
En médecine, deux approches du vieillissement s’affrontent: la gériatrie d’une part, et la médecine anti-âge de l’autre.

D’un côté, il y a la gériatrie, qui s’occupe des maladies liées à l’âge et de la fin de vie. Elle a pour but d’augmenter la qualité de vie des personnes âgées et de réduire la période de dépendance (lire l’encadré «Jusqu’à quel âge vit-on en Suisse?»). De l’autre, la médecine anti-âge.

Si l’une et l’autre se recoupent parfois, cette dernière se veut moins conservatrice et surtout plus progressiste et optimiste, analyse le Dr Astrid Stuckelberger, enseignante à l’Université de Genève et auteure d’une étude pour TA -Swiss qui a abouti à deux livres sur la médecine anti-âge*: «Dans cette approche, l’âge biologique (et son processus) n’est pas une fatalité. On peut prévenir et lutter contre la dégénérescence naturelle et remettre une personne sur pied à tout moment de sa vie, avant que la pathologie ne s’installe et même après. De nombreuses spécialités appliquent cette approche. Par exemple l’ophtalmologie, la gynécologie, la dermatologie, la médecine du sport, l’endocrinologie et même la dentisterie l’ont bien compris. Et elles ont un intérêt marqué à garder le système biologique à son meilleur niveau, en palliant les déficits, en régénérant ou en restaurant les fonctions de notre corps».

Multidisciplinaire, la médecine anti-âge axe son action sur la prévention des maladies par le dépistage précoce de tout signe d’anomalie métabolique. Elle a recours à l’évaluation des risques cardiovasculaires, du risque de cancers (mammographie, coloscopie), d’ostéoporose (mesure de la densité osseuse), de démence (Alzheimer). Mais elle emploie également la médecine prédictive ou les mesures du métabolisme (déficits hormonaux, niveau inflammatoire et stress oxydatif, etc.). De plus, la médecine anti-vieillissement travaille sur la modification des habitudes de vie sur la base d’une «quantification de soi» à plusieurs niveaux, notamment des mesures génomiques et prédictives des métabolites. Et en particulier en ce qui concerne la nutrition, la gestion du stress et l’activité physique.

Jusqu'à quel âge vit-on en Suisse?

On prescrit des «traitements préventifs» (supplémentation en vitamines, micro-nutriments, hormones) pour éviter les déficits qui conduisent à une maladie ou dégénérescence fonctionnelle telle que l’ostéoporose, la sarcopénie ou le diabète, qui mettent du temps à s’installer. Et c’est dans ce temps que se joue l’action anti-âge.

Pour la médecine anti-âge, vieillir ne serait plus synonyme de dégradation du métabolisme, tout du moins plus obligatoirement. «Par le biais de microtechnologies et de dispositifs médicaux tels que les implants, les prothèses et les micro-médicaments, nous pouvons désormais inverser la tendance, argumente Astrid Stuckelberger. L’humain est comme une horloge. Le temps passe, elle prend de l’âge, mais si on en prend soin et répare la moindre déficience, elle vieillira oui, mais fonctionnera et restera belle.» Et c’est bien là tout le concept de l’antiâge: intervenir en amont sur l’organisme. S’il y a une pièce qui ne marche plus, on la change tout de suite pour éviter que tout «déraille» après. «C’est une véritable révolution de la médecine traditionnelle qui accompagnait jusque-là le vieillissement naturel de l’individu». Nature? Une notion qui, selon la spécialiste, n’est plus de mise aujourd’hui. «Rien que d’aller chez le dentiste pour se faire réparer, restaurer, détoxifier ou embellir les dents défie notre conception du naturel. Toute intervention humaine ou technologique sur un individu tend à améliorer la Nature.»

Une médecine personnalisée

«Un aspect fondamental de la médecine anti-âge, souligne Astrid Stuckelberger, réside dans une prévention précoce et une attitude proactive: équilibrer, remplacer, régénérer, améliorer, doper, bioniser sont des mots-clés. C’est l’émergence d’une médecine de l’amélioration personnalisée en quelque sorte.»

Qu’elle soit médicale, fonctionnelle, esthétique ou psychique, la prise en charge proposée par la médecine anti-vieillissement se veut donc surtout adaptée à chaque individu. «Car plus on vieillit, plus on devient différent les uns des autres. Avec le temps, l’impact du mode de vie sur la santé est de plus en plus important, alors que notre bagage génétique perd en influence. D’où l’intérêt d’une évaluation et d’un suivi personnalisés», déclare le Dr Nikolaos Samaras, spécialiste en gériatrie à Genève.

Les besoins spécifiques du patient sont évalués à l’aide de bilans métaboliques, vitaminiques, etc., de «screenings» ou d’un coaching sur l’hygiène de vie. Un plan de prévention spécifique à chaque personne doit être élaboré, en tenant compte de ses risques et ses besoins personnels. En d’autres termes, le médecin doit apprendre à ses patients comment «bien vieillir».

Toutefois, si cette prise en charge globale séduit ceux qui s’inquiètent de leur santé, elle n’est en réalité pas toujours pertinente, nuance le professeur Christophe Bula, spécialiste en gériatrie au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne: «Tous les dépistages n’apportent pas un bénéfice pour le patient en termes de qualité de vie ou de longévité. Le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA , dont les conséquences peuvent être lourdes (impuissance, incontinence), et même les simples check-up en sont des exemples».

Le Dr Astrid Stuckelberger insiste, de son côté, sur le caractère révolutionnaire de cette médecine, qui recourt aux techniques bio-médicales les plus avancées. Elle cite en exemple les montres, «tattoos» ou implants électroniques pour contrôler les fonctions cardiaques et cérébrales. Ou encore les pilules digitales à ingurgiter pour mesurer le taux d’acidité de l’estomac ou réguler le diabète. Cette médecine investit en effet beaucoup dans le transfert de la recherche vers la pratique clinique dans tous les domaines du vivant, des cellules souches aux mécanismes métaboliques, des facteurs anti-inflammatoires aux régulations hormonales, la nutrigénomique, etc.

Mais ce pari sur l’innovation a toutefois ses limites et ses dangers. «Le problème de la médecine anti-âge, telle qu’elle est pratiquée par beaucoup, est d’appliquer des traitements sans avoir de garanties d’une part sur leurs bénéfices, et d’autre part sur les dangers à long terme», affirme le Dr Samaras. Le Dr Astrid Stuckelberger plaide quant à elle pour plus de réglementation dans la prescription de traitements anti-âge, même si «dans n’importe quelle spécialité, des médicaments arrivent sur le marché sans avoir été bien testés chez l’homme». Et c’est sans oublier que toutes ces interventions ont un coût, et certaines sont encore loin d’être accessibles à tous, pour ne pas dire réservées aux privilégiés. D’autant plus que la prévention, même la plus standard, reste peu remboursée par l’assurance maladie de base en Suisse.

Faut-il malgré tout se laisser séduire par l’anti-aging? Le Dr Samaras est formel: «La médecine anti-âge est réellement très prometteuse, mais aujourd’hui il faut rester prudent, notamment avec tous les traitements présentés comme inédits, même s’ils sont proposés par un médecin. Mieux vaut s’en tenir à des traitements validés scientifiquement, qui suivent des conduites médicales précises. Dans ce domaine, il ne faut pas aller plus vite que la musique!» Au spécialiste de conclure sur cette évidence trop souvent méprisée: «Vieillir en bonne santé requiert du travail et de la discipline. Au médecin d’explorer la volonté et la personnalité du patient afin que les moyens de prévention et les traitements soient scrupuleusement suivis. Il y a des plans de prévention et de traitement qui marchent déjà, et, j’en suis certain, il y en aura encore plus à l’avenir. Mais il n’y a pas de recette miracle. Il faut faire le deuil de la pilule anti-âge.»

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* Longévité et Guide des médecines anti-âge(éditions Favre, 2012) et Anti-Ageing Medicine: Myths and Chances, results of a global and national study for the Swiss confederation innovation and technology Department, the Swiss Medical Academy of Science and the Center for Technological Assessement(Verlag, ETHZ, 2008, en open access sur http://www.vdf.ethz.ch/service/3225/9783728132253_Anti-Ageing-Medicine_OA.pdf.

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