Vitamine D: un remède face à l'hiver et au Covid-19?

Dernière mise à jour 04/02/21 | Article
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Des études suggèrent qu’elle pourrait protéger contre le coronavirus, mais elles comportent des biais. Il est donc inutile de se précipiter sur les suppléments vitaminés.

La vitamine D fait l’objet d’un véritable engouement depuis que certaines études ont suggéré qu’elle pourrait protéger contre diverses maladies, notamment les infections respiratoires. De là à penser qu’elle pourrait préserver contre le covid-19 ou limiter les formes graves de l’infection, il n’y a qu’un pas que certains ont vite franchi. Très vraisemblablement à tort.

Cette vitamine – qui est en fait une hormone – a certes d’incontestables bienfaits. Elle fixe le calcium dans les os qu’elle renforce, elle module son absorption par l’intestin et elle augmente la force musculaire. «Elle contribue aussi à diminuer la perte de calcium dans les urines et permet ainsi à l’organisme de le garder», précise le Pr Olivier Lamy, médecin-chef au Service de médecine interne et au Centre interdisciplinaire des maladies osseuses du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

À la différence des autres vitamines, on la retrouve rarement dans l’alimentation. Elle est présente dans l’huile de foie de morue qui n’est maintenant plus consommée – seuls les plus de 60 ans en gardent le mauvais souvenir de son goût. On la trouve aussi dans les poissons gras (saumon, hareng, anchois, maquereau, thon, etc.), les jaunes d’œufs et, dans une moindre mesure, dans les champignons et certains abats. Toutefois, pour obtenir suffisamment de vitamine D à partir de la nourriture, «il faudrait manger tous les jours des poissons gras, ce qui créerait des déséquilibres alimentaires», constate le médecin vaudois.

La principale source de cette vitamine reste en fait sa production par notre corps grâce aux rayons du soleil, en particulier les UVB. «On recommande de s’y exposer de 5 à 30 minutes, deux fois par semaine», précise la Pre Caroline Samer, responsable de l’Unité de pharmacogénomique et de thérapies personnalisées aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Un conseil difficile à suivre en hiver, sous nos latitudes. C’est ce qui explique que pendant la saison froide, on estime qu’en Suisse entre la moitié et les deux tiers des habitants ont une insuffisance en vitamine D, un petit nombre d’entre eux souffrant même d’une véritable carence (lire encadré).

Moins de fractures

Est-ce à dire qu’il faut se précipiter dans les pharmacies pour acheter des suppléments de vitamine D ou de calcium? Cela peut être utile pour les moins de trois mois, car ils ne sont pas exposés au soleil et que le lait maternel ne leur en fournit pas. De même pour les personnes obèses qui en manquent. Ou encore pour les plus de 65 ans, parce que la capacité de la peau à produire cette vitamine sous l’effet des rayons solaires baisse avec l’âge. «Entre 20 et 65 ans, pour une même surface de peau exposée, on en synthétise quatre fois moins», souligne Olivier Lamy. Chez les séniors, une supplémentation diminue le risque de chutes, donc de fractures. En revanche, chez les adolescents ou les jeunes adultes, «elle ne change rien», selon le spécialiste du CHUV.

Pourtant, la vitamine D a provoqué un véritable engouement chez les chercheurs et les médecins dont certains «recherchent la pilule miracle sans effets secondaires et qui ne coûte rien», remarque en riant le médecin du CHUV. À leur décharge, il faut dire que, dans les années 2000, de nombreuses études ont montré que les personnes qui avaient un taux élevé de vitamine D dans le sang seraient mieux protégées que les autres contre les pathologies cardiovasculaires, certains cancers, la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques ou les infections respiratoires. Mais, outre que ces travaux comportaient des biais, «ils ne montraient que l’existence d’une association entre le taux de vitamine D et la moindre survenue de ces maladies», souligne Olivier Lamy. Ils n’apportaient pas la preuve que ces personnes étaient protégées grâce à la vitamine D. «Celle-ci n’est peut-être que le témoin d’autre chose», ajoute-t-il. Cette suspicion a depuis été confirmée par d’autres études, randomisées et contrôlées, qui ont consisté à donner de la vitamine D à un groupe de volontaires et un placebo à un autre. Résultats, «il n’y a eu aucune différence entre les deux groupes, constate le professeur. Les seuls bénéfices qui ont été trouvés concernent les os et les muscles».

Certes, des analyses in vitro, c’est-à-dire sur des cellules, ont indiqué que cette vitamine pourrait avoir une influence sur le système immunitaire et réduire le risque d’infections. «Toutefois, les doses utilisées étaient cent à mille fois supérieures à celles qui sont recommandées. Il est donc impensable de les prescrire compte tenu de la toxicité de la vitamine D à haute concentration», explique le médecin.

Des études biaisées

La pandémie de covid-19 a toutefois remis la vitamine D sur le devant de la scène et fait ressurgir l’idée que cette substance pourrait avoir un rôle protecteur contre l’infection et/ou limiter la gravité de ses symptômes. Le gouvernement britannique s’apprêterait d’ailleurs à en distribuer gratuitement à deux millions de personnes vulnérables, à en croire The Telegragh.

Les articles sur le sujet dans la littérature scientifique se sont donc multipliés : «Depuis le début de l’année, on en compte déjà 332!», remarque Olivier Lamy. Caroline Samer en a fait une analyse détaillée. Elle remarque, comme son collègue du CHUV, que certaines de ces études mettent simplement en évidence «une association entre le déficit de vitamine D et la contamination au coronavirus, ce qui ne signifie pas qu’il y ait une relation de cause à effet ». D’autant, remarque-t-elle, que «les personnes âgées ou souffrant d’obésité dont on sait qu’elles ont un taux bas de cette vitamine sont aussi celles qui sont les plus à risque d’avoir une forme sévère de l’infection».

Quant aux rares études randomisées qui ont consisté à donner de la vitamine D à un groupe et un placebo à un autre et à comparer les effets sur l’infection, «elles renferment de nombreux biais méthodologiques, constate la professeure des HUG. Il est d’ailleurs possible que l’infection au coronavirus fasse baisser le taux de vitamine D. On n’en sait rien».

À ce jour, «nous n’avons pas d’arguments permettant de conclure à un effet positif de la vitamine D sur le coronavirus», résume Olivier Lamy. Il remarque en outre que «la grande majorité des personnes décédées de la covid-19 avaient 80 ans et plus. Ils s’agissaient pour beaucoup de résidents des EMS qui étaient tous supplémentés en calcium et en vitamine D. Cela ne les a donc pas protégés».

Inutile donc, pour tout un chacun, de consommer la précieuse vitamine sous forme de gouttes ou des gélules. «Sauf pour celles et ceux qui ont un déficit et qui doivent le corriger. Et cela, indépendamment du covid-19», conclut Caroline Samer.

Faut-il dépister le déficit en vitamine D à large échelle?

En Suisse, on estime qu’entre la moitié et les deux tiers des habitants ont une insuffisance en vitamine D, soit des taux entre 10 et 30 nanogrammes par millilitre (ng/ml) de sang. Un petit nombre d’entre eux souffre même d’une véritable carence (moins de 10 ng/ml) qui peut entraîner une déminéralisation des os (nommée ostéomalacie chez les adultes et rachitisme chez les enfants).

Cela signifie-t-il qu’il faudrait recommander un dépistage systématique de ces déficits? L’Office fédéral de la santé publique considère que ces examens sanguins ne sont pas nécessaires, alors qu’ils sont trop souvent prescrits. En outre, ils sont coûteux: à l’échelle du pays, leur coût s’est élevé à environ 90 millions de francs en 2018.

C’est aussi l’avis d’Olivier Lamy, médecin-chef au Service de médecine interne et au Centre Interdisciplinaire des maladies osseuses du CHUV. Ces examens «doivent être ciblés», souligne-t-il. Ils ne sont recommandés que lorsqu’il y a «une suspicion clinique de carence, par exemple un nombre élevé de fractures, ou lorsqu’un traitement contre l’ostéoporose n’a pas été suivi d’effet, indique l’expert. Chez les adolescents et les adultes en bonne santé, ils ne servent à rien».

Quant à conseiller à tout le monde de prendre quotidiennement cette vitamine, «c’est un non-sens», estime le médecin. D’abord parce que cela reviendrait à médicaliser, à vie, la population. Ensuite, car on prendrait le risque d’intoxiquer une partie de celle-ci, puisqu’à haute dose, la vitamine D est délétère». Ce n’est donc pas un hasard «si aucun pays au monde ne le recommande», conclut-il.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 10/01/2021.