Confinement et Covid-19: quel impact sur les troubles alimentaires?

Dernière mise à jour 20/11/21 | Article
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Repli sur soi, anxiété, perte de repères… le confinement lié à la pandémie du Covid-19 semble avoir favorisé l’émergence des troubles psychiques. Parmi ces derniers, les troubles du comportement alimentaire (TCA) se sont largement intensifiés, notamment chez les jeunes.

La crise sanitaire du Covid-19 a profondément bouleversé nos habitudes. Une économie en berne, des loisirs interrompus, une vie professionnelle chamboulée… L’angoisse latente liée à la pandémie et les restrictions sociales ont généré de lourdes conséquences, dont les spécialistes peuvent déjà mesurer l’impact. «Partout dans le monde, une augmentation des troubles alimentaires a été constatée. Ici, ce sont près de 20% de nouveaux patients qui sont venus consulter», rapporte la Pre Nadia Micali, médecin-cheffe du Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Hyperphagie, boulimie, anorexie: pourquoi les TCA ont-ils augmenté pendant la crise sanitaire?

Troubles alimentaires et prise de poids en hausse

Durant la pandémie, l’ensemble de la population a vu ses habitudes alimentaires changer. Plus de malbouffe, moins de sport… Selon les résultats compilés de trois études parus dans un article de la Revue Médicale Suisse, un phénomène de suralimentation a été observé dans une majorité de pays développés. «Une hyperphagie majorée», caractérisée par «une consommation accrue d’aliments malsains, des repas non-contrôlés, davantage de grignotages»: le confinement semble avoir eu un réel impact tant sur la qualité que sur la quantité des aliments. S’est-il agi de remplir un vide inhabituel, de ponctuer des journées décousues, de procurer un sentiment de sécurité factice? Une prise de poids a en tout cas été observée chez 27% des personnes interrogées, majoritairement au sein de la population déjà atteinte d’obésité (33%). Des personnes souffrant d’hyperphagie ou de boulimie non-vomitive ont vu leur trouble amplifié par une situation aussi inédite qu’angoissante. Des chercheurs américains ont même désigné de «covibésité» cette combinaison de deux épidémies mondiales – Covid-19 et obésité. Mais les troubles alimentaires compulsifs, affections psychiques graves, peuvent-ils vraiment s’être installés à cause de la pandémie?

Le confinement: un déclencheur de TCA?

La période de restrictions sanitaires que nous avons connue est-elle responsable du développement de TCA? En partie, indique la Pre Micali: «Le stress et l’anxiété générale – et probablement la diminution des activités – provoqués par la pandémie ont imposé de devoir gérer des émotions négatives avec moins d’outils à disposition.» L’hyperphagie – trouble le plus répandu parmi la population – mais aussi la boulimie et l’anorexie mentale ont, depuis deux ans, tous largement augmenté. En effet, 65% de patients atteints de TCA ont constaté une dégradation manifeste de leur maladie durant le confinement, rapporte une étude publiée en août 2021 dans la revue spécialisée European Eating Disorder Review. L’apparition de nouvelles sources d’angoisse comme la peur de l’infection, l’isolement social et les difficultés socio-économiques semblent avoir amplifié l’état anxieux de personnes déjà souffrantes. Mais ce climat pourrait aussi, selon les observations rapportées, avoir favorisé le développement de troubles de l’alimentation chez des personnes jusqu’alors en bonne santé.

L’anorexie et le repli sur soi

S’il est peu probable qu’un trouble tel que l’anorexie mentale apparaisse du simple fait du confinement, cette expérience inédite a pu être un révélateur. «Un stress lié à l’application rigoureuse des restrictions sanitaires est venu bouleverser une routine maîtrisée, générant incertitudes angoissantes, anxiété récurrente et pensées intrusives parfois obsessionnelles. La perte de repères sociaux et l’irritabilité déjà accrue au sein de la population ont agi comme un déclencheur chez les personnes affectées par ce trouble», explique le Dr Benjamin Boutrel, neurobiologiste spécialiste des troubles alimentaires et addictifs au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). «Chez les plus jeunes, l’absence d’interactions sociales réelles et, en parallèle, la grande fréquentation des réseaux sociaux ont pu exacerber non seulement le repli sur soi, mais aussi une image idéale de minceur à atteindre, celle de corps s’étalant sur Instagram, par exemple», ajoute le spécialiste.

Un engrenage dans lequel s’est vue entraîner Sophie, 25 ans, atteinte d’anorexie restrictive depuis dix ans: «Lorsque le Covid est arrivé, tout a été perturbé dans ma vie. Plus de cours à l'université, plus de consultation sur place, plus de vie sociale… J'avais besoin de me confier.» Un isolement social mais aussi thérapeutique aux effets délétères, témoigne-t-elle encore: «Peu à peu, je me suis davantage focalisée sur les calories que je mangeais, en les réduisant de plus en plus. Je me disais que je ne "méritais" pas de manger "comme d'habitude" car je faisais moins d'activité physique… J'étais angoissée par l’avenir.» Et de continuer sur sa relation aux réseaux sociaux: «Je pense qu'il faut être prudent car, lorsqu’on est fragile et qu'on a très peu confiance en soi, on peut très vite se laisser influencer par ce que l'on voit. Les photos de "filles parfaites" m'ont toujours fascinée, malgré le fait que certaines photos soient truquées.»

Soigner les TCA au temps du Covid

Les mesures sanitaires se sont peu à peu relâchées, mais les pathologies psychiques ne se sont pas pour autant résorbées. Plus que jamais, les soins doivent être personnalisés, le patient pris en charge par des spécialistes, mais aussi entouré par ses proches. «C’est très important de pouvoir identifier les troubles le plus vite possible et consulter une équipe spécialisée dans la foulée. Les familles sont aussi indispensables pour aider à la guérison. Elles souffrent beaucoup, mais elles restent une ressource essentielle pour leur proche et pour l’équipe médicale», conseille Nadia Micali, qui est aussi experte internationale des TCA et qui a mis en place la consultation ALINEA au sein des HUG. Un lieu thérapeutique de pointe, qui offre une prise en charge multidisciplinaire aux jeunes touchés par un trouble alimentaire.

De son côté, Sophie prend part à un groupe de soutien sur Internet, un moyen de se sentir moins seule dans sa maladie. Elle y retrouve des jeunes femmes, «ses copines de combat» qui, comme elle, avancent sur le chemin de la guérison. «Nous partageons nos histoires, nos difficultés, nos victoires, notre quotidien et surtout, nous nous soutenons.»

Faut-il s’inquiéter?

Quels sont les signes qui évoquent un trouble du comportement alimentaire chez un enfant ou un adolescent?

  • Une prise de poids ou un amaigrissement rapide et/ou inhabituel.
  • D’importantes restrictions alimentaires ou, à l’inverse, de grandes absorptions de nourriture dans un court laps de temps.
  • Un intérêt accru pour la nourriture, sa composition, et un calcul systématique des calories et des dépenses énergétiques.
  • Un évitement des repas en famille ou entre amis.
  • Une attention plus marquée pour son poids et sa silhouette, une déformation de sa propre image (dysmorphophobie), une idéalisation de la maigreur.
  • Un repli sur soi ou une perte de confiance en soi, une baisse des interactions sociales.
  • Des symptômes dépressifs : angoisses, tristesse, fatigue, irritabilité, mal-être, perte de concentration, troubles du sommeil, etc.
  • Des signes physiques tels que des carences marquées, une absence de règles (aménorrhée), d’importantes pertes de cheveux, des problèmes dentaires.
  • Une utilisation anormale de laxatifs ou de diurétiques.

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Paru dans le hors-série «Votre santé», La Côte/Le Nouvelliste, Novembre 2021.

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