Cannabis, LSD & Co: espoirs thérapeutiques

Dernière mise à jour 27/01/20 | Article
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Et si certaines drogues illégales pouvaient être prescrites pour soigner certaines maladies? De récentes expériences laissent entrevoir cet espoir.

Cannabis, champignons hallucinogènes, LSD, ecstasy et autres drogues à la réputation tout aussi sulfureuse pourraient bientôt être couramment prescrites, notamment contre les dépressions sévères, le syndrome de stress post-traumatique ou les troubles obsessionnels compulsifs. C’est du moins ce qu’on peut lire depuis quelques années dans certains médias qui parlent d’un regain d’intérêt, voire d’un retour en grâce de ces drogues dans l’arsenal pharmaceutique des médecins. Qu’en est-il exactement?

«En fait, une seule de ces substances est actuellement autorisée sur le marché suisse avec des indications thérapeutiques», répond Lukas Jaggi, porte-parole de l’autorité suisse d’autorisation des médicaments, Swissmedic. Il fait allusion au spray buccal Sativex, autorisé en Suisse depuis fin 2013. Ce médicament contient en effet du THC (tétrahydrocannabinol) et du cannabidiol (CBD), deux molécules présentes dans le cannabis. Le CBD possède essentiellement des propriétés calmantes et anticonvulsives. Mais il n’exerce pas d’effet euphorisant, contrairement au THC qui agit lui aussi contre les douleurs et stimule l’appétit – un effet souvent recherché chez les sujets âgés.

Alternatives aux solutions classiques

Le retour en grâce de certaines drogues illégales dans la recherche académique pourrait avoir plusieurs raisons. Tout d’abord, les résultats des études ont toujours parlé plutôt en leur faveur. Ensuite, les préoccupations grandissantes autour de la dépression, qualifiée de mal du siècle, fournissent des arguments supplémentaires au développement d’alternatives à l’arsenal thérapeutique classique. Enfin, les profils de risque de ces substances sont connus depuis longtemps. Mais c’est justement l’ancienneté des molécules en question qui pourrait freiner à nouveau la recherche scientifique. En effet, plus aucun brevet ne peut être déposé, ce qui diminue les perspectives de rentabilité d’un éventuel médicament.

Indications variées pour le CBD

Le spray Sativex est indiqué chez les patients atteints de sclérose en plaques, lorsque les autres traitements contre la spasticité musculaire (contractures involontaires) ont échoué. Mais les médecins peuvent aussi administrer des cannabinoïdes – dans la pratique, il s’agit surtout du CBD – via une ordonnance dite magistrale, c’est-à-dire que la préparation doit être effectuée par le pharmacien pour un cas spécifique.

L’efficacité du CBD contre l’anxiété, les troubles obsessionnels compulsifs et l’état de stress post-traumatique aurait été démontrée par de nombreuses études. «Chez certaines personnes souffrant de rhumatismes, on peut aussi constater un effet anti-inflammatoire, une diminution des douleurs et une amélioration du sommeil», ajoute Eva Rösch, responsable des relations publiques de la Ligue suisse contre le rhumatisme. «Officiellement, à partir d’une teneur de 1%, les préparations contenant du THC doivent être prescrites exclusivement à des patients qui souffrent d’une maladie considérée comme grave et chez qui toutes les voies thérapeutiques conventionnelles ont été épuisées», précise-t-elle.

En dessous de cette limite de concentration, la loi autorise la vente libre de produits à base de CBD, qui sont néanmoins soumis à une réglementation stricte en Suisse. Ils sont destinés principalement à un usage en automédication pour soulager les maux du quotidien (douleurs chroniques, stress, troubles du sommeil) sans promesse de guérison. Si les études manquent encore pour mettre en évidence les bienfaits du CBD, même à faible dose, il n’est pas exclu que ce produit puisse entraîner des effets secondaires. C’est en particulier le cas s’il est fumé avec adjonction de tabac, ce qui amène un risque d’addiction à la nicotine, de maladies pulmonaires et de cancers. Comme tout produit de phytothérapie, le CBD en automédication doit donc être utilisé avec mesure et un avis médical est recommandé avant de le substituer à un traitement classique.

Effets très rapides pour l’eskétamine

Eskétamine versus kétamine

Avant l’eskétamine, qui a été légalisée sur le marché américain au mois de mars, c’est une substance dont elle est justement dérivée, la kétamine, qui semblait promise à une éventuelle commercialisation. En Suisse, cette amine est légalement utilisée uniquement en tant qu’anesthésiant. Mais ses effets stupéfiants lui ont parallèlement valu un certain succès sur le marché clandestin, surtout dans les pays anglo-saxons où elle est vendue sous des noms divers comme Ket, Special K ou Vitamine V. Or, selon un article publié dans The Lancet Psychiatry en 2017, la kétamine pourrait «constituer un traitement remarquable chez certaines personnes souffrant de dépressions sévères et résistant à toutes les autres approches médicamenteuses». Une information que confirme le Dr Markus Kosel, auteur de recherches cliniques aux HUG en 2010 et 2011: «La kétamine montre une certaine efficacité chez des personnes dépressives ne répondant pas à plusieurs antidépresseurs classiques.»

Une autre substance associée à une drogue vient d’être autorisée sur le marché américain: l’eskétamine. Ce dérivé de la kétamine, un anesthésique susceptible de provoquer une expérience de décorporation (sentiment de sortir de son corps) et des hallucinations, peut en effet être légalement utilisé comme antidépresseur depuis le mois de mars, sous forme de spray nasal. «Ce nouveau traitement semble avoir une efficacité antidépressive qui se manifeste en quelques jours, voire en quelques heures, chez un certain pourcentage de patients résistants aux antidépresseurs classiques», indique le Dr Markus Kosel, médecin adjoint agrégé et responsable de l’Unité de psychiatrie du développement mental des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

La rapidité du soulagement observé est d’autant plus intéressante que les effets des antidépresseurs classiques ne se font généralement pas sentir avant plusieurs semaines, et qu’une proportion non négligeable de patients (jusqu’à 30%) y est de toute manière insensible. De fait, l’eskétamine pourrait contribuer à la prévention du passage à l’acte durant la crise suicidaire. Une demande d’autorisation a été déposée début 2019 auprès de Swissmedic. Mais impossible de savoir quand les autorités rendront leur décision.

Essais en cours pour d’autres psychotropes

D’autres substances illégales comme le LSD, l’ecstasy ou la psilocybine des champignons hallucinogènes sont pressenties pour entrer elles aussi dans les pharmacopées. Plusieurs sont – ou ont été – étudiées en Suisse: la kétamine à Genève, le LSD à Bâle, la psilocybine à Zurich. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) déclare suivre «avec beaucoup d’attention» ces travaux qu’il qualifie de «prometteurs». Cependant, selon plusieurs experts interrogés, il faudra encore attendre une dizaine d’années avant de pouvoir dire quelles substances seront efficaces et pour quelles indications.

Certains espoirs reposent sur l’ecstasy. Les essais cliniques sur son potentiel dans le traitement du syndrome de stress post-traumatique (SSPT) sont en effet considérés encourageants. Connue sous le nom scientifique de méthylène dioxyméthamphétamine ou MDMA, l’ecstasy ferait baisser l’activité de l’amygdale, siège des émotions primitives, de sorte que la peur suscitée par l’évocation de certains souvenirs douloureux diminue. Autrement dit, cette amphétamine modifie la perception des événements traumatiques, ce qui permet d’y repenser plus calmement et donc de les intégrer. Par un mécanisme encore mal compris, la MDMA stimule également la production d’ocytocine, hormone associée à la création des liens humains («bounding»). La FDA (Food and Drug Administration), équivalent américain de l’Agence européenne du médicament, a décidé l’année dernière d’autoriser une étude à grande échelle chez des personnes souffrant d’un SSPT, et une demande similaire a été déposée en Europe.

Faible risque d’addiction sous contrôle médical

Aucune drogue n’est anodine et l’automédication est une démarche extrêmement risquée, tiennent à souligner à l’unanimité les experts. Cependant, lors d’une administration médicamenteuse assistée, la probabilité de développer une addiction est très faible, voire inexistante, selon un article de synthèse publié en 2017 dans la revue Swiss Archives of Neurology, Psychiatry and Psychotherapy. Plus de 2000 papiers scientifiques auraient été publiés sur la consommation médicalement contrôlée de LSD et de psilocybine, et l’analyse des résultats révèle un profil de sécurité très favorable. En effet, le cadre médical fournit une garantie. De plus, les doses prescrites sont très faibles.

La Suisse à l’avant-garde de la recherche

Rappelons également que toutes ces drogues sont connues depuis longtemps. Des rituels chamaniques incluant la consommation de psilocybine ont été pratiqués il y a plus de 1000 ans avant Jésus-Christ. Le cannabis a probablement été utilisé à des fins thérapeutiques dès le 18e siècle. Le LSD, ou acide lysergique diéthylamide, a fait l’objet d’innombrables essais cliniques depuis sa découverte en 1938 par le bâlois Albert Hoffmann, alors employé par l’entreprise Sandoz qui a fusionné ensuite avec Ciba-Geigy pour devenir l’actuelle Novartis.

C’est la consommation abusive au niveau collectif, observée dès la fin des années 50, qui a poussé les gouvernements à bannir progressivement les drogues dites récréatives. Du coup, les essais scientifiques ont été stoppés – mais pas complètement: en Suisse, les autorités fédérales ont toujours maintenu ouverte la possibilité de continuer à effectuer des recherches académiques, moyennant autorisation spéciale. Ces dernières n’ont vraiment repris que vers le milieu des années 90, grâce à la participation de prestigieux instituts de recherche internationaux.

En Suisse, le psychiatre soleurois Peter Gasser passe pour un pionnier: en 2007, il lance les premiers essais-pilote sur le LSD depuis l’interdiction progressive de cet hallucinogène par les autorités nationales, dès 1968. Aujourd’hui, Peter Gasser se dit convaincu que cette substance peut être «d’un grand secours dans une psychothérapie», en particulier lors de dépression. En 2012, une méta-analyse publiée dans le Journal of Psychopharmacology sur des patients souffrant de dépendance alcoolique a révélé que 59% des sujets traités par LSD avaient vu leur état s’améliorer dès le premier examen de suivi, contre seulement 38 % dans les groupes-contrôle. Mais le LSD pourrait aussi s’avérer utile dans le traitement des céphalées en grappe, des maux de tête extrêmement douloureux. Affaire à suivre, donc.

L’histoire hallucinante de la psilocybine

Substance psychoactive des champignons hallucinogènes, la psilocybine permettrait d’atténuer l’activité de certaines zones du cerveau hyperactives chez les personnes déprimées. Un essai sur des sujets sains a montré une amélioration subjective de la qualité de vie, présente encore une année plus tard chez 65% des individus, ainsi qu’une modification de la personnalité dans le sens d’une plus grande ouverture aux autres. La commercialisation ne devrait toutefois pas être pour bientôt. L’entrée en phase 3 (dernière étape avant la mise sur le marché) d’un antidépresseur à base de psilocybine avait été annoncée l’année dernière avec un certain optimisme médiatique. Mais la nouvelle a rapidement suscité des soupçons d’empressement, voire de manque de professionnalisme, chez le petit laboratoire concerné, Compass Pathway, qui aurait été fondé en 2016 à Londres par un couple d’entrepreneurs sans expérience remarquable dans le domaine de la recherche pharmaceutique, selon le site d’informations indépendant Quartz.

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Paru dans le hors-série «Votre santé», Le Nouvelliste/La Côte, Novembre 2019.

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