L’abus d’écran a de multiples effets néfastes sur la santé

Dernière mise à jour 11/07/17 | Article
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Les études ne sortent qu’au compte-gouttes, mais ne laissent pas de place au doute: les écrans ont potentiellement un réel pouvoir de nuisance sur l’état physique et psychologique.

De quoi on parle

L’actrice américaine Dakota Johnson, suivie par 1,5 million de personnes sur Twitter, a décidé de freiner son activité sur les réseaux sociaux parce que, explique-t-elle, ça lui donnait l’impression de se faire exploiter. Cette mise en retrait de la sphère internet est adoptée par de plus en plus de personnalités publiques.

Ils sont partout. D’une aide et d’une richesse inouïes dont on ne pourrait plus se passer, les écrans sont les alliés de chaque instant, une source de distraction et de communication illimitée. Le souci? Quand leur utilisation tourne à l’addiction, cela a des conséquences néfastes sur le corps et l’esprit: entrave au développement psychomoteur, social et même osseux des enfants, risque accru de myopie, démultiplication du risque d’obésité, dérèglement du sommeil, bouleversement de l’humeur, mise à mal des capacités d’attention, périls sociaux en tout genre, tendance aux comportements à risques. «Tout dépend de pourquoi, quand et comment nous utilisons nos smartphones, télévisions et autre tablettes», précise le Dr Sophia Achab, psychiatre et responsable du programme spécialisé dans les addictions sans drogues au Service d’addictologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Mais le danger est bien réel. «Contenus attractifs et stimulants, disponibilité à toute heure, retours réveillant nos instincts les plus primaires liés à la sexualité, à la mise en danger ou encore à l’argent: qu’il s’agisse de jeux, de rencontre ou encore d’achat en ligne, tous les ingrédients sont réunis pour faire émerger un comportement addictif.»

Mon ado est-il accro aux jeux vidéo?

Casque vissé sur les oreilles, yeux hypnotisés sur le combat en cours entre hordes alliés et ennemies, clics frénétiques pour faire jaillir les étincelles tueuses: un adolescent mué en gameur des heures durant exaspère et angoisse nombre de parents. Pourtant le temps de jeu n’est pas forcément le cœur du problème. «Les MMORPG (comprendre «jeu de rôle en ligne massivement multijoueur») tels que «World of Warcraft» contiennent des contraintes de jeu rapidement chronophages, explique Coralie Zumwald, psychologue au Centre de prévention du jeu excessif à Lausanne. Les signaux inquiétants sont plutôt à observer sur une dégradation de la vie sociale ou scolaire du jeune.» S’il n’y a pas aujourd’hui de consensus pour poser un diagnostic d’addiction aux jeux vidéo, consulter peut débloquer une situation explosive. «Il peut arriver que des parents s’inquiètent d’une phase qui se révélera transitoire et sans gravité, note la psychologue. La clé est souvent de pouvoir construire avec lui des règles de vie au sein de la famille. D’autres fois, le jeu masque des troubles anxieux ou une dépression qu’il faut par contre absolument prendre en charge.» En cas de questionnement, consulter le site www.indexaddictions.ch.

Facteurs biologiques

Si l’OMS évoque des «troubles d’usage d’Internet et de dispositifs similaires», les experts peinent encore à définir la «cyberaddiction»: «Le temps passé devant les écrans n’est de loin pas le seul élément permettant de parler d’addiction, insiste le Dr Achab. Nous sommes face à un phénomène complexe, nouveau, impliquant une multitude de facteurs, de conséquences, entremêlé de différences culturelles sur l’usage des écrans. Donc, ce qui doit servir d’alerte est avant tout la souffrance de la personne ou le cri d’alarme poussé par l’entourage, ainsi que la perte de fonctionnement de l’individu. La cyberaddiction s’accompagne souvent de troubles mentaux qu’elle peut parfois masquer, dépression, troubles anxieux ou encore dépendance à une drogue.»

En Suisse, 3,7% de la population aurait un usage «symptomatique» d’Internet, et 0,9% en aurait une utilisation «problématique». «Les écrans constituent un vrai désastre pour les personnes ayant un terrain propice aux troubles de l’attention, à la procrastination ou qui traversent une période de vie difficile», constate le Dr Nader Perroud, psychiatre, responsable du programme Troubles de la régulation émotionnelle des HUG. Des écrans de smartphones qui scintillent de SMS en notifications frénétiques, de l’écran de télévision qui hypnotise des heures durant en passant par l’excitation de se sentir un superhéros ou un tombeur en quelques clics: les écrans ont de quoi faire dévier de la vie et de ses obligations. Et le phénomène est probablement renforcé par des facteurs biologiques: «Tout porte à croire que les sensations véhiculées par les écrans activent les circuits biologiques de la récompense, comme le ferait n’importe quelle drogue, indique le Dr Perroud. Il est évident que les jeux ou discussions en ligne nous procurent une excitation et une récompense immédiates que nous fournissent difficilement nos tâches du quotidien!» Les médecins accueillent de plus en plus de personnes qui sentent perdre le fil de leur quotidien.

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Incidences sur le sommeil

Reste que la prise de conscience est urgente. Quelques chiffres: deux heures de télévision par jour augmentent d’environ 20% le risque de diabète et d’obésité, de 15% celui de développer une maladie cardio-vasculaire et de 13% de mourir prématurément… Ces taux augmentent à chaque heure supplémentaire. Sans parler des effets dévastateurs sur le sommeil, constatés par tous les experts. «La lumière bleue émise par les tablettes et autres écrans d’ordinateur bloque la sécrétion de mélatonine, l’hormone inductrice de sommeil, explique le Pr Thomas J. Wolfensberger, directeur médical ad interim de l’Hôpital ophtalmique Jules-Gonin, à Lausanne. Résultat: la nuit avance face à un écran qui nous tient insidieusement éveillés, la production de mélatonine se décale, et nous épuise durant la journée.» La clé? «Idéalement, s’éloigner de tout écran deux heures avant l’heure du coucher. Si cela n’est pas possible, les équiper de filtres grâce à des applications qui délivrent des couleurs plus chaudes pour contrecarrer la lumière bleue», conseille l’ophtalmologue. Un autre phénomène oculaire inquiète les médecins: le risque accru de myopie. «Contraints d’accommoder la vision sur des écrans proches, les muscles autour du cristallin se crispent et, à terme, peuvent peiner à se détendre pour assurer la vision à distance, reprend le Pr Wolfensberger. Il est crucial, au moins une heure par jour et surtout pour les enfants, d’être à l’extérieur pour forcer la vision de loin.»

Le Dr Achab pointe enfin un autre problème: «Le sentiment «océanique» de partage avec les autres de ce que l’on vit, de ce que l’on pense et le retour que nous en attendons est quelque chose de vertigineux, qui pose des questions tout aussi infinies sur l’intime, la présence au monde, la relation à l’autre, la place générationnelle. Mais Internet ne nous appartient pas et, à ce jour, il n’y a pas de retour en arrière possible sur ce que nous livrons de nous ou des autres. La prudence est donc de mise.» Alors que faire devant tous ces dangers? Si chacun peut agir individuellement, la collectivité a aussi un rôle à jouer. «À un défi multidisciplinaire, il faudra trouver des réponses multidisciplinaires impliquant des médecins, des juristes, des ingénieurs, des éthiciens, et la communauté internationale dans son ensemble, estime la spécialiste. Le défi est passionnant, mais encore immense.»

Pas d’écran avant 3 ans

«Le défi est de taille: nos enfants sont exposés à un monde de progrès technologies extraordinaires, dont ils sont les premiers adeptes, mais vis-à-vis desquels ils sont aussi les plus vulnérables», alerte le Dr Nathalie Farpour-Lambert, pédiatre, responsable du programme Contrepoids aux HUG. Augmentation du risque d’obésité proportionnel au temps passé devant un écran, dérèglement du sommeil, lacunes dans le développement psychomoteur par manque d’activités ayant trait à la «vraie vie», multiplication des comportements violents après avoir joué à des jeux en ligne avant l’âge requis, troubles de la santé osseuse à cause d’un manque d’activité physique: la liste est longue. La Société suisse de pédiatrie a posé les limites: pas d’écran avant l’âge de 3 ans, et au maximum deux heures par jour ensuite. Comment gérer? «En assumant notre rôle de parent, sans utiliser les écrans comme babysitter, insiste le Dr Farpour-Lambert. Pour bien grandir, les enfants ont besoin d’attention, d’interactions sociales et de limites.» Les plus saines? «Limiter le temps d’usage, éloigner tout écran deux heures avant l’heure du coucher, maintenir un contrôle sur les contenus et organiser des règles de vie assumées, mais discutées en famille.»

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Référence:

Paru dans Le Matin Dimanche, numéro du 5 mars 2017

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