Mieux vivre ses émotions au travail

Dernière mise à jour 07/02/22 | Article
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Longtemps mal vues ou passées sous silence, les émotions font aujourd’hui l’objet de recherches scientifiques pour une meilleure compréhension et une plus grande acceptation dans le monde du travail.

Colère, joie, déception, amertume, tristesse… Faut-il ranger ses émotions au vestiaire lorsqu’on arrive au travail? Dans notre société, on a longtemps jugé que le vécu émotionnel propre à chacun n’était pas compatible avec le monde professionnel et ses exigences. Les recherches scientifiques tendent à prouver le contraire: émotions et travail ne seraient pas si incompatibles. Donald Glowinski, chargé de cours auprès du Centre interfacultaire des sciences affectives de l’Université de Genève (UNIGE) et directeur du programme «Compétences émotionnelles en situation professionnelle»*, témoigne de cette évolution: «L’enjeu de nos recherches est de montrer à quel point les émotions sont importantes, voire nécessaires, dans les processus décisionnels et d’apprentissage. Il faut apprendre à les reconnaître et à mesurer leur impact pour éviter qu’elles ne deviennent une entrave.» Les préjugés en la matière sont pourtant encore nombreux.

De nombreux préjugés

Les émotions ont tendance à être mal vues, parce qu’elles renvoient à la part animale de l’individu et qu’elles sont, en ce sens, associées à une forme d’imprévisibilité et de perte de contrôle. Leur irruption dans le monde professionnel pourrait mettre à mal les protocoles, processus et formats mis en place au sein d’une hiérarchie ou d’une équipe. C’est ce que l’on craint, du moins. Elles sont aussi souvent perçues comme un signe de faiblesse de la part de celui qui les exprime. Partager un inconfort, un sentiment de déception, de frustration, de tristesse, voire de colère peut traduire une forme de fragilité qui risque ensuite de nous être reprochée. Et puis, il y a cette idée préconçue selon laquelle il y aurait des émotions adéquates et d’autres qui seraient déplacées. Certaines étant en effet socialement plus acceptables que d’autres, en fonction des situations ou des positions hiérarchiques. «La colère, par exemple, est acceptée, voire même appréciée, quand elle émane d’une personne qui occupe une fonction de pouvoir, alors qu’elle est perçue comme une marque de faiblesse et un manque de maîtrise chez un subalterne», observe Donald Glowinski. Lorsqu’elles ne sont pas déniées, les émotions peuvent être utilisées à des fins précises, comme l’ont montré certains courants dans les ressources humaines: «On leur accorde de l’importance, pour autant qu’elles soient positives et qu’elles augmentent la productivité des travailleurs.» Cela a donné lieu aux «team building» (activités pour renforcer la cohésion d’une équipe) ou aux «happiness officer» (employés engagés pour s’assurer du bien-être des collaborateurs au travail).

Parmi les autres idées reçues: la façon dont les émotions se vivent selon les différents secteurs professionnels. Certains domaines seraient plus propices à accueillir les émotions que d’autres, dont elles seraient absentes. Dans les faits, selon le chercheur, elles sont partout, mais leur traitement ou le rôle qu’on leur attribue peut être différent. Dans les domaines du social, des soins ou de l’hôtellerie, où le relationnel est au centre, on reconnaît qu’elles ont un rôle, mais elles sont en réalité peu reconnues et bizarrement passées sous silence, note le spécialiste: «Face à la détresse sociale, certains collaborateurs ont tendance à minorer leur propre ressenti, ce qui peut mener à des situations d’épuisement. Dans l’hôtellerie, l’écoute et le sourire font partie des codes, mais il y a un décalage entre les émotions de surface qu’on nous demande d’exprimer et les émotions profondes, réellement ressenties.» Or, plus ce décalage est fort, plus le risque de souffrance est grand.

Vers plus de bien-être

Comment gérer le ressenti au travail? Faut-il faire semblant, rester impassible en toute occasion ou aller vers plus d’authenticité et avouer ce qui nous anime vraiment? Pour Donald Glowinski, savoir reconnaître ses propres émotions, mais aussi identifier celles des autres, est bénéfique à plus d’un titre. Sur le plan purement professionnel, écouter ses sensations, son ressenti et ses signaux physiques peut permettre d’affiner la prise de décision et l’arbitrage. La compréhension d’une situation peut être plus fine si l’on tient compte des paramètres objectifs et subjectifs. Même les métiers dans lesquels on dit qu’il faut du «sang-froid» pour gérer des situations extrêmes, supposent une attention aux émotions et aux sensations physiques pour agir et se réguler. «Les pilotes parlent ainsi de "pilotage aux fesses" pour rappeler que voler ne peut se réduire à appliquer des procédures standardisées», note le spécialiste.

Tenir compte de ses intuitions est une façon de capitaliser le vécu émotionnel. Sur un plan plus personnel, on peut ainsi prendre conscience des ressources et identifier nos besoins dans une optique de bien-être au travail. Il ne s’agit pas pour autant de mélanger vie privée et vie professionnelle et encore moins de s’épancher: «Détecter les situations d’inconfort permet de sortir du sentiment d’impuissance et de retrouver le pouvoir d’agir.» Des exercices de mise en situation et des entraînements peuvent aider à sortir de l’impasse et à exploiter intelligemment notre vécu émotionnel, même quand le contexte n’y est pas propice.

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* Plus d’informations sur: www.unige.ch/formcont/cours/competences-emotionnelles

Paru dans le hors-série «Votre santé», La Côte/Le Nouvelliste, Novembre 2021.

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