Alimentation et émotions sont intimement liées

Dernière mise à jour 27/09/21 | Article
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Le contenu de notre assiette influence notre humeur et notre santé mentale, lesquelles, inversement, guident nos choix alimentaires.

On en a tous fait l’expérience: un coup de blues, un gros souci, parfois même une simple contrariété et l’on se jette sur des barres chocolatées, des biscuits ou des chips – à moins qu’au contraire, on ait l’appétit coupé. Nos émotions guident souvent nos choix en matière de nourriture et, à l’inverse, certains aliments modifient notre humeur et influencent notre santé mentale.

«Pendant longtemps, chercheurs et médecins ne s’intéressaient qu’aux effets de la prise de nourriture sur le bien-être physique et ignoraient ses conséquences sur les émotions, l’humeur et le mental. Ce n’est maintenant plus le cas et on assiste même à l’émergence d’une nouvelle discipline, la psychiatrie nutritionnelle», souligne Géraldine Coppin, professeure de psychologie à Unidistance et membre associée au Centre interfacultaire en sciences affectives de l’Université de Genève (UNIGE).

«On observe clairement ce lien chez les personnes en situation d’obésité, constate le Pr Zoltan Pataky, responsable de la consultation d’obésité des adultes des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Nombre de mes patients et patientes utilisent l’alimentation comme régulateur de leurs émotions.» Cela vaut aussi pour M. et Mme tout le monde. «Dans certaines situations, certains aliments nous réconfortent plus que d’autres», poursuit l’expert.

Il en va de même chez les personnes dépressives. «Elles peuvent se nourrir de produits gras et sucrés, en pensant que cela va leur faire du bien, alors que c’est plutôt le contraire qui se passe», ajoute la chercheuse de l’UNIGE.

Des impacts sur le cerveau

Quand le moral est en berne ou que le stress s’accumule, on a en effet souvent tendance à se ruer sur des mets riches en glucides (présents dans les confiseries, les pâtisseries, mais aussi dans les féculents, les céréales, etc.). «Les sucres sont en effet connus pour avoir un effet calmant et même antidépresseur», précise Zoltan Pataky.

Rien d’étonnant quand on sait qu’ils agissent sur le cerveau. Ils augmentent en effet le taux de tryptophane. Or, cet acide aminé contribue à la production de sérotonine, un neurotransmetteur (messager chimique assurant la communication entre les neurones) «dont l’effet calmant est immédiat», ajoute le spécialiste. Un carré de chocolat et l’on voit la vie en rose, même si cela ne dure qu’un temps.

En cas de déprime, celles et ceux qui sont plutôt «bec salé» préfèrent souvent se précipiter sur des aliments riches en protéines (viande, poisson, œuf, produits laitiers, céréales, légumineuses…). C’est aussi pour elles et eux une manière de réguler leurs émotions. Car ces mets augmentent le taux d’un autre acide animé, la tyrosine. Celle-ci est un précurseur de la dopamine, un neurotransmetteur qui influence notamment l’humeur et intervient dans le circuit de récompense (lire encadré).

D’autres individus recherchent plutôt une alimentation riche en graisses (charcuterie, fromages, etc.).  «Certains de mes patients et patientes se sentent beaucoup mieux après avoir mangé du chorizo, dit en souriant Zoltan Pataky. Mais on connaît encore mal l’impact de ces lipides sur les neurotransmetteurs.»

Les aliments ont un autre impact, plus indirect, sur le cerveau. Ils agissent sur le microbiote et modifient rapidement – «parfois en quelques jours», précise le médecin des HUG – la proportion des diverses espèces de bactéries qui peuplent notre flore intestinale. Dans la mesure où ces micro-organismes produisent des métabolites qui ont des effets sur les différents neurotransmetteurs, ils influencent l’humeur et le comportement. En témoigne cette expérience faite sur deux lignées de souris, les unes douces et les autres agressives. Il suffit d’échanger leurs flores intestinales pour que leurs comportements s’inversent, les premières devenant batailleuses et les secondes dociles. «La modification du microbiote change par ailleurs la sécrétion de certaines substances, comme les facteurs neurotrophiques qui stimulent la croissance de nouveaux neurones», ajoute Géraldine Coppin. C’est dire jusqu’où peuvent aller les conséquences de nos choix alimentaires.

La nourriture peut améliorer le bien-être

Se rassurer en mangeant des bonbons, retrouver le sourire en consommant des produits laitiers ou de la charcuterie, pourquoi pas? Mais les ennuis commencent quand on abuse de ces petits plaisirs. En particulier des sucres et des graisses qui apportent de nombreuses calories induisant surpoids, obésité et toutes les pathologies qui y sont associées, comme le diabète, l’hypertension artérielle et bien d’autres affections. «Toute une cascade de maladies physiques se développe donc à partir de nos émotions», commente Zoltan Pataky.

Un autre écueil guette aussi. Après avoir mangé un gâteau ou une tranche de terrine pour se réconforter, on se sent coupable et, les jours suivants, on réduit drastiquement le contenu de son assiette dans l’espoir de perdre rapidement des calories. Cette «restriction cognitive», comme l’appellent les médecins, «engendre une frustration qui peut donner naissance, tôt ou tard, à des troubles alimentaires tels que la boulimie», souligne le professeur des HUG. On devient anxieux et, pour se calmer, on se précipite à nouveau sur ses mets favoris. On entre alors dans un véritable cercle vicieux.

Ces connaissances accumulées sur les liens entre alimentation, émotions et santé mentale sont au fond «très encourageantes», estime Géraldine Coppin. Elles montrent en effet que, «si l’on ne peut pas agir sur nos gènes, nos paramètres biologiques et notre histoire personnelle, on peut au moins améliorer notre bien-être en modifiant notre alimentation».

La nourriture et le circuit de la récompense

La nourriture n’a pas pour seule fonction d’apporter l’énergie nécessaire au fonctionnement de l’organisme. On le sait bien, mais les enquêtes le confirment, «manger est l’une des activités qui nous procure le plus de plaisir», constate Géraldine Coppin, professeure de psychologie à Unidistance. Les aliments agissent sur le cerveau et activent le circuit de la récompense, cet ensemble de zones cérébrales qui traitent tout ce qui nous donne de la satisfaction et du bien-être, «qu’il s’agisse de nourriture, de stimulation sexuelle, de drogues ou même, pour certaines personnes, de l’achat d’un sac à main de luxe».

Pour la plupart d’entre nous, le désir d’obtenir quelque chose et le plaisir de le consommer ou de l’utiliser vont de pair. Mais chez les personnes ayant une addiction à la drogue par exemple, ce n’est pas le cas: «Elles sont prêtes à faire d’énormes efforts pour obtenir la substance qu’elles n’ont ensuite pas énormément de plaisir à consommer», poursuit la spécialiste.

Plaisir et désir

Qu’en est-il pour la nourriture, notamment chez les patient·e·s obèses? Pour le savoir, Géraldine Coppin, Zoltan Pataky, responsable de la consultation d’obésité des Hôpitaux universitaires de Genève, et leurs collègues se sont livrés à une expérience incluant trois groupes de sujets: des personnes de poids sain, d’autres avec une obésité prenant un nouveau médicament contre cette maladie, d’autres enfin recevant un placebo.

À ces volontaires, les chercheurs et chercheuses ont fait goûter un milk-shake au chocolat et leur ont demandé d’évaluer le plaisir qu’elles y trouvaient. Puis, ils­·elles leur ont montré des figures géométriques qui, auparavant, avaient été associées au milk-shake et leur ont demandé de presser sur un levier. «Nous avons mesuré la force que ces personnes exerçaient, afin d’évaluer les efforts qu’elles étaient prêtes à fournir pour obtenir la boisson», explique la professeure en psychologie.

Pendant les deux phases de l’expérience, les volontaires étaient allongés dans un appareil d’IRM fonctionnelle, technique d’imagerie qui permet de visualiser l’activation des différentes zones cérébrales. Les résultats préliminaires de cette étude indiquent que les individus de poids sain «activent plus fortement leur circuit de la récompense dans la première phase (celle du "plaisir"), alors que c’est l’inverse pour les personnes souffrant d’obésité», résume Géraldine Coppin. En d’autres termes, chez ces dernières, l’envie d’obtenir la boisson est plus forte que la satisfaction de la consommer. C’est donc en agissant sur leur désir de nourriture que l’on pourrait tenter d’améliorer leur qualité de vie.

 

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Paru dans Le Matin Dimanche le 05/09/2021