Une mémoire exceptionnelle: entre travail et don inné

Dernière mise à jour 10/11/16 | Article
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Mémoire de poisson rouge ou d’éléphant? S’il est vrai que nous n’avons pas tous les mêmes capacités de mémorisation, l’autoévaluation est toutefois un exercice périlleux.

Lorsqu’on s’interroge sur les performances de notre mémoire, il convient de faire la différence entre l’étape d’apprentissage (la rapidité avec laquelle nous enregistrons une information) et l’étape dite de «remembrance» (la capacité d’évocation exacte et au moment opportun de tel ou tel souvenir ou connaissance). Deux exercices qui peuvent être plus ou moins faciles pour chacun d’entre nous.

Mais, aux capacités d’apprendre et de se remémorer plus ou moins facilement un souvenir, s’ajoute notre propre évaluation. Or, le jugement que nous portons sur notre mémoire est loin d’être une valeur sûre. De l’impression de ne jamais rien se rappeler au fantasme d’avoir une mémoire sans faille, cette autoanalyse est moins liée à nos capacités réelles qu’à nos projections, nos exigences, notre vécu, notre personnalité. Parmi les «plaintes de mémoire» incitant à pousser les portes des cabinets médicaux, certaines seront effectivement le reflet de troubles pathologiques avérés, mais bien souvent, a fortiori chez les patients loin de l’âge de la retraite, elles se révéleront infondées, fruit d’une surévaluation de la gêne, conséquence d’un surmenage professionnel ou du désir démesuré de vouloir se souvenir de tout.

Les superperformants

On ne peut toutefois pas le nier: chez certains, les performances dont il est question sont bel et bien extraordinaires. Dotées d’une mémoire particulièrement performante, certaines personnes vont user de leurs aptitudes pour développer des capacités exceptionnelles, en fonction de leurs envies, de leur vie et de leur fantaisie! Ainsi, cet homme sera capable de donner à tout instant les horaires de train toutes destinations confondues, cet artiste de réciter par cœur les plus beaux textes de La Fontaine, ce virtuose de se lancer dans l’exécution sans partition de la plus complexe sonate de Beethoven.

De ces talents innés doublés d’apprentissages intensifs découlera une modification physiologique des fonctions et des structures du cerveau, rendant l’individu de plus en plus expert et performant dans son domaine.

Superboîtes à outils?

D'où viennent les prouesses des surdoués du souvenir? La recette est sans appel: du travail et encore du travail chez des gens particulièrement doués au départ. A l’image des performances d’un rugbyman ou d’un haltérophile: pourquoi sont-ils plus forts, bien plus forts, que nous? Au départ, une musculature exceptionnelle, puis une motivation et des entraînements qui transforment le don de la nature en quasi «superpouvoir». Pour la mémoire, c’est la même chose. Rien de magique, mais un très bon équipement physiologique au départ: des réseaux de neurones particulièrement bien hiérarchisés, des transmissions synaptiques ultraperformantes et plus d’énergie et de cellules consacrées a l’activité de mémoire propice au don en question, qu’il s’agisse de musique, de mathématiques ou de littérature. Et, comme dans le sport, s’ajoutent l’envie et l’entraînement.

A titre d’exemple, l’étude sous IRM du cerveau de grands musiciens a montré des spécificités fascinantes. Ainsi, pianistes et violonistes présentaient, au niveau de leur cortex cérébral, une aire du cortex moteur particulièrement active et développée. Explication: il s’agit de la zone directement en lien avec l’exécution des mouvements, soit ici l’activité notamment des doigts sur les touches d’un piano ou les cordes d’un violon. Du fait de la structure même du cerveau, cette organisation fonctionnelle est croisée: si la performance motrice du virtuose sollicite surtout la main gauche, c’est le cortex droit du cerveau qui est surentraîné.

Prodiges en souffrance

Certaines capacités exceptionnelles relèvent de situations plus complexes. Non pas qu’elles soient pathologiques en elles-mêmes, mais parce qu’elles sont parfois associées à des troubles du comportement. C’est le cas de certaines personnes présentant un autisme sans déficit intellectuel. Celles-ci peuvent être capables, par exemple, de reproduire à main levée, à l’identique et sans modèle, tout un paysage, presque aussi bien que le ferait un appareil photo!

Nombre de calculateurs prodiges sont dans cette ambivalence: capables des prouesses les plus folles avec les chiffres et de calculs extrêmement complexes, mais souffrant dans le même temps de difficultés psychiques, tels que troubles du comportement, dépression, générant une vie sociale souvent chaotique.

Des gènes impliqués dans les performances en mémoire

Depuis une dizaine d’années, des travaux de l’équipe d’Andreas Papassotiropoulos et Dominique de Quervain (2011 et 2013), de l’Institut de recherche en psychiatrie de l’Université de Zurich, ont montré que certains gènes –aux noms aussi originaux que KIBRA, Beta-catenin-like protein 1 ou encore α subunit type I voltage-gated sodium channel– ont été associés aux performances de la mémoire chez l’homme. Ces découvertes pourraient s’avérer déterminantes pour mieux comprendre, et traiter, les mécanismes de détérioration de la mémoire dans des pathologies comme la maladie d’Alzheimer.

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Paru dans Générations, Hors-série «Tout savoir sur notre mémoire», Novembre 2016.

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