L’orientation sexuelle? Elle est dans la prunelle!
En quatre lettres, «fenêtres entrouvertes sur les espaces infinis de vos hémisphères cérébraux». Qui sommes-nous? Vous séchez? Une seconde chance: «Le courageux n’y a jamais froid». Les yeux.
Certes, ils autorisent bien des définitions et focalisent bien des attentions. Supports organiques du regard sur le monde, ils signent aussi l’extase comme la mort et reflètent toutes les humeurs, à commencer par les plus noires.
De temps à autre, les yeux nécessitent des travaux telles que la correction de l’acuité visuelle, la confection récurrente de lunettes avec montures, les retouches de la cornée, du cristallin, l’analyse des territoires rétiniens et la lutte à prix d’or contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge. Mais ce n’est là que du superficiel; nous savons tous, de manière réflexe ou réfléchie, que les informations fournies par l’œil dépassent de loin le seul champ de la thérapeutique. Le regard est une mine. Chacun y puise dans l’instant le plus bref des éléments qui effleurent la conscience et échappent à celui qui est observé.
Resserrons un instant la focale sur les pupilles humaines. Elles pourraient bien, et dès demain, révéler les orientations sexuelles de celles et ceux qui en sont les propriétaires. C’est du moins ce que nous laisse clairement entendre un récent et fort troublant travail américain. Il s’agit d’un outil qui, placé dans certaines mains, pourrait se révéler être un redoutable détecteur nettement plus affûté que ceux dits de mensonges.
Pupille, donc! Non pas la personne mineure placée sous l’autorité d’un tuteur ou d’une collectivité, mais bien le substantif féminin désignant l’ouverture centrale de l’iris. Avec cette précision nécessaire et redondante: l’iris n’est pas la pupille. Qui confondrait le puits et sa margelle? L’iris, en revanche, correspond bien à la prunelle, mais seulement quand on s’intéresse plus à son aspect joliment chamarré qu’à sa fonction.
Résumons; la pupille est une ouverture actionnée par deux muscles, un dilatateur et un constricteur. Ils interviennent lors du mécanisme réflexe de l'accommodation du télescope oculaire à la lumière comme à la distance. Il y a deux siècles, le grand anatomiste Georges Chrétien Cuvier (1769-1832) expliquait déjà que, lorsque les objets que l'on regarde sont vivement éclairés, l'iris se dilate et la pupille se rétrécit. Il ajoutait aussi que, lorsqu’ils sont obscurs, le mouvement contraire a lieu. Un phénomène que l’on peut observer à merveille chez les chats plus ou moins domestiques.
Tout ceci n’a guère changé depuis Cuvier. Néanmoins, cela s’est nettement enrichi ces derniers jours. Cuvier avait-il un seul instant imaginé que l’examen anatomique de la pupille serait de nature à révéler l’orientation sexuelle? À supposer que ce concept était de nature à intéresser les cercles savants durant la Révolution française, c’est désormais chose acquise. Ou presque.
La dilatation de la pupille comme indice de réponse sexuelle
L’information vient de nous être donnée, sur le site de la revue PLoS ONE, par une équipe de chercheurs travaillant à la Cornell University (New York). Un petit travail préliminaire avait déjà été mené sur ce thème en 1965. Les auteurs rappellent d’ailleurs que des travaux voisins (qui n’avaient rien de scientifiques) avaient été menés par le passé, notamment au Canada, afin d’identifier les personnes homosexuelles et ce, à des fins discriminatoires.
Rien de tel aujourd’hui. Pour arriver à leurs fins, les chercheurs ont dû, après recrutement via la Toile, soumettre des volontaires à la vision de vidéos érotiques (1) en postulant que les pupilles des participants révèleraient de manière claire la position de ces derniers sur le spectre de la sexualité. Nous parlons ici d’un éventail assez large, allant de l’hétérosexualité à l'homosexualité (ou l’inverse).
Des études récentes avaient tenté d’établir des liens entre les caractéristiques des penchants sexuels et l’excitation génitale. Mais la méthodologie était bien complexe et la participation physiologique aléatoire. Et puis, il fallait compter avec d’évidentes différences anatomiques des territoires sacrés et honteux. L’heure était venue d’y voir plus clair. C’est ce qui a été fait avec la mesure la plus objective qui soit des variations du diamètre pupillaire, comme signes extérieurs d’appartenance sexuelle, calculées au moyen d’une lentille infrarouge pendant la vision du croustillant. Privé de tout partenaire, les participants étaient maintenus à une distance constante de la caméra enregistreuse.
«Avec cette technologie, nous sommes capables de déterminer l'orientation sexuelle de personnes qui, de cultures traditionnelles par exemple, ne souhaiteraient pas la révéler» assurent Gerulf Rieger et Ritch C. Savin-Williams (Department of Human Development, Cornell University, Ithaca, New York). À dire vrai, ces deux chercheurs vont un peu plus loin encore que la seule détection de l’orientation sexuelle, ce qui est pourtant déjà beaucoup.
«Nous avons évalué la dilatation de la pupille de 325 hommes et femmes ayant différentes orientations sexuelles à partir de stimuli érotiques», résument-ils. «Les résultats confirment les hypothèses. En général, l'auto-évaluation de l'orientation sexuelle correspondait bien à une dilatation de la pupille, tant pour les hommes que pour les femmes. Ainsi chez les hommes, une dilatation importante pour les deux sexes était plus fréquente chez ceux identifiés comme bisexuels. Chez les femmes, d’importantes dilatations pour les deux sexes étaient cependant plus fréquentes chez les femmes identifiées comme hétérosexuelles. La mesure de la dilatation de la pupille est moins invasive que les autres méthodes de calcul de la réponse sexuelle. De ce fait, elle permet d'étudier divers groupes d'âge et populations culturelles qui ne sont généralement pas inclus dans les recherches en matière de sexualité».
On ne dira jamais assez les vertus des méthodologies non invasives par rapport à celles qui se doivent de l’être.
Des différences entre hommes et femmes
Les spécialistes observeront sans sourciller qu’il existe d’une manière générale des différences sensibles dans les réponses pupillaires féminines et masculines à la vision des ébats érotiques humains. Il semble ainsi acquis que, si les hommes (auto)déclarés hétérosexuels stricts montrent d’assez fortes réactions pupillaires aux vidéos érotiques mettant en scène des femmes (et assez peu aux scènes proposant des hommes), les femmes hétérosexuelles (auto)déclarées montrent bel et bien des réponses aux vidéos mettant en scène des personnes des deux sexes. Toutefois, on aimerait bien en savoir un peu plus sans qu’il ne soit bien évidemment question ici de voyeurisme. Des études complémentaires sont sans aucun doute prévues et peut-être même sous presse.
Pour ce qui est du chapitre hautement sensible et chaud de la bisexualité masculine, l’étude semble conclure que les pupilles des hommes bisexuels réagissent autant aux visions des hommes que des femmes engagé(e)s dans des joutes à caractère érotique marqué. Des compléments d’enquête semblent s’imposer et réclameront peut-être, cette fois, le double aveugle. Ainsi que la présence d’une imagerie par résonance nucléaire. Voire d’un divan et d’un spécialiste du ça.
Il pourrait également être intéressant de croiser ces travaux imagés avec d’autres, plus sublimés, s’attachant à la langue et aux mots. À commencer par le nom et adjectif égrillard(e). Le Robert ne nous renseigne guère sur les racines de ce terme si ce n’est qu’il renvoie à libertin, paillard, polisson, luron, gaillard, gaulois, osé ou encore salé.
«L’œil moitié égrillard, moitié attendri» écrivit Pierre Loti (1850-1923) de l’Académie française qui connut bien des ports sous toutes les latitudes, bien des succès de plume et bien des charentaises aventures. Reste une question pendante : pourquoi la pupille s’ouvre-t-elle ainsi? Pour mieux se rincer l’œil?
Le Pr Ritch C. Savin-Williams ne nous le dit pas. Il estime avoir d’ores et déjà démontré via son cadastrage pupillaire que les catégories classiques d’hétéro, d’homo et de bi sont obsolètes. Un nouveau regard s’impose, selon lui, renvoyant à un continuum englobant la totalité de l’éventail et montrant toute une gamme de réactivités sexuelles ignorées parce qu’elles restent non mesurées. Le chercheur ne le dit pas mais on l’entend presque : toutes et tous sous la toise pupillaire et que cela saute!
(1) Chaque stimulus était une vidéo de trente secondes montrant soit un homme (nu) soit une femme (nue) occupé(e) à se masturber. Au total, douze stimuli féminins et masculins ont été sélectionnés parmi un grand nombre de vidéos provenant de sites spécialisés sur Internet. Dans l’étude pilote, des hommes et des femmes hétérosexuels ainsi qu’homosexuels ont estimé la qualité intrinsèque de ces vidéos et seul les versions les plus stimulatrices ont été utilisées dans la présente étude. Deux passages d’une minute d’un documentaire sur la nature, montrant de simples paysages, ont aussi été retenus : il s’agissait là d’obtenir des stimuli neutres pour une sorte de remise à plat.