«Même en temps de guerre, certains fondamentaux doivent être protégés à tout prix»

Dernière mise à jour 13/01/15 | Article
«Même en temps de guerre, certains fondamentaux doivent être protégés à tout prix»
Sur les territoires à feu et à sang de Gaza à Bahreïn en passant par la Syrie, soignants et blessés sont exposés à un danger de mort permanent. Entretien avec Yves Daccord, Directeur général du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Depuis les zones de conflits les plus rudes filtrent des témoignages racontant le calvaire de soignants traqués, tués dans l’exercice de leur fonction. Jusqu’ici protégé par son statut, le personnel médical est-il devenu une cible privilégiée en temps de guerre?

Depuis six ou sept ans, c’est effectivement ce que nous constatons et face à quoi nous devons agir: le fait qu’un médecin, une ambulance, un hôpital ne soient plus respectés, mais à l’inverse pris pour cibles, est un fait extrêmement inquiétant. Si toute guerre a un côté terrifiant, elle comporte normalement des limites intrinsèques. L’une d’elles est l’espace laissé à la mission médicale, aux blessés, à ce qui relève de la dignité humaine. Cette limite est aujourd’hui bafouée.

Comment expliquer cette évolution?

Ce changement de paradigme s’explique notamment par des guerres de plus en plus internes, au cours desquelles la répression vise le contrôle total de la population. Une dynamique de terreur s’instaure. Une pression énorme est alors mise sur les médecins, les structures de soin et sur les blessés eux-mêmes, dès le premier jour du conflit.

Au vu des témoignages et rapports qui se multiplient depuis 2011, le territoire syrien semble emblématique de cette escalade.

Aujourd’hui en Syrie le discours officiel proclame que soigner un blessé, s’il est un rebelle, est un acte criminel. Dès lors, les médecins sont soumis à une traque incessante et assassinés sans scrupule. Alep, la plus grande ville de Syrie, comptait environ 5 000 soignants en 2011 ; il en reste à peine 10 %. Certains ont été tués, d’autres ont été contraints de fuir. Les blessés – surtout s’ils sont des hommes et donc de potentiels combattants – sont quant à eux interrogés, torturés, souvent laissés pour morts sur des brancards. L’hôpital est finalement devenu le dernier endroit où les blessés sont amenés. Des constats similaires sont faits en Afghanistan, à Gaza ou bien encore en Irak.

Doit-on craindre la banalisation de tels actes?

Nous devons en tout cas tout faire pour l’empêcher. L’indifférence serait la réponse la plus grave. En 2011, le Comité international de la Croix Rouge lançait une campagne «Soins de santé en danger». L’un de nos objectifs est aujourd’hui encore de créer une dynamique pour que chacun perçoive la gravité de la situation.

Comment contrer cette escalade?

Il faut en faire un problème central pour lequel toute la communauté internationale se mobilise. Le risque principal aujourd’hui est celui de guerres gagnées par tous les moyens. Or des lois existent, notamment les conventions de Genève, qui codifient la protection des civils, militaires et blessés lors des conflits armés. Il est crucial que les plus hautes instances internationales rappellent l’existence de lignes rouges, et que les répresseurs aient conscience des risques qu’ils encourent en les franchissant.

Concrètement, sur le terrain, comment agir?

Trois axes d’intervention se dessinent. Le premier est d’informer, depuis les personnes directement concernées pour qu’elles connaissent mieux leur droit, jusqu’aux professionnels de santé du monde entier. Eux tous vont contribuer à trouver des solutions. Le second est technique. Il s’agit de travailler avec les gouvernements et les instances militaires pour optimiser l’utilisation des nouvelles technologies, équiper les ambulances, sécuriser les hôpitaux… Une conférence internationale sur le sujet est prévue fin 2015. Le troisième relève d’un travail de terrain: développer des réseaux et rencontrer les personnes clés au sein des groupes armés eux-mêmes.

Quelle peut être la portée de ces rencontres?

Elle est potentiellement immense: même dans notre monde ultra-connecté, se rencontrer et trouver des arguments pour convaincre l’autre du bien-fondé de notre démarche est le cœur de tout. Dans le cas présent, il s’agit de mettre en lumière l’impact considérable que peut avoir la disparition des soignants sur un territoire. Ce travail de terrain est minutieux, laborieux, mais extrêmement important. Même en temps de guerre, certains fondamentaux doivent être protégés à tout prix, le respect pour la mission médicale en fait partie.

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