L’utilité des tests génétiques dans la prévention cardiovasculaire
A l’heure actuelle, il est communément admis que la majorité des maladies et facteurs de risque cardiovasculaires ont une forte composante génétique. Les progrès et recherches effectués ces dernières années en génétique ont donné lieu à une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans ces maladies, mais aussi à de nouvelles perspectives en termes de médication. Des tests génétiques permettant d’estimer la probabilité de survenue d’une maladie cardiovasculaire ont notamment été développés et suscitent aujourd’hui beaucoup d’enthousiasme, puisqu’ils permettraient de mieux aiguiller les mesures de prévention pour les personnes à risque. Cependant, leur efficacité clinique n’a pas été prouvée pour toutes les pathologies: en effet, si leur valeur prédictive est élevée dans le cadre des maladies monogéniques rares (maladies provoquées par la mutation d’un seul gène), il n’en va pas de même pour les maladies polygéniques communes (maladies provoquées par la mutation de plusieurs gènes, parmi lesquelles on compte l’infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux, la maladie coronarienne et le diabète de type 2).
Maladies polygéniques: une valeur prédictive génétique faible
La composante génétique des maladies cardiovasculaires polygéniques n’est, à ce jour, toujours pas clairement identifiée. Il existe bien des variants génétiques de même nature (à savoir, des modifications d’une seule paire de bases d’ADN) chez les patients concernés, mais leur effet est trop infime pour pouvoir imputer à eux seuls la survenue de la maladie. L’utilité clinique des tests et scores génétiques n’est donc toujours pas avérée à ce jour. Ce qui n’empêche pas néanmoins certaines compagnie biotechnologiques comme 23andMe ou Navigenics de vendre des tests génétiques à la population, arguant la récurrence de ces modifications génétiques dans les maladies polygéniques cardiovasculaires; non seulement les résultats de ces tests sont évidemment infondés, mais en plus cet accès direct de la population à de tels tests n’est pas justifié dans l’éthique de nos systèmes de santé.
Maladies monogéniques: une valeur prédictive génétique forte
En revanche, les tests génétiques ont prouvé leur efficacité dans le cadre des maladies cardiovasculaires monogéniques et oligogéniques (dues à la mutation de quelques gènes). Parmi ces maladies à forte valeur prédictive génétique figure l’hypercholestérolémie familiale qui est due à des mutations dans des gènes spécifiques et à laquelle est associé un risque cardiovasculaire très élevé. Malgré cela, les mesures de prévention faites auprès de la population sont largement insuffisantes: la majorité des personnes à risque est non seulement mal informée, mais en plus non-identifiée. Il paraît donc plus légitime que jamais de recommander à la population des dépistages en cascade (des membres de la famille).
Enfin, une liste exhaustive des maladies cardiovasculaires monogéniques ne pouvant être faite, il convient de consulter un spécialiste en génétique médicale en cas de suspicion.
La pharmacogénétique dans la prévention cardiovasculaire
La pharmacogénétique (qui consiste en la détermination du rôle des variations génétiques dans la réponse à un médicament) s’est avérée, d’une façon générale, cliniquement utile pour définir et améliorer la prise en charge thérapeutique et médicamenteuse. En ce qui concerne la prévention cardiovasculaire, plusieurs traitements très importants ont été étudiés dans cette optique-là.
Tout d’abord, la résistance à certains antiagrégants (médicaments qui réduisent la formation de caillots sanguins et dont l’efficacité est prouvée pour lutter contre les récidives) a été mise en relation avec des variants dans certains gènes. Ainsi, pour un de ces médicaments (la warfarine), une recommandation de dosage en fonction des génotypes des patients a pu être faite. Concernant les statines (médicaments qui réduisent la chlorestérolémie), des variants génétiques favorisant leur efficacité ont pu être repérés. La pharmacogénétique a également pu apporter des explications génétiques à certains effets secondaires découlant de la prise de statines. Dans le cas des bêta-bloquants (médicaments modifiant le système adrénergique), le polymorphisme d’un gène particulier influençant leur efficacité a aussi pu être identifié. Cependant, le nombre élevé de types de bêta-bloquants ne permet pas d’attribuer l’efficacité du traitement à ce variant génétique unique. Enfin, pour ce qui est des inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (utilisés pour réduire l’hypertension artérielle et l’insuffisance cardiaque chronique), l’association des variants génétiques et de la réponse au médicament reste peu probable.
En conclusion, si les progrès en génétique nous permettent de mieux appréhender les mécanismes physiopathologiques en jeu dans les maladies et facteurs de risque cardiovasculaires, ils ne nous permettent pas pour autant de les prédire. A l’heure actuelle, les tests génétiques ne sont d’aucune utilité clinique et n’impliquent donc pas de changement dans nos mesures préventives, si ce n’est dans le cadre d’une maladie cardiovasculaire monogénique, où le recours aux tests génétiques est de plus en plus fréquent et utile pour la prise en charge des patients. En revanche, le domaine de la pharmacogénétique semble plus prometteur.
Référence
Adapté de «Les tests génétiques peuvent-ils être utiles pour la prévention cardiovasculaire?», Drs M. Bochud et I. Guessous, Unité de prévention communautaire Institut de médecine sociale et préventive; Dr F. Fellmann, Service de génétique médicale, CHUV 1011 Lausanne, in Revue médicale suisse 2012; 8: 519-24, en collaboration avec les auteurs.