Les rythmes biologiques n'épargnent aucun de nos organes

Dernière mise à jour 24/02/15 | Article
Les rythmes biologiques n'épargnent aucun de nos organes
Les rythmes circadiens sont omniprésents dans notre corps. Ils se traduisent par la variation d'activité au cours de la journée de nos divers gènes, dont un atlas vient d'être établi. Les maladies de cœur sont directement concernées.

On a tendance à l'oublier: tout le fonctionnement de notre corps est piloté par les gènes de notre patrimoine génétique, ce programme de vie inscrit sur les célèbres chaînes d'ADN au sein de nos cellules. Or, des chercheurs américains viennent de mettre en évidence que ces gènes, au cours des 24 heures de la journée, sont plus ou moins loquaces: ils s'expriment de préférence à certaines heures, différentes d'un gène à l'autre et d'un organe à l'autre.

Ce qui veut dire que les protéines qu'ils font fabriquer à la machinerie cellulaire ne sont pas synthétisées de façon continue. Pire: à certaines heures tel ou tel gène préfère rester muet. Il en résulte qu'il sera vain de vouloir agir en temps réel sur les protéines dont ce gène pilote la synthèse si ce n'est pas la bonne heure: les médicaments spécifiques que l'on voudrait mettre en œuvre à cet instant risquent d'être complètement inefficaces. Ce d'autant plus que de nombreux médicaments ont une durée de vie relativement courte, ce qui leur ferait «manquer leur cible».

C'est bien d'ailleurs ce que l'on a constaté empiriquement depuis environ 40 ans, à l'occasion de la montée en puissance de la chronopharmacologie, alors que la mise en évidence de la variabilité des gènes va ouvrir des perspectives entièrement nouvelles, permettant par exemple d'identifier précisément les heures les plus favorables pour telle ou telle cible pharmacologique.

Efficacité variable pour la majorité des médicaments

Les chercheurs de la Perelman School of Medicine à Philadelphie et de l'Université du Missouri (USA), ont même réussi à établir la carte de fonctionnement de divers gènes au cours de la journée. Il s'agit en quelque sorte d'un «atlas» des rythmes circadiens propres à nos gènes, atlas qu'ils viennent de publier dans les Comptes rendus de l'Académie des sciences des Etats-Unis (PNAS). Ces travaux ont certes été entrepris sur la souris, mais ce mammifère est un très bon modèle animal pour ce type de recherches, les gènes des mammifères s'étant maintenus de façon très stable au cours de l'évolution.

En se concentrant ainsi sur les gènes exprimés dans une douzaine d'organes, du cœur à l'hypothalamus en passant par le foie ou les reins, ils se sont efforcés de mesurer l'activité de transcription de chaque gène toutes les deux à six heures. Première constatation: le foie est l'organe qui possède le plus grand nombre de gènes dont l'expression varie au cours des 24 heures, alors que l'hypothalamus est le plus pauvre en de tels gènes à activité circadienne.

D'une façon générale, il s’avère que près de la moitié (43%) des gènes de mammifères présentent une activité variable au cours de la journée. En moyenne, l'heure où la transcription du gène et l'expression des protéines est maximale s'est révélée se situer peu de temps avant l'aube ou juste avant le crépuscule. Cette modulation au cours de la journée semble aussi affecter toute la cascade de réactions chimiques intracellulaires résultant de l'activation de tel ou tel gène.

L'atlas mis au point par les scientifiques de Philadelphie va permettre désormais de rechercher, pour chaque gène et chaque médicament, l'heure d'action la plus appropriée. Mais en passant en revue les médicaments les plus vendus, ils relèvent déjà que la majorité d'entre eux (56%) ont pour cibles des gènes à expression circadienne. Il s'agira dès lors d'appliquer la même méthodologie à d'autres modèles animaux pour des pathologies spécifiques, puis de lancer des études cliniques prospectives pour valider l'utilité de cette approche.

Plus de risque l'après-midi

S'il est un domaine où la mise en pratique de telles notions sera sans doute capitale c'est bien celui des maladies cardiovasculaires, la première cause de mortalité en Suisse. Or, comme le soulignent deux équipes helvétiques, il a été montré à plusieurs reprises, de façon pragmatique, que tant la taille d'un infarctus que son taux de mortalité suivent une variation circadienne. Mais alors que la survenue d'un infarctus est plus fréquente en fin de matinée, sa gravité –à savoir son taux de mortalité– est maximale durant la nuit.

Cette non concordance entre les pics d'incidence et de gravité a incité les médecins à lancer une étude visant à clarifier la question, sur la base d'une cohorte de 6223 patients tirés du registre AMIS (registre helvétique des infarctus). Il en ressort d'ores et déjà que les patients dont les symptômes d'infarctus surviennent vers 23 heures présentent des lésions jusqu'à 15% plus importantes que pour ceux qui sont atteints douze heures plus tard. Mieux: la différence de taille des infarctus pouvait aller jusqu'à 34% selon que l'infarctus survenait la nuit ou le jour.

Quant aux infarctus survenant à l'occasion d'une chirurgie planifiée, par exemple lors de la pose de stents après dilatation des artères coronaires, les médecins de Lausanne et Fribourg ont pu montrer qu'ils survenaient moins fréquemment le matin que l'après-midi (20% contre 30%), soulignant ainsi le rôle des rythmes circadiens dans la vulnérabilité des cellules cardiaques. «Cet axe de recherche de la biologie circadienne ouvre de nouvelles perspectives en matière de prise en charge des patients ainsi que de nouvelles cibles thérapeutiques», concluent-ils.

 

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Références

Ray Zhang, Nicholas F. Lahens, Heather I. Ballance, Michael E. Hughes, John B. Hogenesch, in Proc Natl Acad Sci U S A. 2014 Nov 11;111(45):16219-24.

Stéphane Fournier, Ahmed T. Beggah, Olivier Muller, Service de cardiologie, CHUV; Stéphane Cook, service de cardiologie Hôpital cantonal de Fribourg in Rev Med Suisse 2014;10:1204-9.

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