PR LI TANG RIGIDIFIER LES CELLULES CANCÉREUSES: UNE PISTE POUR AMÉLIORER L’IMMUNOTHÉRAPIE?
Planète Santé: Vos travaux portent sur l’efficacité des traitements contre le cancer, et plus particulièrement sur l’immunothérapie. Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste cette technique?
Pr Li Tang: L’immunothérapie est une approche relativement récente dans le traitement du cancer. Son mécanisme d’action diffère de celui des méthodes plus classiques. En effet, alors que la chimiothérapie, la chirurgie ou la radiothérapie visent directement les cellules cancéreuses pour les éliminer, l’immunothérapie agit en stimulant le système immunitaire du patient ou de la patiente, afin que celui-ci reconnaisse et détruise lui-même les cellules tumorales.
Quelles sont les limites actuelles de l’immunothérapie?
L’immunothérapie a indéniablement transformé la prise en charge de certains cancers, en offrant de nouvelles perspectives là où les traitements classiques atteignaient leurs limites. Cependant, son efficacité demeure restreinte: seule une minorité de patientes et de patients y répond favorablement. En cause, la capacité des cellules cancéreuses à développer des mécanismes pour échapper à la surveillance et à l’action du système immunitaire.
Comment expliquer ce phénomène?
Cela n’est pas encore compris avec certitude, mais certaines découvertes récentes offrent des pistes intéressantes. Au sein de notre laboratoire, nous nous sommes intéressés à un aspect encore peu étudié dans la recherche sur le cancer: les propriétés mécaniques des cellules tumorales, comme leur rigidité et leur élasticité. Jusqu’ici, la plupart des travaux se concentraient sur les caractéristiques biologiques et chimiques des tumeurs. Or, nous n’avons que très peu investigué les propriétés physiques des cellules cancéreuses et leur possible influence sur la réponse à l’immunothérapie.
Qu’avez-vous découvert?
Nous avons observé que certaines cellules cancéreuses présentent une plasticité plus élevée que les cellules saines. sont, en quelque sorte, plus «molles». Or cette souplesse semble compromettre l’efficacité de la réponse immunitaire. Elle tend à empêcher les lymphocytes T —des cellules spécifiques de notre système immunitaire— d’adhérer à la surface des cellules tumorales et affaiblit donc leur capacité à les détruire. Pour mieux comprendre, imaginez une cellule cancéreuse comme un ballon de baudruche et les lymphocytes T comme une fléchette qui tente de le percer. Si le ballon est bien tendu, cette dernière le transpercera facilement. Alors que s’il est mou et dégonflé, elle va glisser et peiner à traverser sa surface. Nos travaux suggèrent donc que rigidifier ces cellules cancéreuses pourrait favoriser une meilleure interaction avec ces lymphocytes T et rendre ainsi plus efficace l’immunothérapie.
La rigidification des cellules cancéreuses est donc au cœur du projet collaboratif que vous dirigez et qui a été récompensé par le prix scientifique Leenaards 2025. Comment s’organise-t-il?
Ce projet de recherche explore certains aspects mécaniques des cellules cancéreuses et leur potentielle influence sur l’efficacité de l’immunothérapie. Je le mène en collaboration avec la Pre Camilla Jandus et le Pr Olivier Michielin. Il débute cette année et s’inscrit dans une perspective de recherche sur trois ans.
BIO EXPRESS
1986
Naissance à Ganzhou (Chine).
2007
Bachelor en chimie à l’Université de Pékin (Chine).
2012
Doctorat en science et ingénierie des matériaux à l’Université de l’Illinois (États-Unis).
2016
Postdoctorat au Massachusetts Institute of Technology (MIT) (États-Unis).
2016
Professeur assistant à l’EPFL, aux instituts d’ingénierie des sciences du vivant et science et génie des matériaux.
2018
Lauréat d’une subvention du Conseil européen de la recherche
2020
Nommé parmi les «35innovateurs de moins de 35ans» par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) Technology Review (Chine).
2021
Lauréat du prix Anna Fuller et du prix Cancer Research Institute Clinic & Laboratory Integration Program (CLIP).
2022
Professeur associé à l’EPFL.
2024
Lauréat du prix CAB Mid-Career Investigator et du prix Biomaterials for Young Investigators.
2025
Lauréat du prix Friedrich Miescher, du prix Leenaards et du Biomaterials Science Lectureship.
2025
Vice-doyen pour l’innovation et directeur du programme Innovate4Life à la Faculté des sciences de la vie (EPFL).
Quel sera le rôle de chacun des laboratoires impliqués?
Le Laboratoire de biomatériaux pour l’immuno-ingénierie de l’EPFL, que je dirige, aura pour mission d’identifier une ou plusieurs molécules capables d’augmenter la rigidité des cellules cancéreuses. Le laboratoire de la Pre Camilla Jandus évaluera ensuite l’efficacité de ces approches sur des modèles animaux. Enfin, l’équipe du Pr Olivier Michielin confrontera nos résultats aux données cliniques. L’analyse d’échantillons issus de tumeurs de patientes et patients permettra de déterminer si la rigidité des cellules tumorales influence réellement la réponse à l’immunothérapie.
Quelles sont les avancées possibles de la recherche contre le cancer grâce à ce projet?
Elles sont multiples. La première concerne le domaine de la recherche. Les aspects biophysiques du cancer ont longtemps été négligés, alors même qu’ils jouent un rôle fondamental. L’exploration des propriétés mécaniques des cellules cancéreuses ouvre ainsi la voie à un vaste champ d’investigation encore largement inexploré. Nous espérons que ce projet contribuera à une prise de conscience plus vaste de l’importance de ces facteurs dans la compréhension et le traitement du cancer.
Cette recherche ouvre aussi des perspectives prometteuses en matière de diagnostic…
En effet. L’un de nos objectifs est de comprendre pourquoi seule une minorité de patientes et patients répond à l’immunothérapie. En analysant les propriétés biophysiques des cellules tumorales, nous espérons identifier de nouveaux biomarqueurs, autrement dit des indicateurs mesurables du comportement ou de l’état des cellules, qui serviraient dans la prédiction de la réponse au traitement. En fin de compte, cela pourrait ouvrir la voie à une prise en charge personnalisée, en ajustant les thérapies aux patients dont la réponse prévue est la plus favorable.
Votre projet offre-t-il également des pistes en termes de traitement?
C’est en tout cas ce que nous espérons, même si cet objectif s’inscrit dans une perspective de long terme, bien au-delà des trois années prévues pour le projet actuel. À terme, cette recherche pourrait contribuer au développement de traitements plus efficaces contre certains cancers. Si nous parvenons à rigidifier de manière ciblée les cellules tumorales, sans affecter les cellules saines, nous pourrons renforcer l’efficacité de l’immunothérapie. Le chemin reste long, mais c’est une piste prometteuse que nous sommes déterminés à explorer.
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