Marie Schaer: «L’eye-tracking pourrait permettre un dépistage précoce de l’autisme»

Dernière mise à jour 11/11/15 | Questions/Réponses
Marie Schaer: «L’eye-tracking pourrait permettre un dépistage précoce de l’autisme»
En Suisse, selon une des seules études qui existent sur le sujet, le diagnostic de l’autisme est posé en moyenne à l’âge de 6 ans. Ce repérage tardif de la maladie est un des problèmes majeurs de la prise en charge du trouble autistique. Une technique informatisée de suivi du regard, l’eye-tracking, pourrait changer la donne. Explications de Marie Schaer, spécialiste en neuroimagerie aux Universités de Genève et de Stanford aux Etats-Unis.

Comment diagnostique-t-on l’autisme aujourd’hui?

Les spécialistes posent principalement le diagnostic en observant l’enfant et en interrogeant les parents, en se référant à des critères diagnostics établis. De plus en plus, afin de quantifier leurs observations cliniques de manière objective, les centres spécialisés utilisent aussi deux tests qui nous viennent des Etats-Unis, l’Autism Diagnostic Interview (ADI) et l’Autism Diagnostic Observation Schedule (ADOS). Ces tests peuvent durer entre deux et quatre heures et visent à repérer certains signes caractéristiques de l’autisme. Cela passe par des questions aux parents ou par des jeux avec l’enfant. Les algorithmes de ces tests ont été adaptés pour pouvoir poser un diagnostic chez un enfant âgé de 12 à 30 mois. Reste que malgré ces outils, repérer très tôt et de façon fiable un trouble autistique reste difficile et compliqué.

D’où vient cette difficulté à repérer la maladie chez les très jeunes enfants?

En fait, l’autisme est un terme que l’on utilise pour décrire un ensemble de maladies très diverses. Les spécialistes parlent de spectre autistique, car les manifestations concrètes du trouble sont vraiment propres à chaque individu. Nous n’arrivons pas à prédire l’évolution de la maladie de façon systématique. Les symptômes ne sont pas les mêmes chez tout le monde et c’est cela qui rend le diagnostic souvent difficile. Un des objectifs de la recherche actuelle consiste d’ailleurs à définir des sous-types de la maladie, de gagner en finesse, pour savoir quelles catégories du trouble autistique répondent aux traitements que nous avons ou que nous pourrions développer.

Les chiffres

1 cas sur 68

C’est la prévalence (nombre de malades à un temps donné) de l’autisme aux Etats-Unis. Le spectre étant large, certaines formes ne posent que très peu de problèmes à la personne touchée et sont donc moins visibles. Le chiffre reste toutefois ahurissant. En Suisse, il est estimé à 1 sur 100 enfants.

50 000 francs

L’estimation du coût de la prise en charge par an d’un enfant avec autisme.

50

Le nombre de places spécialisées dont aurait besoin l’Arc lémanique pour prendre en charge les cas d’autisme de la région.

Quelles stratégies mettre en place pour obtenir un diagnostic plus précoce?

Tout le problème consiste à trouver un mécanisme observable qui soit commun à l’ensemble du spectre autistique et qui puisse déjà s’observer au tout début du développement de la maladie. Les spécialistes ont mis en évidence trois symptômes clés de l’autisme: des difficultés de communication, d’interaction sociale et des comportements répétitifs. Mais le problème, c’est que certains de ces symptômes du trouble autistique ne se manifestent pas encore très clairement chez le très jeune enfant. Les comportements stéréotypés, par exemple, ne s’observent plus facilement qu’à partir de l’âge scolaire. Il faut donc trouver ce qui est au cœur du trouble et qui puisse être identifiable très tôt. L’hypothèse que nous avons décidé de suivre à Genève est celle de la motivation sociale. On part du principe que si l’enfant n’est pas motivé par les interactions sociales, il va rater un nombre important d’apprentissages au quotidien et son cerveau social ne va pas se développer correctement. Le but est donc de repérer ce manque de motivation sociale le plus tôt possible pour agir. Une intervention précoce peut permettre de lui redonner les outils nécessaires pour qu’il puisse développer au maximum ses capacités. Et pour détecter le trouble rapidement, nous devons réussir à quantifier l’intérêt que l’enfant porte à des scènes sociales typiques, notamment en suivant son regard.

C’est pour mesurer la motivation sociale que la technique de l’eye-tracking est intéressante?

Exactement. Le dispositif est au fond assez simple. Il s’agit d’un écran d’ordinateur avec un récepteur infrarouge qui peut capter sur le reflet de la cornée l’endroit exact où est focalisé le regard de l’enfant. C’est donc un outil qui permet de quantifier de manière extrêmement précise le regard. L’eye-tracking a aussi l’avantage d’être facilement utilisable pour des bébés à partir de six mois. Le simple fait de regarder un écran de manière passive donne déjà des indications.

Qu’est-ce que les enfants regardent pendant une session d’eye-tracking?

Des scènes standardisées, tournées avec des acteurs, qui jouent des interactions sociales simples. Le but est de voir où se porte l’attention de l’enfant quand il visionne ces scènes sociales pour déterminer s’il est capable de suivre le jeu interactif des acteurs. Est-il capable de suivre des échanges visuels et d’anticiper l’action d’un autre enfant? Regarde-t- il dans les yeux? C’est au fond un ensemble comportemental complexe que le dispositif nous permet de suivre et de quantifier.

Genève a un nouveau centre pour l’autisme

Né d’un partenariat public-privé entre l’Etat de Genève et la Fondation Pôle Autisme, un nouveau centre d’intervention précoce pour l’autisme a ouvert à Genève. Le but du centre est d’apporter une réponse aux problèmes de prise en charge de la maladie en Suisse romande, où les places de traitement manquent cruellement. La psychologue Hilary Wood et le professeur Stephan Eliez ont introduit dans le centre une prise en charge précoce de type comportemental basée sur le modèle de Denver. A terme, une formation universitaire spécifique pour la prise en charge de l’autisme devrait aussi être mise en place par la structure en partenariat avec l’Université de Genève.

Parallèlement, on observe ce qu’il se passe dans le cerveau?

Oui. L’objectif est de mesurer ce qu’il se passe au niveau fonctionnel et structurel. Au niveau fonctionnel, le but est de répertorier les zones cérébrales actives lors de l’interaction et de les comparer avec celles d’enfants qui ont un développement typique. Sur le plan structurel, des études ont montré que le cerveau de certains enfants avec autisme était plus grand que la normale. Mais finalement, il semble que ce ne soient que certaines formes spécifiques d’autisme qui aient ce trait caractéristique. Tout cela montre que nous ne sommes qu’au début des observations. Il faut persévérer, même si ce type de recherche n’est pas toujours facile avec de jeunes enfants. Il faut en effet habituer les enfants à porter des bonnets avec des électrodes (électroencéphalogramme), voire même essayer de les faire entrer dans des IRM. Ce n’est pas facile, mais c’est probablement ce qui nous permettra de déterminer des sous-types de la maladie et de proposer une réponse thérapeutique adaptée à chacune des formes du spectre autistique.

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