«Le handisport manque encore de visibilité»

Dernière mise à jour 21/10/21 | Questions/Réponses
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Quand la vie vous impose des épreuves, deux voies peuvent être empruntées : la détermination ou la résignation. Cynthia Mathez a choisi la première et n’a de cesse, depuis que la sclérose en plaques l’a contrainte au fauteuil roulant en 2015, de repousser ses limites. Sa première participation aux Jeux Paralympiques de Tokyo ne lui a pas apporté de médaille mais ses yeux sont déjà braqués sur Paris 2024, où elle compte bien en rafler quelques-unes.

       

Bio express

10 octobre 1985: Naissance à Tramelan (Berne).

2009: Diagnostic de sclérose en plaques.

2015: Évolution du handicap nécessitant un fauteuil roulant.

2017: Atteint les quarts de finale en double aux Championnats du monde d’Ulsan (Corée).

2018: Remporte le championnat d’Europe en double à Rodez (France).

2021: Termine quatrième en double et septième en simple aux Jeux paralympiques de Tokyo (Japon).

Pour la première fois, le badminton était présent au programme des Jeux paralympiques. Comment avez-vous vécu cette qualification?

Cynthia Mathez: Ça a été un travail de longue haleine, avec une dizaine de tournois de qualification. Les six premières mondiales ont été sélectionnées. Avec ma coéquipière Karin Suter-Erath, nous étions cinquièmes. Nous étions à la fois extrêmement fières, excitées, mais aussi un peu intimidées par un tel évènement!

Vous en revenez sans médaille, mais qu’est-ce que cette expérience vous a-t-elle tout de même apporté?

En effet, nous sommes revenues avec la médaille en chocolat! Nous nous attendions à cette place en double et sommes tout de même fières d’y être parvenues. Le fait que les Jeux aient été repoussés d’une année a été bénéfique, car j’ai eu plus de temps pour me préparer, j’ai tout remis à plat au niveau de ma technique, j’ai changé de coach… ce qui m’a permis de beaucoup progresser. Mais je n’ai pas eu de chance au tirage au sort en simple, je suis tombée dans un groupe très difficile…

La visibilité du handisport s’accroît d’année en année. À quoi est due, selon vous, cette médiatisation nouvelle?

Les gens sont curieux, c’est vrai. Mais je trouve que ce n’est pas encore assez médiatisé. Il reste beaucoup de progrès à accomplir, notamment dans la façon dont sont présentés les athlètes. On est toujours étiquetés comme des handicapés avant d’être considérés comme des sportifs de haut niveau. Parfois, on me demande ce que je fais d’autre comme sport… Avec 25 heures de badminton par semaine, je vois mal comment je pourrais trouver le temps de faire du tennis à côté!

Que faudrait-il faire pour améliorer encore l’accès au sport des personnes en situation de handicap?

Il faudrait justement médiatiser d’avantage, mais aussi faciliter l’accessibilité dans les salles de sport. Les gens, même les coachs, ont parfois des appréhensions lorsqu’il s’agit de jouer avec quelqu’un en situation de handicap. On a peur de les intégrer, on a peur que cela soit compliqué en termes d’organisation… C’est simplement, je pense, une méconnaissance, car dans la réalité les choses sont plutôt simples.

Le changement de regard peut-il venir des jeunes générations?

Oui, j’en suis persuadée. J’interviens beaucoup dans les écoles en Suisse alémanique pour sensibiliser et faire connaître le handisport. Les enfants sont très réceptifs, curieux, ils ont plein de questions et ne jugent pas. Ils s’amusent lorsqu’on leur fait essayer une chaise de sport. Le problème, le plus souvent, ne vient pas d’eux… mais des adultes.

Pourquoi avoir choisi le badminton?

Je n’ai jamais aimé ni le basket, ni le tennis. J’ai essayé le rugby, mais c’est un sport qui peut être assez violent et mes médecins n’étaient pas très contents ! Lorsque je me suis mise au badminton, j’ai tout de suite aimé. C’est l’un des sports les plus complets, que ce soit au niveau de la force, de l’endurance, de la coordination.

Lorsqu’on vous a diagnostiqué une sclérose en plaques en 2009, avez-vous tout de suite pris la mesure de ce que cela impliquait?

Non, pas du tout, je ne connaissais même pas cette maladie. Je suis tombée sur un médecin pas très sympathique, qui m’a en gros dit: «Si vous avez des questions, vous pouvez aller voir sur un livre ou sur internet»! Quand j’ai appelé ma mère, c’est sa réaction à elle qui m’a fait réaliser que ce n’était pas quelque chose d’anodin. J’étais tout de même soulagée de mettre enfin un nom sur mes symptômes et de savoir que des traitements allaient pouvoir les atténuer.

En quelques mots

Un adjectif qui vous qualifie? Positive.

Un mantra? «Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait»

Une personnalité que vous admirez? Le judoka français Teddy Riner. C’est une machine de guerre, impressionnant physiquement mais aussi souriant et très proche des gens.

Où puisez-vous l’énergie de vous battre?

J’ai eu beaucoup de mal, au début, à prendre conscience de la maladie, je l’ai un peu mise de côté. J’ai mis environ 6 mois à l’accepter et à me dire qu’il fallait que j’avance. J’ai toujours eu un caractère assez fort, je suis quelqu’un de très positif et j’ai décidé de ne pas me laisser aller.

La maladie a-t-elle parfois un effet sur votre moral?

C’est rare, mais ça arrive, seulement un ou deux jours par an heureusement. Dans ces cas-là, je reste au lit, je remets tout en question, mon corps recommence à débloquer… et au bout de deux jours, je me mets un coup de pied aux fesses et je me relève.

Des études ont montré que le sport et une bonne hygiène de vie pouvaient ralentir l’évolution des symptômes. Arrivez-vous à tenir la maladie à distance grâce au sport?

Il est difficile de dire si c’est grâce aux médicaments, à mon hygiène de vie en général ou au sport de haut niveau, mais en effet, j’ai réussi à stabiliser l’évolution de la maladie. J’avais perdu l’usage de mes mains pour écrire, manger… Aujourd’hui, c’est revenu, pas à 100 % certes, mais j’ai retrouvé une plus grande motricité fine.

Quelle définition donneriez-vous de la notion de «bonne santé»?

C’est une bonne question! Malgré ma maladie,je me considère en bonne santé. Une bonne santé, ce n’est pas «ne rien avoir». Ça dépend de comment on voit les choses, comment on envisage sa vie…

Quels facteurs peuvent influer sur vos performances?

Le plus important pour moi, c’est le sommeil, car la sclérose en plaques entraîne une grande fatigue. Je dors quatorze à quinze heures par jour, vingt les jours qui suivent une compétition. Je contrôle aussi mon alimentation en jonglant avec ce qu’il est conseillé d’éviter avec les traitements et ce qu’il est recommandé pour un athlète de haut niveau. Tout est savamment calculé!

Le mental est aussi un paramètre important en sport de compétition. Manquez-vous parfois de confiance en vous?

Je passe deux heures par mois avec un coach mental. C’est très important pour moi car c’est mon point faible: j’ai souvent perdu des matchs à cause du manque de confiance en moi. J’ai mis du temps à savoir comment me situer par rapport aux autres. Maintenant que j’ai participé à de grandes compétitions, je sais que je peux me mesurer aux premières mondiales. Mais je trouve qu’en Suisse on ne met pas assez l’accent sur l’aspect mental, en comparaison aux Français et aux Allemands qui travaillent dessus presque autant que sur le physique. Il faut encore avancer dans ce domaine.

Quel est votre plus beau souvenir de compétition?

Le plus marquant émotionnellement a été un tournoi en Colombie il y a quelques années. C’était seulement ma deuxième compétition et il me fallait de l’argent pour y participer. J’ai donc dû organiser un crowdfunding (campagne de financement participatif, ndlr) pour collecter les fonds nécessaires. Je n’aime pas demander de l’aide, mais là, j’en avais vraiment besoin. J’ai reçu un soutien incroyable de personnes que je ne connaissais pas. Ça m’a portée. J’ai remporté deux médailles, mais c’est surtout cet élan de générosité qui restera gravé à jamais dans ma mémoire.

Que peut-on vous souhaiter pour la suite?

Que ma santé reste stable au moins jusqu’à la fin des Jeux de Paris en 2024!

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Paru dans Planète Santé magazine N° 42 – Octobre 2021