Soleil, aliments, médicaments, nous ment-on sur notre santé?

Dernière mise à jour 13/07/15 | Article
Dans un livre, le professeur Didier Raoult, microbiologiste français, dénonce certains messages de prévention largement diffusés. Des critiques que tempèrent des médecins romands.

De quoi on parle?

Dans Votre santé – Tous les mensonges qu’on vous raconte et comment la science vous aide à y voir plus clair, un livre très médiatisé en France, le professeur Didier Raoult, microbiologiste, dénonce les idées reçues et les contre-vérités qui circulent concernant la santé. Le scientifique entend donner sa vérité sur des domaines aussi variés que la vaccination, les maladies, les médicaments, les crises sanitaires, etc.  Si le ton de l’ouvrage est polémique, son fond n’est pas si révolutionnaire, concluent les experts romands que nous avons interrogés.

Comment être et rester en bonne santé? Cette question vitale résonne derrière chaque message de prévention ou recommandation sanitaire, et agite régulièrement les médias qui consacrent toujours plus de sujets à la santé. En France, le microbiologiste Didier Raoult propose, dans un livre très médiatisé, de nous donner les clés d’une vie saine. Sur un ton polémique, il s’attaque aux idées reçues et tente de hiérarchiser les risques qui menacent la santé et ce à quoi il faut vraiment faire attention si on veut vivre bien et longtemps.

Parmi ses cibles: les bienfaits du lait, les méfaits du soleil, l’importance de manger fruits et légumes et les progrès pharmaceutiques. Extraits accompagnés de commentaires de deux médecins romands, spécialistes de la prévention et de la médecine de premier recours.

Les 5 conseils pour vraiment préserver sa santé

«Le lait protège de l’ostéoporose»

Le professeur Raoult déplore que le lait soit présenté comme bon pour la santé dans les publicités et sur certains emballages, et qu’il soit aussi associé à la prévention de l’ostéoporose. De son côté, le Dr Idris Guessous, médecin responsable de l’Unité d’épidémiologie populationnelle des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), confirme que «le lait, comme vecteur de calcium, est surtout important durant les premières années de vie, car il aide au bon développement de la qualité osseuse». S’il doit faire partie d’une alimentation équilibrée à l’âge adulte, il n’est pas la seule source de calcium. Les autres produits laitiers (fromages, yogourts), certains poissons et les légumes vert foncé en contiennent beaucoup.

Outre le calcium, il est également recommandé d’avoir une activité physique régulière et des apports suffisants en vitamine D pour conserver une bonne santé osseuse et prévenir l’ostéoporose. Si le lait n’est pas mauvais pour la santé, «seule une minorité de gens ne le tolère en réalité», précise le Dr Guessous.

«S’exposer au soleil est dangereux pour la santé»

Didier Raoult condamne la prudence excessive face au soleil, avançant que les liens entre soleil et cancers de la peau, même s’ils sont prouvés, s’avèrent en réalité complexes. «C’est vrai, confirme le Dr Bernard Noël, dermatologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Certains cancers de la peau se développent sur des parties du corps peu exposées au soleil.» Aussi, si le mélanome est au cœur des campagnes de prévention, il reste relativement rare en comparaison d’autres types de cancers de la peau (le carcinome basocellulaire ou le carcinome spinocellulaire). Or ces derniers sont moins dangereux car ils n’entraînent pas, ou que très rarement, des métastases. Alors, pourquoi diabolise-t-on autant le soleil? «Parce qu’il y a, c’est vrai, de plus en plus de cancers de la peau et encore, malheureusement, pas mal de décès. Mais il faut aussi reconnaître qu’il y a beaucoup d’intérêts professionnels et commerciaux là derrière, affirme le Dr Noël. En plus, reconnaît-il, si on véhicule des informations trop nuancées, le message ne passe pas.»

A tant insister sur les dangers du soleil, on en oublie ses bienfaits, regrette encore le microbiologiste français. Il est vrai qu’il permet de synthétiser la vitamine D, indispensable à la formation osseuse et dentaire, et dont les carences sont impliquées dans de nombreuses affections. Sans compter qu’il a un effet antidépresseur et des vertus contre le psoriasis. Mais pour le professeur Jacques Cornuz, directeur de la Policlinique médicale universitaire de Lausanne, nul besoin de s’exposer beaucoup pour avoir un taux acceptable de vitamine D. En résumé, on peut s’exposer au soleil, mais raisonnablement et avec précaution, surtout quand on a la peau claire. Autre conseil à suivre absolument: éviter les coups de soleil durant l’enfance. Il est en effet prouvé qu’ils augmentent les cancers survenant entre trente et quarante ans plus tard.

«Manger cinq fruits et légumes par jour»

Le professeur Raoult remet en question le message des «cinq fruits et légumes par jour» visant à réduire les risques de cancer, de maladies cardio-vasculaires et d’obésité. De nombreuses études font le lien entre une alimentation riche en fruits et légumes et une meilleure longévité, mais selon lui, il est difficile de mesurer l’impact réel d’un régime alimentaire, indépendamment d’autres facteurs. Il déplore également qu’on ait élaboré un message de prévention sur la base de résultats biaisés car obtenus via des questionnaires. «C’est vrai que les questionnaires de nutrition ne sont pas une méthode optimale au niveau individuel, mais ils permettent de dégager des tendances, nuance le Dr Guessous. Bientôt, de nouveaux tests, basés sur le dosage des métaboliques dans les urines, permettront de mieux caractériser ce qu’on mange et donc les conséquences.»

Même si les évidences scientifiques gagneraient à être plus solides, le message des cinq fruits et légumes par jour demeure pertinent: «On cherche ainsi à favoriser une alimentation saine, peu calorique, pauvre en graisse, en sucre et en sel, autant de facteurs de risque de diabète, d’hypertension, d’obésité, de maladies cardio-vasculaires et de cancer du côlon», confirme le Dr Guessous. Ce qui ne veut pas dire qu’il faille «tomber dans une dictature des cinq par jour», conclut le professeur Cornuz.

«Les nouveaux médicaments sont plus efficaces que les anciens»

Didier Raoult s’attaque, sur plusieurs fronts, à l’industrie pharmaceutique qu’il accuse notamment de mettre sur le marché de nouveaux médicaments qui ne seraient en réalité pas plus efficaces que les anciens, voire plus dangereux car on en connaîtrait moins bien les effets. Et ce, à des fins purement commerciales. Il est vrai, reconnaît le Dr Guessous, «que le bénéfice thérapeutique des nouvelles molécules mises sur le marché est moindre par rapport aux premiers médicaments découverts. Mais leur intérêt réside dans la diminution des effets secondaires et dans les nouveaux modes d’administration. La combinaison de plusieurs comprimés en un dans le traitement de l’hypertension en est un exemple. Cela a nettement amélioré l’adhésion au traitement.»

En conclusion, les experts romands interrogés estiment que Didier Raoult n’apporte aucune révélation médicale. «Je ne l’ai pas lu, mais, a priori, il faudrait éviter de jeter le bébé, c’est-à-dire les conseils de prévention, avec l’eau du bain: la vérité est souvent dans la nuance», résume le professeur Cornuz. Le livre a toutefois le mérite de sensibiliser le grand public aux enjeux, politiques et commerciaux en particulier, qui existent autour des questions de santé. Et de faire réfléchir sur les discours sur la santé et les façons de faire de la prévention aujourd’hui.

Les médicaments de confort mis en cause

Le professeur Raoult s’attaque également à la banalisation des médicaments «de confort» tels que les antalgiques, les antidépresseurs et les psychotropes chez les personnes âgées. Il déplore leur large consommation et met le doigt sur les risques de ces substances. «Le poison est dans la dose, ce n’est pas nouveau, d’où l’importance du médecin et du soignant pour informer les patients», déclare le Dr Guessous, des HUG. Mais de là à limiter le recours aux antidouleurs, le spécialiste genevois s’y oppose: «On ne peut pas juger de la tolérance à la douleur de quelqu’un, c’est très individuel.» Le professeur Cornuz, de la Policlinique de Lausanne, admet de son côté que «notre société supporte moins bien la douleur aujourd’hui. Mais grâce à cela, les gens consultent plus vite et le médecin peut intervenir de manière plus précoce.»

En collaboration avec

Le Matin Dimanche