Se faire licencier altère autant le corps que l’esprit
De quoi on parle?
Les faits
La firme allemande Merck Serono a annoncé le 24 avril la fermeture de son site genevois et la suppression de 1250 emplois (750 salariés se verront proposer un transfert à l’étranger: à Darmstadt en Allemagne, à Boston ou à Pékin).
Le bilan
Les personnes concernées par ces licenciements ne sont pas à l’abri de séquelles physiques et psychiques.
Quand une entreprise ferme, se délocalise ou doit revoir ses coûts à la baisse, les premières victimes sont ses employés.
Qu’il soit cadre ou «simple» commis, le salarié réagira avec sa personnalité, ses vulnérabilités, voire ses psychopathologies préexistantes. Les conséquences d’un licenciement ne sont en effet que très rarement anodines.
«La question du travail est centrale, note le Dr Davor Komplita, psychiatre installé à Genève. Le travail n’est pas une activité parmi d’autres, il est central dans le fonctionnement psychique, social, et dans le développement d’un être humain.C’est quelque chose qui structure le développement de notre identité et de notre statut social et qui détermine notre place parmi les autres.» Selon l’expert, en effet, toute transformation des liens sociaux est susceptible d’entraîner une réaction de souffrance. Sous le regard d’autrui, une personne va se sentir mal jugée, considérée indigne de rester dans le groupe, et se sentira alors exclue.«Cela nous mobilise à un niveau psychique et personnel, émotionnel et affectif ainsi qu’à un degré quasi reptilien, continue le Dr Komplita. Car derrière la question de l’exclusion ou du rejet, il y a une réaction de survie.»
Insomnies, douleurs…
Si la réaction peut être psychique, elle n’en est pas moins, dans bien des cas, également physique. Et là aussi, les antécédents jouent un rôle déterminant. «Certaines personnes vont perdre le sommeil, tandis que d’autres auront des douleurs abdominales, souligne le Dr Marc-Henri Gauchat, médecin généraliste à Sion. Les personnes qui ont à la base un colon irritable, par exemple, seront prises de douleurs. De même pour les asthmatiques ou les patients ayant tendance à faire de l’eczéma ou du psoriasis, chez qui on peut observer des poussées de leur maladie. Enfin, certains individus auront des maux de tête dus à des contractures musculaires des trapèzes.» De manière générale, «les gens qui ne se sentaient déjà pas très bien, prennent un «coup de massue» et leurs problèmes habituels ont tendance à s’accentuer», se désole le médecin. Il rappelle néanmoins que l’impact d’un licenciement sur la santé physique n’est pas automatique. Certains s’en sortent effectivement très bien. Lorsqu’une personne prend acte de la condition traumatique dans laquelle elle se trouve et arrive à aller de l’avant en ne retenant que l’aspect positif de la situation, on parle alors de résilience.
Hommes et femmes ne réagissent pas de même
Les hommes et les femmes ne reçoivent pas la nouvelle de la même manière, constatent de concert les deux spécialistes. Chez l’un et l’autre sexe, il peut y avoir des réactions annonçant une phase dépressive plus ou moins importante: «Les hommes ont tendance à se réfugier dans l’engagement social, en rejoignant un syndicat, ou iront, pensent-ils, guérir leur chagrin au bistrot, avec le risque de sombrer dans l’alcoolisme», remarque le Dr Gauchat. Et de souligner que la réponse masculine est généralement beaucoup moins bonne. «La fatigue et l’irritabilité sont les signes dépressifs majeurs chez les hommes, ajoute le Dr Komplita. Il peut également apparaître une dégradation des liens intimes et une hostilité latente qui aboutit parfois à des postures de cynisme et de colère. Tout au bout de ce phénomène se trouvent une disjonction de la personnalité et des troubles cognitifs, qui s’apparentent à une panne du cerveau.»
Les femmes ont d’avantage tendance à chercher de l’aide auprès d’un médecin, d’un psychiatre ou d’un psychologue. Si elles consomment déjà des tranquillisants ou des médicaments apparentés, elles ont tendance à en augmenter la prise.
Quelques circonstances atténuantes
Quoi qu’il en soit, l’individu accepte son licenciement en fonction du contexte dans lequel celui-ci se produit. «Les conditions de cette cessation des rapports de travail détermineront plus ou moins la réaction d’un individu», explique en effet le Dr Komplita. Avant d’ajouter: «Lorsque la fin des rapports de travail est convenue contractuellement, il y aura un certain stress et une certaine souffrance, mais cela peut très bien se passer. En revanche, dans le cas d’un licenciement individuel pour motifs économiques, par exemple, cela posera la question de l’équité de cette décision par rapport à d’autres. C’est précisément cette notion de justice qui est essentielle, car elle module la nature de notre réaction psychique et de notre évaluation de la situation. L’humain a en effet une très grande sensibilité à l’injustice.» Selon l’expert, le plus destructeur est le sentiment de vivre une injustice et d’avoir été trahi. Cela peut mener à des états de prostration ou de violence, le contrat social étant rompu. Mais fondamentalement, conclut le Dr Komplita, «nous avons une aversion au rejet de nous mêmes, à la séparation ou à la perte. Vivre mal un conflit et une séparation du travail réanime fondamentalement une réaction de survie».
Consulter un médecin peut s’avérer salutaire
Indices
«Le fait de devoir formuler ce qui nous arrive et de l’expliquer à quelqu’un de totalement neutre et en qui on a confiance nous permet de déjà mieux comprendre la situation dans laquelle on se trouve», explique le Dr Marc-Henri Gauchat. Le rôle d’un médecin ou d’un psychiatre est de permettre aux patients de trouver les ressources qu’ils ont en eux pour résoudre leur problème. Il est conseillé de faire appel à un spécialiste lorsque les troubles apparus après un licenciement durent trop longtemps.«La perte de sommeil, premier signe de mal-être, ne devrait pas dépasser les deux ou trois jours,mais lorsque celle-ci se prolonge et que vient s’ajouter une perte de poids ou que la personne ressent une tristesse profonde, nous pouvons nous trouver devant un cas de dépression.» Si des pensées suicidaires interviennent, il faut immédiatement faire appel à un médecin.
Une cellule de crise est ici inutile
Mode
La mise en place d’une cellule psychologique, ou«cellule de crise», a souvent lieu lors de licenciements collectifs ou d’incidents graves.Ce concept est jugé peu utile par nos experts.«C’est très à la mode… souligne le Dr Marc-Henri Gauchat. Cela a été inventé pour des psychologues à la recherche d’un rôle dans la société.»Et cette tendance peut avoir des effets négatifs, précise-t-il:«Lors de ces soi-disant séances de débriefing, on crée des problèmes à des gens qui, en d’autres temps, auraient certainement pu les surmonter seuls. Nous devons faire attention à ne pas «pathologiser» des personnes qui expriment des sentiments normaux, tels que la colère, la tristesse, le chagrin ou le deuil.» Un avis partagé par le Dr Komplita, qui se désole d’une individualisation et d’une«psychologisation» des situations.
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