Antidépresseurs: pour un temps ou pour la vie?

Dernière mise à jour 02/06/22 | Article
Traitement clé des dépressions modérées à sévères, les antidépresseurs s’inscrivent souvent dans la vie des patients pour des mois, voire des années. Mais tôt ou tard, la question se pose: quand les arrêter? Une récente étude rappelle le risque de récidive de la dépression et l’importance d’un suivi régulier.

Dissipation des nuages noirs, regain d’énergie, volonté ravivée: autant de bienfaits décrits par les personnes souffrant de dépression et pour qui les antidépresseurs ont été synonyme de vie retrouvée. Pour rappel, ces traitements sont principalement préconisés en cas de dépression modérée à sévère (lire encadré), en association, dans l’idéal, d’une psychothérapie. «Pour les dépressions légères, les recommandations vont plutôt dans le sens d’un suivi médical régulier – très souvent assuré par le médecin généraliste – et d’une psychothérapie», précise la Dre Vasiliki Galani, cheffe de clinique au Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Lorsqu’un traitement par antidépresseur s’impose, la durée optimale varie selon les cas: six à neuf mois pour un premier épisode dépressif, un minimum de deux ans s’il s’agit d’un deuxième épisode et davantage encore s’il s’agit d’un troisième. Pourquoi de telles recommandations? «La stratégie du traitement repose sur deux phases, explique l’experte. La première consiste à traiter la phase aiguë de la dépression, la seconde, à consolider l’état de santé et prévenir la rechute», indique la spécialiste. D’où le vertige que peut représenter l’arrêt du traitement et l’intérêt d’une étude comme celle parue dans le prestigieux New England of medecine*. 

56 % de rechute

L’objectif de cette recherche, menée au Royaume-Uni: comparer, dans le cadre d’un essai randomisé en double aveugle, deux groupes de patients souffrant de dépression, les uns conservant leur traitement, les autres le voyant allégé, puis remplacé (sans le savoir donc) par un placebo. Point commun des 478 volontaires impliqués: tous avaient connu au moins deux épisodes dépressifs ou prenaient des antidépresseurs depuis au moins deux ans. Résultats à l’issue des 52 semaines d’étude? Un taux de rechute plus élevé chez les patients appartenant au groupe d'arrêt du traitement par rapport aux autres, les pourcentages étant respectivement de 56 et 39 %. Les patients ayant vu leur traitement interrompu présentaient par ailleurs davantage de symptômes d'anxiété et de repli sur soi. 

Diminution progressive et suivi médical régulier

Qu’en déduire? «Ces résultats confirment un aspect incontournable de la dépression, son caractère récidivant, souligne la Dre Galani. Pour un premier épisode, on estime le risque de rechute entre 50 et 60% ; pour un deuxième, à 70% et à près 90% pour un troisième.» Et de détailler, au sujet de l’étude: «L’un de ses points forts est d’avoir privilégié des personnes ayant connu plusieurs récidives, les résultats sont ainsi en lien avec la réalité de cette pathologie. Il est dommage, en revanche, que les auteurs ne donnent pas d’indications sur l’accompagnement psychologique éventuel des volontaires, ni sur leurs comorbidités physiques ou psychiques. Reste que cette étude rappelle l’importance des précautions à prendre avant d’arrêter un traitement par antidépresseurs.» 

Méditation de pleine conscience

Les experts sont unanimes quant à l’importance d’une diminution progressive du traitement et d’un suivi médical régulier. Et ce d’autant plus – cette récente étude le confirme – qu’il est à ce jour impossible d’identifier à l’avance les patients qui vont vivre une rechute. Autre alliée possible: la méditation de pleine conscience. «De plus en plus d’études confirment les bienfaits de cette pratique pour la prévention des rechutes de la dépression», poursuit la Dre Galani. La méditation de pleine conscience vise – entre autres – à apaiser les ruminations et à s’ancrer dans l’instant présent. Simple et exigeante à la fois, son efficacité repose avant tout sur la régularité de sa pratique, idéalement au quotidien.

Et si c’était une dépression?

Insomnie, fatigue, maux de tête, maux de dos, troubles digestifs, irritabilité ou encore difficultés de concentration: les symptômes d’une dépression peuvent être aussi multiples que trompeurs, orientant vers des troubles plus somatiques que psychiques. Pour établir un diagnostic et évaluer la sévérité de la dépression, les médecins se basent notamment sur deux classifications reconnues au plan international: le Manuel diagnostique et statistique des maladies mentales, 5e version (DSM-V) et la Classification internationale des maladies, 10e version (CIM-10). Elles aussi validées scientifiquement, deux questions se révèlent par ailleurs être de précieuses alliées de la prévention. Les voici.

   

Au cours des deux dernières semaines:

  1. Vous êtes-vous senti(e) abattu(e), déprimé(e) ou désespéré(e), toute la journée, presque tous les jours?
  2. Avez-vous perdu de l’intérêt ou du plaisir dans vos activités toute la journée, presque tous les jours? 

Une réponse par l’affirmative à ces deux questions est caractéristique à près de 70 % d’une dépression. 

 

Vous avez dit «antidépresseurs»?

Pas toujours facile de s’y retrouver tant la famille des antidépresseurs est vaste. Premier élément: la plupart des antidépresseurs prescrits aujourd’hui sont dits de «2e génération».

Inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine/noradrénaline (ISRN) ou encore inhibiteurs sélectifs de la recapture de la noradrénaline et de la dopamine (IRND): derrière ces noms alambiqués se devine l’action de ces traitements, en lien avec les neurotransmetteurs œuvrant dans notre cerveau. À noter que les antidépresseurs peuvent également être prescrits pour les troubles anxieux, les troubles de l’humeur et certains syndromes douloureux.

Si les niveaux d’efficacité de ces traitements se valent, leur plus grande différence se situe sur le plan de leurs effets secondaires. D’où l’importance d’un choix d’antidépresseur tenant compte du profil du patient, de ses symptômes et de ses comorbidités (présence d’autres pathologies physiques ou psychiques). À ce jour, les molécules les plus plébiscitées, car les mieux tolérées, sont la sertraline et l’escitalopram, suivies par la venlafaxine et la mirtazapine.

Encore présents sur le marché, les antidépresseurs de première génération – les tricycliques (ATC) et les inhibiteurs de monoamine oxydase (IMAO) – sont de moins en moins prescrits, en raison de leurs nombreux effets secondaires. Ils sont surtout indiqués en cas d’échec thérapeutique avec les autres traitements possibles.

_________________

* Lewis G, et al. Maintenance or Discontinuation of Antidepressants in Primary Care. N Engl J Med. 2021 Sep 30;385(14):1257-1267.

Paru dans Le Matin Dimanche le 29/05/2022

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