Autisme: vivre avec le syndrome d’Asperger

Dernière mise à jour 26/08/19 | Article
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Etendard de la lutte pour le climat, la jeune suédoise Greta Thunberg est atteinte du syndrome d’Asperger, un trouble qu’elle qualifie de «super pouvoir». Cadeau ou handicap? Regards de spécialistes.

Un visage fermé, un air grave, des convictions inébranlables. La jeune activiste Greta Thunberg est devenue la figure emblématique de la lutte pour le climat. En avril dernier, c’est une autre facette de sa personnalité qu’elle mettait en avant à l’occasion de la journée mondiale de sensibilisation à l’autisme. Diagnostiquée Asperger à 11 ans, l’adolescente a fièrement revendiqué sa différence sur son compte Instagram, qualifiant le syndrome dont elle est porteuse de «super pouvoir». Non sans rappeler que pour la plupart, vivre avec l’autisme est une lutte sans fin, à l’école ou dans le milieu professionnel.

Mais qu’est-ce que le syndrome d’Asperger? Ce trouble neurodéveloppemental est l’une des nombreuses formes d’autisme. Autrement dit, c’est un trouble du spectre autistique (TSA). Les personnes atteintes de TSA ont en commun des difficultés plus ou moins sévères et invalidantes dans les interactions sociales et la communication. Celles-ci sont associées à plusieurs particularités: des intérêts restreints, des conduites répétitives, une intolérance au changement, ainsi qu’une sensibilité particulière (hyper ou hypo) aux stimuli sensoriels (bruit, lumière, odeurs, toucher). Le syndrome d’Asperger se situe à l’extrémité du spectre. Ainsi, les personnes atteintes n’ont ni déficit intellectuel ni retard de langage. Arrêts de bus, plan de la ville, horaires de train connus par cœur: leur mémoire est plus importante que la moyenne. Elles peuvent présenter des aptitudes au-dessus de la normale dans certains secteurs, «mais ne sont pas pour autant haut potentiel», précise la Pre Nadia Chabane, directrice du Centre cantonal de l’autisme du Centre hospitalier universitaires vaudois (CHUV).

Un fonctionnement particulier

Dans la prime enfance, les signes d’Asperger sont souvent subtils, ce qui explique pourquoi le syndrome peut longtemps passer inaperçu. Néanmoins, certaines situations pourtant banales du quotidien peuvent susciter des réactions hors normes chez ces enfants, dont les comportements ne sont pas toujours simples à décoder: «Si le parent change soudainement de chemin pour aller à la crèche, l’enfant Asperger peut faire une crise monumentale, illustre le Dr François Hentsch, médecin responsable du programme psycho-développemental global au Centre de développement des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ces enfants sont plus durs à calmer, ce qui peut être éprouvant et culpabilisant pour les parents qui ont le sentiment de ne pas être à la hauteur.» Leur sensibilité particulière aux stimuli sensoriels peut également accentuer leur mal-être et générer des incompréhensions. «Au sein de la famille, ce sont des enfants qui ne sont pas aussi souvent que les autres dans l’échange spontané et qui sont essentiellement focalisés sur leurs centres d’intérêt. Ils sont affectueux et dans l’empathie, mais peuvent exprimer différemment leurs émotions», poursuit Nadia Chabane. Parfois pétris dans leur rigidité, ils imposent des règles de fonctionnement à la maison et peuvent fuir les réunions sociales (anniversaires, etc.).

A l’école, ce sont des élèves discrets et calmes. S’ils rencontrent a priori peu de problèmes dans les apprentissages en début de scolarité, ils peinent parfois à comprendre les consignes adressées au groupe et sont surtout moins à l’aise dans les interactions. En raison de leurs intérêts souvent décalés, ils sont parfois moqués et mis de côté, et deviennent solitaires. Leur difficulté à comprendre les codes sociaux est problématique: «Ils partagent avec les autres les connaissances encyclopédiques sur un sujet, mais ne vont pas s’apercevoir du désintérêt de leur interlocuteur», illustre le Dr Hentsch. Leur gentillesse et leur honnêteté peuvent également leur jouer des tours. «Naïfs, ils ne décodent pas les comportements malveillants. Ils peuvent alors, sans s’en apercevoir, être utilisés par le groupe et devenir des souffre-douleurs», décrit la Pre Chabane.

L’adolescence, un passage délicat

Avec l’âge, ces difficultés dans la socialisation et la compréhension du jeu social sont de plus en plus marquées. L’adolescence et le passage à l’âge adulte peuvent ainsi être des phases de grande détresse, durant lesquelles le jeune Asperger prend conscience de sa différence en même temps que de son besoin d’intégration sociale et professionnelle. Dans 60% des cas, le syndrome d’Asperger s’accompagne de troubles psychiatriques (anxiété, dépression, troubles du comportement alimentaire, etc.). La Pre Chabane note une forte demande d’aide à ce moment-là du parcours de vie.

Il faut savoir que malgré la médiatisation à travers la fiction, comme dans l’inoubliable film Rain man, ce syndrome reste largement méconnu, d’où des diagnostics souvent tardifs. La Pre Chabane milite pour une meilleure formation des médecins. Car le diagnostic, aussi brutal qu’il puisse être, est aussi l’assurance de pouvoir être aidé. Malgré la forte composante génétique de l’autisme, «plus on intervient tôt, mieux on peut dévier la trajectoire», souligne le Dr Hentsch. Une prise en charge adaptée (groupes d’habiletés sociales, gestion du stress et des émotions, logopédie, psychomotricité, accompagnement adapté en milieu scolaire et professionnel, etc.) permet aux personnes Asperger de mieux accepter leur fonctionnement, d’acquérir des compétences sociales et de se protéger des stimulations excessives. «Pouvoir comprendre leurs particularités leur donne beaucoup de ressources et de force», estime le spécialiste des HUG. C’est précisément ce qu’affirme Greta Thunberg dans son post: «J’ai eu ma part d’anxiété, de dépression, etc., mais grâce aux bons ajustements, ce trouble peut être un super-pouvoir».

Vraiment? «Je n’irais pas jusqu’à dire que c’est un cadeau, mais les personnes Asperger sont protégées de la pensée consensuelle et du compromis. Elles nous aident à voir les choses de manière objective», analyse la Pre Chabane. Mais toutes les personnes Asperger n’ont pas de don particulier et seules les plus préservées d’entre elles partagent la positivité de la jeune suédoise. Malgré tout, relève le Dr Hentsch, «quand on arrive à créer un lien avec elles, la qualité de la relation est exceptionnelle et très authentique». «Elles nous donnent une sacrée leçon d’humilité et de tolérance. Leur vision pure et non détournée de la vie est une bouffée d’oxygène», conclut la Pre Chabane. 

Témoignage: «Pour notre fille, le diagnostic a été très difficile à accepter»

«Marie a eu beaucoup de difficultés d’apprentissage, liées à une dysphasie. C’était une enfant gaie, mais assez solitaire. A 15 ans, elle s’est renfermée, elle est devenue mutique, statique, avec des pensées noires, cela nous a beaucoup inquiétés. Elle a malgré tout trouvé une place d’apprentissage, mais au bout de six mois, elle ne nous parlait plus à nous non plus. Ce n’est qu’à 18 ans, après différents suivis, qu’une psychiatre a posé le diagnostic d’Asperger. Pour notre fille, cela a été et reste très difficile à accepter. Elle passe par des phases anxieuses, puis dépressives, il faut beaucoup la soutenir. Elle déteste la foule. Dans les magasins, dès qu’une vendeuse s’approche, elle se bloque et se renferme. Dans les fêtes aussi, elle se déconnecte très vite. Elle a pu finir son apprentissage grâce à un coaching pour améliorer ses compétences sociales et a bénéficié d’un accompagnement sur son lieu de travail. Elle a ensuite trouvé une place de travail à 100%, mais elle n’a pas voulu qu’on explique la situation à son employeur. Cela ne s’est pas bien passé. Elle était très angoissée, devait beaucoup s’adapter et avait du mal à gérer le bruit, la lumière et les stimulations. Après un arrêt maladie, elle a repris à 50%, ce qui lui permet de souffler. Elle travaille dans la logistique: elle est très performante et rapide car elle ne discute pas. Elle n’est toutefois pas prête pour un travail qui serait plus en adéquation avec ses capacités. Elle n’a pas confiance en elle, dit qu’elle n’a pas de don extraordinaire. Nous favorisons son autonomie, mais elle ne pourrait pas encore vivre seule. Elle fait partie d’un groupe Asperger, avec qui elle fait des sorties, travaille sur ses aptitudes sociales et sur ses émotions. Aujourd’hui, elle commence à peine à se découvrir et à se comprendre.»

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Paru dans Le Matin Dimanche le 04/08/2019.

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