Manger mieux et bouger plus ne suffit pas toujours pour perdre du poids

Dernière mise à jour 13/06/22 | Article
Alors que l’OMS tire la sonnette d’alarme face à l’épidémie mondiale d’obésité, les personnes concernées peinent souvent à maigrir sans être aidées. Une prise en charge multidisciplinaire est indispensable.

Près de 59% des adultes et 29% des enfants sont en surpoids ou obèses en Europe, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS).[1] En Suisse, l’obésité concerne 11% des adultes. «Il s’agit d’une maladie chronique et récidivante, explique le Pr Zoltan Pataky, médecin responsable de l’Unité d’éducation thérapeutique du patient des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Elle est aussi multifactorielle, on ne peut donc pas se contenter de dire aux patients de manger moins et de bouger plus.»

«Je découvre une nouvelle personne»

Pierre Broisin a opté pour la chirurgie en octobre2021. «Je pesais alors 180kg pour 1,75m. J’ai évidemment essayé d’autres approches, mais au fur et à mesure de mes régimes, je ne cessais de reprendre des kilos. J’ai tendance à manger pour calmer mon stress.» Six mois après l’intervention, le trentenaire a déjà perdu 40kg. «Les deux premiers mois après le by-pass, j’étais très fatigué, puis j’ai retrouvé de l’énergie. Je vois à nouveau mes jambes. Avant, elles étaient cachées par mon ventre. Bouger est plus facile, je peux reprendre le sport. Je découvre une nouvelle personne en moi.» Pierre Broisin a appris à manger de plus petites quantités et plus calmement. «Je mange de tout. Ma famille et mes amis ont juste dû adapter les quantités!»

Certains médicaments, mais aussi des problèmes d’ordre psychologique, des habitudes sociales bien installées, un rythme de vie désordonné font partie des paramètres qui peuvent entraver la perte de poids. Céline Pabion, diététicienne chez Teamnutrition à Genève et membre de l’ADiGE (antenne des diététiciens genevois), explique: «Chez les patients obèses, le système hormonal est chamboulé et sécrète notamment moins d’hormones de satiété. Leur microbiote intestinal est aussi modifié, des études récentes ont démontré le rôle que ce dernier joue sur la régulation du poids.» Dans un tel contexte, on comprend que se contenter de se priver de sucreries ne suffit pas à rétablir un équilibre.

Une prise en charge multidisciplinaire

Les HUG ont inauguré en avril dernier leur Centre de l’obésité et de la chirurgie bariatrique, dirigé par le PrPataky et la Dre Minoa Jung, afin de proposer une prise en charge multidisciplinaire aux personnes concernées par un indice de masse corporel (IMC) élevé. Celui-ci se calcule en divisant son poids (en kilos) par sa taille (en mètres) au carré. Le corps médical parle d’obésité quand cet indice dépasse 30.

L’Unité d’éducation thérapeutique du patient des HUG propose aux adultes des ateliers interactifs qui se déroulent sur toute une journée pour aborder des questions liées à la diététique, aux troubles du comportement alimentaire, à l’activité physique, entre autres. «Mon équipe est composée de médecins, d’infirmiers, de diététiciens, de psychologues et d’art-thérapeutes. Nous suivons le patient de façon personnalisée afin qu’il atteigne ses objectifs, précise le PrPataky. Ceux-ci doivent être réalistes et respecter son rythme. Les premiers mois, il ne perd souvent pas de poids, mais il améliore son état général avec moins d’anxiété, moins de compulsions, de stress ou de symptômes dépressifs.» 

Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) propose également ce type de prise en charge. «Il est important d’appréhender un trouble du comportement alimentaire avec une approche pluridisciplinaire, explique la Dre Johanna Frantz, psychiatre à la Consultation de prévention et traitement de l’obésité du CHUV. Certains patients apparentent leur comportement alimentaire à une forme d’addiction. Bien que cela ne constitue pas un diagnostic, des preuves biologiques suggèrent que les aliments transformés, riches en sucre, en graisses et en sel présentent un potentiel addictif en activant les systèmes de récompense dans le cerveau, de manière similaire à certaines drogues.» 

Le CHUV propose des prises en charge individuelles ou encore des groupes de thérapie et de parole. «Notre objectif est de permettre à nos patients de retrouver une relation apaisée à leur alimentation. Cela passe par une reconnexion aux sensations corporelles et au changement du regard critique qu’ils portent sur eux-mêmes», poursuit la Dre Frantz. Et sa collègue, Lucie Favre, médecin au Service d’endocrinologie, diabétologie et métabolisme du CHUV, d’insister: «Personne ne choisit de devenir obèse et tout le monde sait que les légumes sont un meilleur choix alimentaire que les chips! Dire aux patients"il suffit de manger moins et de faire du sport" ne marche pas. Ils se sentent stigmatisés et ont parfois de la peine à consulter. Derrière leur poids se cache une grande souffrance qu’il s’agit de prendre en considération et de traiter.» 

Prendre le temps de manger; trouver une parade en cas d’envie irrésistible de terminer le paquet de bonbons (marcher, appeler un proche, etc.); ne pas suivre de régime; consulter un spécialiste pour se faire aider font partie des conseils à adopter. «Avec une prise en charge multidisciplinaire et sur le long terme, les patients perdent entre 5 à 10% de leur poids, poursuit Lucie Favre. Cela suffit déjà pour améliorer certains troubles associés à l’obésité, comme l’hypertension. Une perte pondérale plus importante est nécessaire pour un impact marqué sur le diabète de type 2 ou les maladies cardiovasculaires. Plus de dix cancers voient leur prévalence augmenter à cause de l’obésité. Perdre du poids n’est donc pas uniquement une affaire d’esthétique.»

Lorsque la chirurgie s’impose

«Pour celles et ceux dont l’indice de masse corporel (lire texte principal) dépasse 35 et qui ont déjà essayé d’autres approches thérapeutiques sans succès durable, l’intervention chirurgicale peut être une solution efficace et à long terme», explique la Dre Minoa Jung, médecin adjointe au Service de chirurgie viscérale des HUG. 

Environ 5000 interventions chirurgicales bariatriques se font en Suisse par année. «L’intervention la plus courante est celle du by-pass gastrique proximal. Il s’agit de réduire la taille de l’estomac afin que son volume ne fasse plus que l’équivalent d’un verre d’eau et de court-circuiter les 80 premiers centimètres de l’intestin. Cela permet de limiter à la fois la prise et l’absorption alimentaires.» 

La personne obèse peut alors perdre jusqu’à 30% de son poids total lors des deux premières années qui suivent le by-pass. «70% des pathologies associées à l’obésité sont résolues grâce à une telle perte de poids, se réjouit la Dre Jung. Les reflux gastro-œsophagiens, les apnées du sommeil, entre autres, disparaissent et la fertilité s’améliore.» Les effets secondaires d’une telle intervention sont parfois des carences en certaines vitamines et en fer, qui peuvent être substitués. Les patients doivent manger des aliments lisses pendant les trois semaines qui suivent l’opération et ensuite de petits repas solides trois fois par jour, idéalement complétés par deux collations.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 12/06/2022

[1] WHO European Regional Obesity Report 2022, qui concerne 53 États européens.

 

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