La nourriture en excès, un rempart contre la souffrance

Dernière mise à jour 29/11/17 | Article
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L’obésité n’est pas un choix, mais une maladie chronique complexe dont la composante psychologique est forte. Les conséquences psychosociales sur l’individu et sur sa santé sont importantes.

De quoi on parle

Début octobre, un jeune homme souffrant d’obésité très sévère est décédé dans un home de Suisse alémanique, alors qu’il n’avait que 17 ans. Fabian pesait 280 kilos. Le Tages Anzeiger rapporte le parcours chaotique de cet adolescent, en proie à de graves troubles du comportement alimentaire. Il était en attente d’une intervention chirurgicale de l’estomac, mais celle-ci n’a pas pu avoir lieu. Le point de vue de nos experts sur cette histoire tragique.

 Il avait 17 ans. Il pesait 280 kilos. L’histoire, tragique, se passe en Suisse, à Winterthur. Fabian, c’est son nom, souffrait de graves troubles alimentaires depuis sa plus tendre enfance, comme le rapporte le Tages Anzeiger. Le quotidien alémanique raconte que l’adolescent est tombé de sa chaise roulante. «Il est probablement mort des conséquences de son obésité sévère. La chute peut être due à un événement aigu tel qu’un accident cardiaque ou une embolie», analyse le Pr François Pralong, médecin-chef du Centre d'endocrinologie, diabétologie et obésité à l’Hôpital de la Tour à Genève. L’obésité, en effet, est un facteur de risque cardiovasculaire majeur à long terme. Mais déjà, à un âge aussi précoce, un tel poids est une surcharge pour le muscle cardiaque: «La pompe n’arrive pas à suivre, ce qui peut causer une insuffisance cardiaque ou respiratoire», explique le Pr Alain Golay, chef du service d'enseignement thérapeutique pour maladies chroniques aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).

Terrain génétique

Heureusement, les cas comme celui de Fabian sont rares en Suisse. Mais ils existent. Comment peut-on en arriver là? La réponse n’est pas simple. Rappelons d’abord que l’obésité est une maladie chronique, et ses causes multifactorielles. Selon la Dre Nathalie Farpour-Lambert, responsable du Programme Contrepoids aux HUG, «les obésités massives, survenant très tôt dans la vie, ont souvent un terrain génétique. Avec, par exemple, la présence de mutations génétiques sur les récepteurs hormonaux de la leptine, l’hormone de la satiété». La présence de maladies endocrines, de tumeurs au niveau de l’hypothalamus ou des irradiations au niveau de l’hypophyse peuvent entraîner de graves perturbations de l’appétit. Dans un environnement obésogène, où la nourriture est disponible partout et à n’importe quelle heure, ceci est un vrai problème.

Car le surpoids résulte toujours d’un déséquilibre entre les apports et les dépenses énergétiques, renforcé par une vie sédentaire. Facteur aggravant: on n’est pas tous égaux face à la prise de poids et à la façon d’absorber les aliments et de brûler les graisses.

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Troubles du comportement alimentaire

Témoignage: «J’ai perdu près de 70 kilos»

Arthur a toujours adoré manger. Enfant, il avait déjà quelques kilos en trop. A l’adolescence, les choses se gâtent: il prend environ 10 kilos par an, jusqu’à atteindre 240 kilos. Grignotage, fast-food, plats préparés, beaucoup de télévision, plus de sport… Un cercle vicieux et des parents impuissants. Un jour, c’est la prise de conscience: «Je voulais pouvoir refaire du sport et être en bonne santé». Il s’adresse aux HUG, puis s’inscrit au programme de préparation en vue d’une chirurgie bariatrique. Des journées de formation, de l’encouragement… ce suivi aide le jeune homme qui, avant même de subir son by-pass, perd une dizaine de kilos et se remet au sport. Depuis son intervention en mai 2016, il a perdu près de 70 kilos. Aujourd’hui, «je mange beaucoup moins, plus sainement, et je fais du fitness. J’espère descendre jusqu’à 80 ou 90 kilos».

Dans 80% des cas, derrière ces obésités sévères se trouvent de graves troubles du comportement alimentaire, comme l’illustre le Pr Golay: «Ces personnes avalent des quantités de nourriture qui dépassent notre imagination: des kilos de fruit, des litres de soda ou d’huile, par exemple». Parfois, jusqu’à l’addiction (voir encadré). «C’est plus fort qu’eux: il y a quelqu’un dans leur tête qui leur dit de manger. Or, tant que l’organisme n’a pas reçu les nutriments dont il a besoin, le cerveau en redemande», poursuit-il. Plus on mange de manière déséquilibrée, en effet, plus le système s’altère et plus on mange mal, confirme la Pre Jardena Puder, médecin adjointe au Service d'endocrinologie, diabétologie et métabolisme du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV): «Une prise alimentaire continue durant la journée perturbe, à force, la sécrétion des hormones de faim et de satiété».

Nourriture émotionnelle

Très souvent, des facteurs psychologiques (stress, anxiété, dépression, etc.) sont à l’origine de ces troubles. La nourriture devient alors un refuge: «On mange pour compenser son ennui, sa tristesse et pour apaiser ses émotions», déclare la Dre Farpour-Lambert. Et le contexte psychosocial joue un rôle majeur: «L’obésité parentale, les problèmes d’éducation, de santé, de couple, l’isolation sociale, un niveau socio-économique bas, augmentent le risque de surpoids chez l’enfant. De même que des événements de vie majeurs comme le décès d’un parent, par exemple, peuvent le faire», déclare Jardena Puder. Une histoire d’abus sexuels ou psychiques est par ailleurs plus fréquente chez les adultes atteints d’obésité que dans la population générale. Dans un contexte où manger relève d’un mécanisme de défense ou de compensation, on imagine combien il peut être difficile de changer ses habitudes.

Sur le plan psychologique encore, les patients souffrant d’obésité présentent souvent des comorbidités psychiatriques (dépression, bipolarité, schizophrénie). Or, la prise de médicaments psychotropes peut également entraîner des prises de poids importantes chez l’adulte, «de l’ordre de 30 à 50 kg selon les prédispositions génétiques», affirme le Pr Pralong.

Pour perdre du poids, le chemin est souvent long. La prise en charge, multidisciplinaire, s’articule autour de trois axes: psychologique, physique (mouvement) et nutritionnel. Le traitement conjoint des parents et des enfants avec le renforcement des compétences parentales et la diminution des conflits familiaux sont des approches très pertinentes aujourd’hui. Pour les cas d’obésité très sévère, la possibilité d’une chirurgie bariatrique existe, pour autant que l’adolescent soit en fin de croissance. L’espoir vient aussi de nouveaux médicaments agissant sur la régulation de l’appétit, avec un effet coupe-faim.

L’addiction alimentaire, une réalité?

Manger plus que de raison, et au-delà de sa volonté. La notion d’addiction alimentaire fait débat aujourd’hui. Et pour cause, «il y a peu d’évidence scientifique pour affirmer qu’un aliment spécifique soit considéré comme addictif», explique la Pre Jardena Puder. En revanche, l’existence de comportements addictifs se vérifie. «Manger des quantités excessives à l’abri des regards, être prêt à tout pour assouvir une envie alimentaire… Mes patients se reconnaissent beaucoup dans ces mécanismes», rapporte le Pr Alain Golay, qui estime qu’un tiers de ses patients sont concernés. Comme lui, d’autres experts pensent que ces comportements addictifs ne seraient qu’une aggravation des troubles du comportement alimentaire. Sur le plan neurobiologique, les recherches montrent bien l’existence de processus similaires avec l’addiction, à savoir l’activation du système de récompense, médié par la dopamine, ou celui des endorphines à l’origine du sentiment de plaisir, en particulier après l’ingestion d’aliments riches en sucre et en graisse. Un effet de tolérance, qui pousse à manger plus pour obtenir les mêmes effets, ainsi que des signes de sevrage, auraient également été décrits, d’après un article de la Revue médicale suisse.

Paru dans Le Matin Dimanche du 26/11/2017.

 

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