«Chacun d’entre nous a un microbiote qui lui est propre»
Responsable du laboratoire central de bactériologie et du laboratoire de recherche génomique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Jacques Schrenzel fait le point sur ce nouveau monde médical que sont le microbiote et ses possibles implications thérapeutiques.
EN DATES
1996 Diplôme de médecine interne de l’Université de Genève.
1997 Études postdoctorales de microbiologie clinique à la clinique Mayo (Rochester, États-Unis).
1999 Prix Pfizer de la recherche en maladies infectieuses.
2000 Nommé professeur boursier par le Fonds national suisse pour la recherche. Consultant en médecine interne et en maladies infectieuses. Fonde le laboratoire de recherche génomique.
2004 Nommé responsable du laboratoire central de bactériologie des HUG.
On ne parle plus désormais de flore intestinale, mais de microbiote. Parce que cela fait plus chic?
Il y a un effet de mode, c’est vrai. Parler de «flore» fait un peu «has been». Mais il y a aussi une raison technique à ce changement d’appellation. Les capacités de séquençage développées pour analyser le génome humain nous permettent maintenant de compter et d’identifier les bactéries qui se trouvent dans notre tube digestif. On en a découvert ainsi un nombre considérable dont on ignorait jusqu’à l’existence.
Qu’a-t-on appris du décryptage du génome de ces bactéries?
On a compris que le microbiote est individualisé: nous en avons chacun un qui nous est propre, comme nos empreintes digitales. Mais il n’est pas unique: de la même manière que nous avons tous dix doigts, nous partageons certains éléments de notre microbiote avec les autres humains. Ce microbiote commun contient plusieurs centaines de familles de bactéries. C’est énorme, d’autant que ces dernières interagissent les unes avec les autres. Il est très difficile de comprendre le rôle de chacune d’elles, tout comme l’équilibre qu’elles entretiennent les unes avec les autres.
La bonne santé tient-elle à l’équilibre entre ces différentes familles?
Oui, mais on ne peut pas encore définir ce qu’est un microbiote sain. En revanche, on sait qu’une flore qui a une faible diversité bactérienne (peu de familles de bactéries) peut être associée à une maladie. On peut comparer notre microbiote à une forêt tropicale qui renferme un foisonnement d’espèces. En cas de désertification, certaines d’entre elles disparaissent au profit d’autres, mais il est encore impossible de dire si la présence de davantage de cactus ou de moins d’orchidées entraîne telle ou telle pathologie.
Quel est le rôle du microbiote?
Il a de multiples rôles. On sait depuis longtemps que les bactéries intestinales nous sont utiles pour digérer la cellulose des végétaux, qu’elles produisent certaines vitamines, qu’elles éduquent notre système immunitaire et qu’elles nous protègent, par effet de niche, de certaines bactéries pathogènes. Mais on découvre de plus en plus de maladies dans lesquelles elles sont impliquées.
Lesquelles?
Les maladies métaboliques notamment, comme l’obésité, la stéatose hépatique (accumulation de graisse dans les cellules du foie) ou l’intolérance au glucose. La perméabilité de l’intestin est en effet contrôlée par des cellules qui doivent leur bon fonctionnement à certaines bactéries de la flore. Si, à cause de la désertification, ces micro-organismes ne sont plus présents, les cellules sont moins efficaces et elles laissent passer, à travers la barrière intestinale, certains produits bactériens dans le sang. L’organisme réagit alors par une inflammation qui conduit à des maladies métaboliques.
Plus étonnant encore, le microbiote peut agir sur le cerveau…
C’est vrai qu’il y a cinq ans, on n’aurait jamais imaginé que notre microbiote puisse communiquer avec le cerveau. L’un des mécanismes impliqués tient au fait que des globules blancs qui montent la garde auprès des muqueuses intestinales sont activés, dans certaines circonstances, par le microbiote. Ils se mettent alors à circuler dans notre sang et peuvent atteindre le cerveau. C’est par ce biais que le microbiote peut contribuer à la sclérose en plaques.
Est-il aussi associé à des maladies neurologiques comme Parkinson ou Alzheimer?
C’est difficile à dire, car ces maladies se développent très lentement et, au moment du diagnostic, on ne connaît pas la situation dans laquelle elles sont apparues. Les personnes qui souffrent de la maladie de Parkinson ont souvent des problèmes digestifs. Est-ce pour cela qu’elles modifient leur alimentation et donc leur microbiote ou est-ce ce dernier qui est en cause? On ne le sait pas encore. On pense aussi maintenant que le microbiote pourrait jouer un rôle dans l’autisme, voire influencer notre humeur.
Il y a déjà eu des essais de transplantation de matière fécale, notamment aux Pays-Bas, pour traiter l’obésité. Est-ce efficace?
Les premières transplantations ont été faites en Australie pour traiter la colite à Clostridium difficile. Cette maladie se développe chez des patients auxquels on a donné des antibiotiques qui détruisent certaines bactéries de la flore, mais pas Clostridium difficile, qui se multiplie et produit des toxines responsables d’importants dégâts intestinaux. Donc on prescrit à ces patients d’autres antibiotiques, mais environ 40% d’entre eux rechutent. Ce qu’il faut, c’est rétablir l’équilibre du microbiote et dans ce cas, la transplantation a un réel bénéfice. Mais pour les autres maladies, comme l’obésité, les résultats sont moins évidents.
On n’a donc pas fini de parler du microbiote?
Il s’agit d’une nouvelle discipline médicale qui, en interagissant avec d’autres, va donner des résultats. Cela prendra du temps, mais il sera alors beaucoup plus facile d’agir sur le microbiote, en modifiant l’alimentation par exemple, que sur notre génome. D’ailleurs, la pharma s’y intéresse comme l’industrie alimentaire. C’est la preuve que l’engouement pour le microbiote n’est pas un simple effet de mode.
Recherches sur les microbiotes intestinal et respiratoire
Jacques Schrenzel et ses collègues se penchent sur le rôle du microbiote dans l’apparition de la cachexie, une perte du poids et de la masse musculaire qui affecte des personnes ayant une maladie inflammatoire. «On a beau donner des calories à ces patients, ils ne parviennent pas à refaire du muscle. Nous voulons savoir si leur microbiote est l’un des éléments qui les empêchent de bénéficier des nutriments qu’ils consomment», explique le médecin des HUG.
En collaboration avec leurs collègues de Lausanne et de Sion, les chercheurs genevois ont donc lancé une étude multicentrique dans laquelle ils comptent inclure une trentaine de patients souffrant d’une insuffisance rénale. Pendant six mois, ils vont les nourrir de manière particulière. L’étude testera dans quelle mesure cette nutrition modifie leur microbiote et leur fait regagner du poids et de la force musculaire.
Par ailleurs, l’équipe des HUG tente de prédire l’apparition d’une maladie chez certains patients. Elle s’est par exemple intéressée aux personnes placées sous ventilation mécanique, un procédé utilisé en soins intensifs et connu pour diminuer les défenses immunitaires et augmenter le risque de pneumonie. Une étude a donc été menée afin d’analyser les effets de cette ventilation sur le microbiote respiratoire – car comme l’intestin ou la peau, les poumons possèdent aussi un écosystème bactérien. Le but, à la fin, étant «d’anticiper l’infection, voire d’appliquer plus rapidement les traitements nécessaires». Les résultats sont actuellement en cours d’analyse.
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Paru dans Le Matin Dimanche du 16/07/2017.