Tatouages colorés sous les projecteurs

Dernière mise à jour 29/03/22 | Questions/Réponses
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Ils sont rouges, oranges ou jaunes: quelque 25 pigments utilisés dans les encres de tatouage sont dorénavant interdits pour raisons sanitaires dans les 27 pays de l’Union européenne.

Entrée en vigueur le 4 janvier dernier, cette nouvelle réglementation aura-t-elle une incidence sur la Suisse? C’est probable. «Ces nouvelles exigences pourraient modifier les directives actuelles dans les deux années à venir», précise Stefan Kucsera, collaborateur scientifique à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires. Et d’en préciser la complexité technique: «Depuis quelques années, les tatouages sont réglementés par une ordonnance* axée sur les propriétés toxicologiques des substances. Les réglementations européennes proposent, elles, une tout autre approche, basée sur les risques potentiels pour la santé. Cette distinction pourrait étendre le principe de précaution à davantage de composants.» Alors, que sait-on aujourd’hui des risques liés au tatouage? Les réponses du Dr Olivier Gaide, dermatologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

Le risque numéro un évoqué lors d’un tatouage est l’infection. Est-ce correct?

Dr Olivier Gaide: Oui. Une contamination bactérienne – par des staphylocoques ou des mycobactéries, par exemple – est le risque le plus fréquent. L’infection peut découler du geste lui-même. Pour déposer les pigments dans le derme, l’aiguille du tatoueur traverse nécessairement la peau, ce qui crée une brèche pouvant se muer en porte d’entrée pour certaines bactéries. L’hygiène entourant l’acte et la stérilité du matériel utilisé sont fondamentales. Mais la contamination bactérienne peut aussi se produire lors de la dilution des encres, qui se fait non pas chez le fabricant, mais dans les locaux du tatoueur. Toute rougeur, démangeaison ou encore chaleur intense sur la zone du tatouage s’accentuant au fil des jours nécessite une consultation médicale.

Le risque allergique est-il prévisible?

À ce jour, non. Impossible à prévoir avant l’intervention, l’allergie se manifeste notamment par des rougeurs et des démangeaisons. D’autant plus vive que les particules d’encre sont encore fraîches dans le derme, l’allergie se dissipe avec le temps. Visées par les nouvelles directives européennes, les encres rouges sont de loin les plus allergisantes, suivies par les vertes, puis les noires. Les encres de tatouages étant, selon leur couleur, susceptibles de contenir des métaux tels que nickel, cobalt ou encore chrome, toute allergie connue à un métal constitue une contre-indication majeure au tatouage.

La réglementation est-elle suffisante?

Beaucoup reste à faire. Pour rappel, en Suisse à l’heure actuelle, la formation des personnes qui pratiquent le tatouage n’est ni réglementée ni reconnue. Quant aux produits utilisés, les flacons porteurs de la norme «CE» sont garants d’une certaine qualité, mais celle-ci est relative au vu des molécules dans le viseur des dernières directives européennes. Cette nouvelle réglementation – et sa possible application aux législations suisses actuelles – ne peut donc qu’ajouter plus de sécurité, mais le tatouage reste une pratique comportant des risques à court, moyen et potentiellement long terme, certains avérés, d’autres plus flous à ce jour.

Qu’en est-il du risque de cancer?

Si les cancers de la peau sont en constante augmentation sous nos latitudes, la tendance ne semble pas suivie par les tumeurs manifestement liées au tatouage (apparaissant sur la zone tatouée). À ce jour, les données montrent donc que s’il existe, le lien entre cancer et tatouage serait faible. Mais les choses pourraient s’avérer plus complexes sur le long terme. En cause: les molécules relevées dans les tatouages, en particulier celles liées aux pigments colorés, dont la toxicité potentielle est avérée pour une grande partie d’entre elles. Or, comme de nombreuses substances possiblement cancérigènes, leur effet pourrait ne se faire sentir qu’au bout de 10, 20 ou 40 ans. Pour rappel, les substances contenues dans les encres de tatouage restent durablement dans le corps, certaines se figent dans le derme, d’autres migrent dans les ganglions lymphatiques. À noter également: l’utilisation relativement récente de ces pigments colorés, à l’échelle de l’histoire des tatouages. D’où un manque de recul à prendre en compte. Parmi les principes de précaution toutefois: éviter la pratique du tatouage trop tôt. Plus une molécule potentiellement cancérigène siège dans le corps, plus elle expose à un risque de tumeur dans le temps.

Certaines peaux sont-elles plus sujettes aux complications que d’autres?

C’est certain. La prudence est particulièrement de mise pour les personnes souffrant de maladies dermatologiques, telles que psoriasis et vitiligo, ou sujettes à des affections telles que cicatrices chéloïdes (surproduction de tissu cutané lors de la cicatrisation) et granulomes (réaction excessive du système immunitaire à l’origine de petits nodules à la surface de la peau). Qu’en est-il des grains de beauté? Parce qu’il est déconseillé de les léser et de les faire saigner, les grains de beauté sont à prendre en compte en cas de tatouage. Nombre de tatoueurs veillent par exemple à les entourer, les incluant ainsi dans le dessin sans les percer avec l’aiguille. La peau pouvant receler des contre-indications propres à chacun, l’avis d’un dermatologue peut être précieux avant d’envisager un tatouage.

_________

* Ordonnance du Département fédéral de l’intérieur sur les objets destinés à entrer en contact avec les muqueuses, la peau ou le système pileux et capillaire (…): https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2005/811/fr#chap_2

Paru dans Planète Santé magazine N° 44 – Mars 2022

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