Les œufs, faut pas abuser d’eux

Dernière mise à jour 21/04/21 | Article
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Tour à tour craints ou plébiscités, l’œuf a des qualités nutritives incontestables. Pourtant, sa réputation est régulièrement entachée de soupçons quant à son innocuité sur notre santé. Et l’étau semble se resserrer. Explications.

Au plat, à la coque, durs ou en omelette, consommés seuls ou incorporés à des quiches, cakes ou biscuits, les œufs sont partout ou presque. Et leurs vertus sont indéniables. Excellente source de protéines, ils sont également riches en acides gras insaturés (les fameuses «bonnes graisses») et en vitamines. Dans le détail, deux œufs apportent 10 g de protéines (soit l’équivalent d’un steak de 120 g ou un filet de poisson de 150 g). Côté vitamines, «ils couvrent 50% de nos besoins quotidiens en vitamine K, 40% en vitamine D, 30% en vitamine A, 20 à 25% en vitamines B2, B5 et B6 et 10 à 20% en vitamine E, rappelle Maria Lena Enz, diététicienne chez Team nutrition et membre de l'Antenne des diététiciens genevois (ADiGe). Une composition nutritive impressionnante qui a fait de cet aliment pratique et peu coûteux un incontournable». Déclinables à l’infini en cuisine et présentant l’énorme avantage, contrairement aux viandes, de fournir des protéines animales sans nécessiter le décès d’un être vivant, les œufs ont traversé de nombreuses controverses. Aujourd’hui, ils voient leur réputation s’assombrir de nouveau.

Associé à un risque d’accident cardiovasculaire

Parmi les dernières études en date, celle menée aux États-Unis auprès de 30'000 personnes. Parue dans la revue JAMA1, ses conclusions sont explicites: une consommation élevée de cholestérol alimentaire ou d'œufs est significativement associée à un risque accru d'incident cardiovasculaire et de mortalité, et cet effet serait «dose-dépendant». Autrement dit, plus les apports sont importants, plus les effets négatifs sont potentiellement marqués. La limite d’une consommation maximale de trois œufs par semaine se profilerait. De quoi ébranler les habitudes de beaucoup. «Dans le domaine de la nutrition, les recommandations évoluent au fil des connaissances et peuvent être déstabilisantes, reconnaît le Dr Dimitrios Samaras, médecin consultant au sein de l’Unité de nutrition des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Mais depuis une dizaine d’années, il est indéniable que les études concernant la consommation d’œufs convergent vers un message de prudence, avec un véritable changement de paradigme quant aux mécanismes en jeu.»

Pas uniquement une question de cholestérol 

Longtemps pointé du doigt, le cholestérol que les œufs cachent dans leur jaune ne serait pas le seul responsable. Pour rappel, les quelque 250 mg de cholestérol que contiennent en moyenne deux œufs en ont fait pendant des décennies un aliment déconseillé aux personnes souffrant d’hypercholestérolémie, l’apport quotidien maximal recommandé de cholestérol s’élevant à 300 mg. Or «le rapport de cause à effet entre consommation d’œufs et élévation du taux de cholestérol sanguin n’est pas si net», indique le Dr Samaras. Et d’ajouter: «Les études sont limitées: il est par exemple impossible d’imposer une consommation délibérément excessive en œufs à des personnes pour les comparer à d’autres qui en seraient privées, et ce pendant plusieurs années. Et les subtilités s’avèrent nombreuses: en termes de cholestérol, il n’est par exemple pas équivalent de consommer un œuf dur ou cuit à la poêle avec de la matière grasse.» Sans compter l’équation particulièrement complexe aboutissant à nos taux de «bon» et de «mauvais» cholestérol (respectivement appelées lipoprotéines de haute densité, ou «HDL», et lipoprotéines de faible densité, ou «LDL»). Ceux-ci dépendent de ce que nous mangeons, mais également de notre patrimoine génétique et de notre hygiène de vie. Pour rappel, le cholestérol apporté par l’alimentation ne constitue que 30% de celui qui coule dans nos veines, les 70% restants étant produits par l’organisme lui-même. «Il est par ailleurs essentiel de tenir compte de l’alimentation dans son ensemble, l’idéal étant de miser sur un régime cardioprotecteur (lire encadré)», ajoute Maria Lena Enz.

Si le facteur «cholestérol» des œufs bénéficierait d’un sursis, le fait nouveau tiendrait en quatre lettres: TMAO. Derrière cet acronyme, l’oxyde de triméthylamine, un composé produit par le foie à partir notamment de la choline, une molécule présente dans le jaune d’œuf. Tout sauf anodin, il serait impliqué dans l’apparition de maladies cardiovasculaires et de cancers, notamment ceux de la prostate et du côlon. Mais le tableau est complexe: «Nous ne sommes pas à égalité face à la production de TMAO. Celle-ci se réalisant sous l’action des bactéries de notre microbiote, elle est propre à chacun», explique le Dr Samaras. Définis dans leur composition dès l’enfance et dépendants d’une multitude de facteurs passés et actuels, les micro-organismes de nos intestins constituent en effet un écosystème hautement individuel. «Ainsi, on sait aujourd’hui qu’une personne végétarienne ne produira pas, ou très peu, de TMAO, tandis qu’un individu friand de viandes et de produits laitiers en synthétisera sans doute en grande quantité», détaille le spécialiste.

Trois œufs par semaine

Dès lors, surtout si l’on présente un profil à risque de pathologies cardiovasculaires et/ou que notre alimentation nous prédispose à une production massive de TMAO, faudrait-il drastiquement réduire sa consommation d’œufs? «Tout porte à croire que oui», répond le Dr Samaras. Quant à la quantité optimale, «nous sommes tentés de dire le moins possible, mais viser un maximum de trois œufs par semaine serait effectivement optimal», suggère le spécialiste. Et de préciser: «Cette recommandation ne vaut pas pour tout le monde. Pour les personnes âgées ou gravement malades par exemple, en proie à un risque de sous-nutrition, les œufs constituent une denrée particulièrement précieuse et efficace. Mais pour le reste, il est temps de repenser nos habitudes.» Et de préciser: «Il y a encore quelques décennies, en temps de guerre ou de famine, la consommation d’œufs était stratégique. Aujourd’hui, sous nos latitudes favorisées, nous sommes plus souvent menacés de surnutrition que de manque. L’explosion des maladies cardiovasculaires, du diabète, mais également des cancers, découlant pour une large part de nos modes de vies, en est l’une des meilleures preuves. Dès lors, nos stratégies individuelles doivent s’ajuster. La nécessité n’est plus de trouver les aliments les plus efficaces possible, mais au contraire d’en limiter certains au vu de l’abondance qui nous entoure.»

Place à l’assiette cardioprotectrice

Une richesse de fibres, vitamines et antioxydants, un apport limité en graisses saturées, conservateurs et additifs industriels, autant de conseils alimentaires qui ont le vent en poupe et qui constituent aussi l’essence d’un mode d’alimentation de plus en plus souvent cité en exemple: le régime méditerranéen. «Sous les feux des projecteurs et de nombreuses études depuis les années 1960, celui-ci ne cesse de démontrer ses bienfaits, en particulier sur la santé cardiovasculaire, tant sur les personnes dites "à risques" qu’à titre préventif», souligne Maria Lena Enz, diététicienne chez Team nutrition et membre de l'Antenne des diététiciens genevois (ADiGe). Pour exemple, cette vaste étude parue en 2018 dans le New England Journal of Medicine2 et montrant une réduction d’environ 30% du risque d’événements cardiovasculaires chez les personnes soumises à un régime méditerranéen (enrichi en huile d’olive extra-vierge ou en noix dans l’étude). Le régime méditerranéen serait également bénéfique face au risque de diabète de type 2. Au menu, principalement: une consommation élevée d'huile d'olive, fruits, oléagineux (noix, amandes), légumes et céréales (complètes); modérée de poisson et de volaille; et faible de produits laitiers, viande rouge, viandes transformées et sucreries3.

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 1. Eckel RH. Reconsidering the importance of the association of egg consumption and dietary cholesterol with cardiovascular disease risk. JAMA 2019;321:1055-1056. doi:10.1001/jama.2019.1850

2. Estruch R, Ros E, Salas-Salvadó J, et al. Primary prevention of cardiovascular disease with a mediterranean diet supplemented with extra-virgin olive oil or nuts. N Engl J Med 2018; 378:e34. DOI: 10.1056/NEJMoa1800389

3. Willett WC, Sacks F, Trichopoulou A, et al. Pyramide alimentaire méditerranéenne: un modèle culturel pour une alimentation saine. Am J Clin Nutr 1995;61: 1402S-1406S.

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Paru dans Le Matin Dimanche le 28/03/2021.

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