L’anorexie mentale est une maladie qui ronge et qui tue

Dernière mise à jour 16/06/16 | Article
anorexie mentale
Pour éviter qu’elle devienne chronique ou s’aggrave, il est impératif d’agir vite et de proposer une prise en charge médicale spécialisée.

De quoi on parle

Mi-avril, on apprenait le décès de Laurence Chirac, la fille aînée de l’ex-président français Jacques Chirac. A 58 ans, la plus discrète de ses enfants succombait à un malaise cardiaque. Souffrant d’anorexie mentale depuis son adolescence, et après plusieurs tentatives de suicide, la maladie a eu raison de son existence, comme de celle de trop d’autres femmes avant elle.

Leur maigreur frappe. Bien que les jeunes femmes en proie à l’anorexie soient extrêmement maigres, elles continuent à se sentir «trop grosses» et font tout pour perdre du poids. Cette distorsion de l’image corporelle par rapport à la réalité est l’une des caractéristiques de ce trouble du comportement alimentaire qui concerne 2 à 3% de la population générale. Elle touche essentiellement les filles –seul un anorexique sur dix est un garçon.

Après des années de lutte contre la maladie, la fille aînée du couple Chirac a succombé, à 58 ans, à un malaise cardiaque, une conséquence probable de son anorexie, commente le Dr Laurent Holzer, responsable du volet pédopsychiatrique du Centre anorexie boulimie (abC) au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV): «Les troubles du rythme cardiaque et l’arrêt cardiaque sont l’une des complications gravissimes de l’anorexie, la pathologie psychiatrique qui tue le plus.» Les chiffres sont en effet alarmants: 5 à 6% des anorexiques décèdent de leur maladie et de ses complications, dont environ la moitié par suicide. «Même si le corps résiste, plus la personne est malade longtemps, plus les risques de complications et de mortalité sont élevés», observe le spécialiste.

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Comme cela a été le cas pour Laurence Chirac, la maladie débute très souvent à l’adolescence, une période de grande vulnérabilité et de fragilisation en raison des nombreux questionnements qu’elle soulève, à la fois sur la construction de l’identité, l’autonomie vis-à-vis des parents, le regard des autres, la séduction et la sexualité, etc. «La crainte de tous ces réaménagements peut faire basculer dans l’anorexie, une pathologie qui bloque le processus d’adolescence. La jeune femme anorexique concentre en effet tous ses efforts sur son désir de minceur et sur la perte de poids pour éviter, consciemment ou inconsciemment, de devoir se positionner sur ces questions», explique le psychiatre vaudois.

L’exigence sociale de minceur, on le sait, peut également avoir de l’impact sur les adolescentes. Très souvent en effet, c’est un régime ou une remarque sur le poids ou l’apparence physique qui sont les facteurs déclencheurs d’une anorexie. Le régime peut alors se transformer en une restriction alimentaire pathologique, qui tourne sur elle-même. Parfois, c’est un grand stress comme une rupture, un déménagement, un deuil voire une maladie. Le mannequinat, mais plus banalement la pratique de certains sports (danse, athlétisme, gymnastique artistique) où une surveillance du poids est demandée, sont également des activités à risque. Mais toutes les jeunes femmes ne tombent pas dans l’anorexie. Il semblerait qu’un terrain psychologique, marqué notamment par une grande exigence vis-à-vis d’elles-mêmes, une faible estime de soi ou un perfectionnisme, les y prédispose.

Une maladie aux causes multifactorielles

Les hypothèses sur les causes de l’anorexie ont évolué avec les années. Avec les avancées neurobiologiques et génétiques, on lui reconnaît désormais une origine multifactorielle. Autrement dit, elle ne dépend pas d’une seule cause mais résulte d’une interaction entre des facteurs génétiques, biologiques, psychologiques individuels, en lien avec des éléments liés à l’environnement, à la fois social, culturel et familial.

Certaines hypothèses biologiques plus précises sont cependant explorées. Par exemple, on s’interroge sur le rôle de la leptine (voir infographie) ainsi que sur un éventuel hyperfonctionnement du système sérotoninergique. La sérotonine est un neuromédiateur, impliqué dans la prise alimentaire, l’humeur et le stress. Les recherches se poursuivent.

Le régime pommes salade

L’anorexie est une véritable obsession. Pour ces jeunes femmes, il s’agit de manger le moins possible, de chasser tout ce qui est gras et sucré, de compter les calories, de surveiller leur poids, de se remplir de liquide ou d’aliments riches en eau comme les fruits et les crudités. Certaines, en plus, éliminent ce qu’elles ont avalé en se faisant vomir, en prenant des laxatifs ou en pratiquant du sport à outrance. Toutes sortes de manies alimentaires et de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) peuvent en outre s’y associer. «Ces jeunes femmes sont dans l’hypercontrôle; elles sont tyranniques avec elles-mêmes, se fixent des objectifs de poids, mais descendent toujours plus bas pour le plaisir de maîtriser leur corps», explique le Dr Christel Alberque, responsable de l’unité psychiatrique hospitalière adulte (UPHA) aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ce comportement envahissant a un retentissement sur la famille (lire l’encadré) et «laisse peu de place à autre chose. Il appauvrit le rapport à soi et aux autres et plonge ses victimes dans l’isolement», commente le Dr Holzer.

Sur le plan physique, un poids et un indice de masse corporel très bas (en dessous de 18) ne sont évidemment pas sans conséquences: carences multiples, diminution de la qualité osseuse (ostéoporose), perte des cheveux, retard pubertaire, absence de règles, hypothermie, brachycardie (ralentissement du rythme cardiaque), troubles de la fonction rénale, etc. La dénutrition entraîne également des troubles de la concentration, de la mémoire et des fonctions exécutives, et même, dans les cas graves, une atrophie cérébrale. Tous les organes vitaux dysfonctionnent: «Le corps se concentre pour préserver les fonctions vitales», résume le Dr Holzer.

Le risque de survenue de complications augmente lorsque l’anorexie s’installe et devient chronique, ce qui arrive dans 50% des cas environ. Or, les chances de guérison diminuent après trois à cinq ans. Pour pouvoir sortir de ce cercle infernal, une intervention médicale précoce et intense est donc indispensable. La prise en charge (lire l’encadré) de ce désordre alimentaire complexe se fait à la fois sur le plan somatique et psychologique et varie selon la gravité de la situation (en ambulatoire ou sous forme d’une hospitalisation).

La multiplication de régimes, une trop grande rigidité alimentaire et la mise en place de rituels autour des repas à l’adolescence sont des signes à prendre au sérieux. Un désir excessif de manger sain peut aussi masquer une anorexie naissante. Associés à une perte de poids importante, ils devraient toujours être signalés à un médecin, une attitude qui pourra être salutaire à une adolescente prisonnière d’idées obsessionnelles et d’une fausse image de son propre corps.

La thérapie de famille pour guérir

Dans les années 1970, l’anorexie mentale était associée à des configurations particulières de fonctionnement familial. Une vision qui s’est traduite par une mise à l’écart des parents dans la prise en charge de leur enfant anorexique. Les études réalisées depuis lors ont permis une meilleure compréhension de la maladie. On considère désormais l’anorexie comme une maladie aux origines multifactorielles, ce qui diminue la responsabilité des parents dans son avènement.

La thérapie familiale, selon le modèle Maudsley, s’est développée vers la fin des années 1980. Jusqu’ici, le traitement de l’anorexie mentale était considéré comme la tâche des spécialistes et de la patiente. L’originalité de ce modèle de soins est de replacer les parents au centre de la prise en charge. Soutenus par les thérapeutes, ils deviennent une ressource vitale pour leur enfant, qui n’est plus capable de faire les bons choix alimentaires pour sa santé. Dans cette approche, dont l’efficacité a été démontrée par des études contrôlées et randomisées, les parents jouent un rôle mobilisateur et non culpabilisant. L’accent est mis non pas sur les causes, mais sur les facteurs de maintien de l’anorexie et de sa fonction au sein de la famille. Dans les pays anglo-saxons, cette approche connaît un grand succès depuis de nombreuses années déjà. Peu courante en Suisse, elle tend cependant à s’implanter au vu des résultats positifs qui ont été démontrés à l’étranger.

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