La menace bien réelle des perturbateurs endocriniens

Dernière mise à jour 16/06/14 | Article
La menace bien réelle des perturbateurs endocriniens
Ces substances nuisent à notre corps en agissant comme des hormones. Dans un exposé à Lausanne, un spécialiste américain a insisté sur l’urgence de réformer la législation à leur sujet.

Un constat effrayant et un peu d'espoir. C'est, l'hiver dernier, ce que livrait John Peterson Myers lors d'une conférence donnée à l'Université de Lausanne. Le scientifique est un expert mondial des perturbateurs endocriniens. Des substances comme le BPA qui agissent dans notre corps comme des hormones, les messagers de l'organisme. Exposé aux perturbateurs endocriniens, le corps reçoit donc des signaux erronés. Et, au long cours, cette confusion cause de nombreuses maladies. Ainsi, les filles de mères exposées au BPA peuvent présenter davantage de cancers du sein, tandis que l'insecticide DDT menace la fertilité.

Quelques perturbateurs endocriniens

  • Le bisphénol A, utilisé dans les plastiques, le revêtement des boîtes de conserve ou sur les tickets de caisse.
  • Des phtalates, utilisés pour assouplir les plastiques ou fixer les parfums.
  • Des agents ignifugeants, comme le PBDE.
  • Des composés fluorés, utilisés pour le revêtement des poêles antiadhésives ou le traitement de tissus techniques comme le Gore-Tex.
  • Les organoétains, employés par exemple comme biocides.
  • Des herbicides, comme l’atrazine ou le glyphosate (Roundup).

A Lausanne, le chercheur étasunien a commencé son discours en mentionnant deux publications récentes. D’une part, l'épais rapport de l'OMS de février 2013 sur les perturbateurs endocriniens prouve que le problème est pris au sérieux au plus haut niveau. De l'autre, une publication d'un groupe de réassureurs –les sociétés qui assurent les assureurs–, manifeste les craintes des spécialistes du risque. «Cette préoccupation n'émane donc pas de "fanatiques" de l'environnement. Non, depuis dix ans, les sociétés scientifiques, les acteurs de la santé publique et l'économie se demandent quelles actions entreprendre à ce sujet.»

Exposition permanente

Des «milliers d'études» indiquent en effet que l'exposition aux perturbateurs endocriniens est liée à l'augmentation de maladies comme les cancers hormonaux, l'endométriose, les maladies auto-immunes, les troubles d'apprentissage ou de l'attention, les ovaires polykystiques ou fibroïdes, les maladies cardiaques, l'asthme, l'obésité et le diabète, l'autisme, la prématurité et l'infertilité.

Comment se protéger?

Peut-on se protéger de ces substances chimiques qui agissent dans notre corps comme des hormones? Pour connaître la réponse, lisez notre article Comment éviter les perturbateurs endocriniens?

Immédiatement, John Peterson Myers précise que si certains de ces liens sont avérés, d'autres ne sont que présumés (et pourraient donc être infirmés). Néanmoins, «l'accroissement des maladies endocriniennes que nous constatons aujourd'hui est plus rapide que ce que devrait donner la seule évolution de l'espèce».

Aujourd’hui près de 800 perturbateurs endocriniens sont couramment utilisés (employés comme pesticides, insecticides, durcissants pour plastiques, filtres solaires, antibactériens, textiles techniques, etc.). «L'exposition est ubiquitaire pour les êtres humains et les animaux. Sans compter que les industriels utilisent environ 18 000 substances chimiques. Or, la toxicité de la plupart d'entre elles n'a pas été testée, pas plus que leurs propriétés endocrines.»

La dose n'est pas le poison

Comme si cela ne suffisait pas, les tests imposés par les autorités pour déterminer si une substance est sûre ne sont absolument pas adaptés à la réalité des perturbateurs endocriniens.

Les produits sont d'abord testés à très haute dose, puis l'on réduit successivement les doses jusqu'à un dosage où rien ne se produit. Cela fixe la NOAEL, la dose sans effet toxique observable1. Par précaution, on réduit la NOAEL de quelques ordres de grandeur et voilà qu’on a déterminé le seuil en-dessous duquel un produit est réputé sûr2.

Or, des années de recherche sur les perturbateurs endocriniens battent en brèche ce principe dit de Paracelse, selon lequel l’effet d’une substance est proportionnel à la dose délivrée. Des effets à très faibles doses (bien en-deçà de la NOAEL) sont ainsi communément observés en cas d’exposition répétée. De même, pour de nombreux perturbateurs endocriniens, il n'y a pas de proportionnalité entre la dose reçue et l'effet produit3. John P. Myers est d'ailleurs l'auteur senior d'une très vaste revue de la littérature scientifique sur les faibles doses et les courbes de dosages non linéaires, publiée en 2012.

En résumé, il est urgent de formuler de nouveaux tests pour les composés chimiques et qu’une législation impose ces normes aux industriels.

Espoir d'une chimie verte

Au bout du compte, le régulateur rattrapera ses erreurs, prédit John Myers. Mais que faire dans l'immédiat? Il faut, selon lui, que les industriels adoptent une «chimie verte». «Aujourd'hui, on crée de nouveaux composés chimiques à partir des propriétés que l'on souhaite qu’ils aient, explique le spécialiste. On ne tient aucun compte de leur toxicité potentielle.» Cette manière de faire présente d’ailleurs un risque important pour les industriels, puisque la substance obtenue peut tout à fait montrer la fonction désirée mais se révéler toxique.

John Myers et ses collègues proposent donc un nouveau processus pour la synthèse de composés qui prend en compte le savoir acquis sur les perturbateurs endocriniens. A chaque étape de la recherche d’une nouvelle molécule, de la simulation informatique jusqu'au test in vivo, le chimiste dispose avec cette méthode d'indicateurs lui permettant de savoir si poursuivre les essais sur le composé est judicieux en termes de toxicité.

La pertinence de cette approche est manifeste si l'on regarde le cas du BPA. Après la prise de conscience de sa toxicité, la pression a été forte pour lui trouver des substituts. Des scientifiques ont alors examiné le bisphénol S, qui remplace le BPA dans le papier thermique utilisé dans les tickets de caisse. Eh bien, le bisphénol S a le même effet de perturbateur endocrinien que le BPA. La toxicité potentielle de la substance n'a sans doute pas été prise en compte pour le mettre au point.

1) No-observed-adverse-effect-level.

2) Cette approche empirique a cours depuis plus d'un demi-siècle, comme le décrit le politologue David Demortain dans son article «Regulatory Toxicology in Controversy», publié en 2013 dans la revue scientifique Science Technology & Human Values.

3) Le tamoxifène, un médicament utilisé contre le cancer du sein, donne un bon exemple d'un tel rapport non proportionnel entre dose administrée et effet observé. Une dose de tamoxifène bien inférieure à la NOAEL fait grandir les tumeurs au lien de les diminuer. Les femmes qui suivent un traitement de tamoxifène connaissent donc une phase difficile au début de la prise du médicament où leur cancer paraît progresser, avant que la concentration de tamoxifène dans l’organisme ne devienne suffisante pour faire reculer la maladie.

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