Se libérer d’un pervers narcissique

Dernière mise à jour 18/07/19 | Article
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S’il ne correspond à aucune entité nosographique officielle, le pervers narcissique inflige néanmoins à ses victimes de réelles souffrances.

«Elles sont issues de milieux très différents, elles ont une personnalité et un profil qui leur sont propres, et pourtant, leur histoire se ressemble énormément.» C’est le regard que pose Valérie Le Goff-Cubilier, psychiatre responsable de l’Unité de consultation couple et famille du secteur psychiatrique Ouest au Département de psychiatrie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), sur les victimes de pervers narcissique qu’elle a eu l’occasion de rencontrer dans sa pratique. Son expérience de psychothérapeute mais aussi le fait d’avoir côtoyé des personnalités hautement narcissiques et perverses dans le cadre pénitencier, lui ont permis d’approfondir le sujet dans un livre*.

Si l’étiquette de «pervers narcissique» (PN) est largement répandue dans les médias, elle ne correspond, dans les manuels de classification de maladies mentales, à aucune entité nosographique. Les souffrances que les pervers narcissiques – homme ou femme – infligent à leurs victimes sont pourtant bien réelles. La spécialiste constate à ce titre que l’écrasante majorité des victimes dans les consultations sont des femmes.

Comment communiquer avec un PN?

  • Eviter le plus possible les contacts.
  • Être clair et éviter les ambiguïtés.
  • Rester factuel autant que possible.
  • Communiquer sans entrer dans de vaines discussions.
  • Ne pas se justifier, car cela est vain. En effet, le PN considère qu’il a toujours raison et que l’autre a toujours tort et est systématiquement dans l’erreur.
  • Accumuler les preuves (documents, écrits) en cas de litige.

Croiser le chemin d’un PN se paie généralement au prix fort. Leurs victimes sont loin de s’en douter. En effet, la relation commence souvent par une «lune de miel», phase durant laquelle le PN se montre sous son meilleur jour. En réalité, ce n’est que pour mieux instaurer son emprise sur sa partenaire. Qui sont ses victimes? «Elles ont en commun quelque chose que les PN n’ont pas et qui suscite leur envie. Un physique avantageux, de hauts diplômes, une belle carrière sont utilisés comme faire-valoir, dont il s’agit de tirer parti», explique Valérie Le Goff-Cubilier. Pourquoi dès lors se font-elles prendre dans leurs filets? Peut-être parce que malgré leurs succès, elles souffrent d’un manque d’estime de soi. Alors, les PN profitent d’une période de vulnérabilité (rupture, deuil, perte d’emploi) pour ferrer leur proie.

Une lente prise de conscience

Les mécanismes de cette relation toxique se mettent en place très vite, décrit la psychothérapeute: «Tout est déjà là dès le départ. Peu à peu, la séduction disparaît et l’amertume se fait sentir.» Mais il faudra parfois de longues années pour que la victime prenne conscience de ce qu’elle vit dans un couple où l’équité et la bienveillance font cruellement défaut. Le PN cherche, par tous les moyens (l’argent, les enfants, etc.), à asseoir son pouvoir et ne manque aucune occasion pour détruire sa victime: «Il se voit comme supérieur aux autres mais a sans cesse besoin de le confirmer (en écrasant narcissiquement les autres)», décrit la spécialiste dans son livre.

La perversion narcissique: un mécanisme

La perversion narcissique est un mécanisme de défense mis en place pour se protéger de toute souffrance. En effet, parce que psychologiquement ces personnalités ne peuvent supporter la réalité, elles projettent tout ce qui les fait souffrir sur leur entourage, qui se voit ainsi acculé. Ce mécanisme de défense est si «efficace» qu’elles ne vont jamais consulter de psychothérapeute, à moins d’y être contraintes par la justice ou parce que leur couple part à la dérive et qu’elles ne veulent pas laisser leur partenaire s’échapper. Intrinsèquement néanmoins, elles ne ressentent pas le besoin de se faire soigner et se déchargent de toute culpabilité sur l’autre.

Sur le plan financier, ce sont eux qui tiennent les cordons de la bourse: ils font en sorte que leur conjointe perde le fil ou travaille moins. Au moindre sursaut de révolte chez leur partenaire, ils vont prendre soin de la décourager: «Tu ne t’en sortiras jamais toute seule». C’est à cause des dénigrements réguliers et plus ou moins subtils que les «épouses du Roi-Soleil», comme les appelle Valérie Le Goff-Cubilier, s’enfoncent peu à peu dans un vécu de nullité, d’incompétence et d’incapacité générale.

La double contrainte

Elles tenteront de prendre des initiatives, mais elles se heurteront à la banalisation ou au dénigrement. «Quoi qu’elles fassent, c’est toujours faux. C’est ce qu’on appelle la double-contrainte. Et c’est paralysant.» Ces femmes punching-ball perdent alors confiance en elles jusqu’à une lente prise de conscience, pouvant naître grâce à leur entourage, qui contredit la vision que le PN donne à voir. «Ça peut venir très tard, constate la spécialiste, et souvent au prix d’un état dépressif voire d’idées suicidaires, tant ces mécanismes relationnels sont destructeurs», déplore la spécialiste. Avant cela, elles auront besoin de décortiquer la relation, d’identifier leurs peurs, les dépasser et réaliser qu’elles peuvent avancer seules. «Beaucoup sont convaincues pendant longtemps que c’est une maladie, que leur partenaire va changer. Force est de constater que leurs multiples tentatives de sauver leur couple sont une perte de temps.»

C’est souvent lorsque ce fonctionnement se répercute sur leurs enfants (lire encadré) que les victimes se réveillent et rassemblent leur courage pour rompre. Car la fuite est la seule issue possible. «Une fois parties, mes patientes parlent d’une vraie renaissance», conclut la psychiatre.

Être parent avec un pervers narcissique

Les enfants aussi peuvent faire les frais d’un parent pervers narcissique. Et pour cause, «la perversion narcissique est une façon d’être au monde, quel que soit le contexte (famille, travail, etc.)», précise Valérie Le Goff-Cubilier, psychiatre responsable de l’Unité de consultation couple et famille du secteur psychiatrique Ouest au Département de psychiatrie du CHUV. Et c’est potentiellement destructeur pour ces enfants qui risquent de développer une faible estime de soi, un manque de confiance, des difficultés à s’affirmer, ou de reproduire ce fonctionnement malsain, selon la psychiatre.

Les mécanismes mis en œuvre dans l’exercice de la parentalité sont identiques que dans le couple et passent tantôt par une volonté de «séduction» des enfants, tantôt par des tentatives de dénigrement, plus ou moins sournoises, de culpabilisation et de chantage. Tout ceci devient particulièrement visible en cas de séparation. Se sentant humilié de l’attachement que l’enfant porte à l’autre parent, il usera de la victimisation: «Ainsi, il n’hésitera pas à raconter ses souffrances en détail à ses enfants, à se plaindre à eux de ce que leur mère demande pour leur entretien», écrit la spécialiste dans son ouvrage. Aussi, le risque que les enfants soient impliqués dans un conflit de loyauté est grand. Le parent sain n’est évidemment pas épargné et c’est sur lui qu’il déchargera toute la responsabilité des difficultés dans lesquelles la famille est plongée et qu’il a lui-même créées, selon le processus caractéristique d’inversion des rôles.

Comment dès lors protéger les enfants? Pour la spécialiste, le «contact avec le parent toxique doit préférablement être encadré par des thérapeutes formés». Il est important de leur montrer qu’il y a d’autres façons d’être, d’autres valeurs, l’essentiel étant qu’ils aient des points de comparaison. «Il faut également leur montrer qu’ils n’ont pas besoin de fournir quelque chose pour être aimés, mais qu’au contraire l’amour est gratuit», conclut-elle.

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* Pour en savoir plus: Comment survivre au mariage avec un pervers narcissique, Valérie Le Goff-Cubilier, Ed. Médecine & Hygiène, 2013.

Paru dans le Quotidien de La Côte le 03/07/2019.

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