Anorexie mentale: reprendre le contrôle

Dernière mise à jour 12/06/23 | Article
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L’anorexie touche 1 à 2% des femmes, généralement entre l’âge de 14 et 18 ans. Pour une raison encore mal comprise, les hommes sont huit fois moins touchés. Parcours et témoignage d’Émilie pour «DINGUE», un podcast de la RTS.

Le plus souvent, les jeunes filles touchées par l’anorexie excellent dans leur scolarité, font beaucoup de sport, contrôlent tout. C’est précisément le cas d’Émilie, qui se souvient ainsi du mois de décembre 2019: «Je me levais à 5h du matin, je descendais au sous-sol pour faire une heure de vélo. J’en étais arrivée à la conclusion que je n’avais besoin que de 1500 calories par jour pour vivre et une "petite voix" en moi avait décidé que je devais brûler 2500 calories par jour.» Un jour sa mère la surprend et s’inquiète. Elle l’emmène consulter à ESCAL, l’espace de soins pour les troubles du comportement alimentaire des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), un hôpital de jour dont Émilie va suivre le programme.

Un premier électrochoc

«Émilie, tu veux mourir!» Ces mots, c’est sa sœur jumelle qui les prononce au printemps 2020. Une jumelle monozygote qui ne ressemble plus vraiment à Émilie qui, alors, pèse 56 kg pour 1m78. Pour cette dernière, cette phrase est un électrochoc: le premier pas sur le chemin de la guérison.

À ESCAL, Émilie suit notamment des cours de psychoéducation. Elle y apprend, par exemple, que 5% des personnes touchées par l’anorexie en décèdent, le plus souvent d’un arrêt cardiaque. Dans son groupe de huit jeunes filles, c’est l’incrédulité qui domine: «On se dit qu’ils essaient juste de nous faire peur.» Cette réaction, et ce sentiment d’invincibilité, sont bien connus du psychiatre Marco Solca, chef de clinique scientifique à ESCAL: «Au début des symptômes, la patiente ou le patient est content de sa capacité à se restreindre au niveau alimentaire, il ou elle ne voit pas où est le problème. La première partie de la thérapie consiste donc à faire prendre conscience de la maladie.»

Malgré ces sombres statistiques, Émilie et ses parents font part à l’équipe soignante de leur souhait de partir en vacances en famille. Un voyage qui sonne comme une mise à l’épreuve. Lors d’une première escale à Istanbul, Émilie refuse de manger. Durant le vol suivant, la jeune fille fait un malaise: «Je commençais à voir flou, mes jambes étaient très faibles. J’ai regardé ma maman et je lui ai dit que j’allais m’évanouir.» Pour Émilie, c’est le deuxième électrochoc. Elle comprend enfin le lien entre la théorie de ses cours de psychoéducation et la réalité: tout organisme vivant a ses limites!

Explications et rétablissement

À l’automne 2020, et avec l’aide des thérapeutes d’ESCAL, Émilie comprend les causes de son comportement alimentaire: «À l’âge de 16 ans, ma sœur jumelle est partie en internat pour faire du ski. Avant on faisait tout ensemble, et là, du jour au lendemain, je me suis sentie abandonnée. Ce sentiment d’abandon s’est répété à l’occasion de deux autres événements. Le décès de mon grand-père, premier décès dans la famille, puis la période Covid. On était tous enfermés chez nous. Beaucoup d’amitiés ont lâché. Je me suis dit qu’il fallait que je contrôle quelque chose. Je ne peux pas contrôler le fait que les gens m’abandonnent, alors je vais le faire avec quelque chose que je sais contrôler: l’alimentation.»

Grâce à la prise en charge médicale, la jeune fille peut mettre du sens sur ce qu’elle vit. À partir de là, elle se rétablit rapidement. Pour elle, l’épisode aura duré une année. Émilie fait partie des 50% des patientes et patients qui, après cinq ans, sont en rémission totale. Elle a, selon les statistiques, de la chance.

Avec le recul, Émilie estime que cette épreuve l’a renforcée, surtout au niveau psychologique: «Grâce à cette expérience, j’ai réussi à aller de l’avant et à faire mon deuil. Maintenant, pour évacuer le stress et surmonter des événements douloureux, j’arrive à trouver une alternative à la restriction alimentaire», conclut-elle.

«DINGUE», le podcast raconté par son auteur

«Quand nous avons commencé à réfléchir à la création d’un podcast sur la santé mentale, Grégoire Molle (le producteur de «DINGUE») et moi-même (Adrien Zerbini, ndlr) avons vite eu une intuition qui peut se résumer très simplement: les troubles mentaux, ce sont ceux qui vivent avec qui en parlent le mieux. Les témoins, parlant librement de leur maladie, brisent, de facto, le tabou qui entoure encore trop souvent les troubles mentaux. Ils contribuent à l’objectif premier de ce podcast: les déstigmatiser. Nous avons par ailleurs décidé d’adopter une position qui est énoncée au début de chaque épisode: "Est-ce qu’on ne serait pas tous plus ou moins dingues?" Cette question permet – sans banaliser le trouble lui-même – de mesurer le fait que l’on a tous certaines tendances "dingues", même sans recevoir de diagnostic. Dans chaque épisode, une ou un expert (généralement une ou un psychiatre spécialisé) s’exprime. Jusqu’ici, plusieurs maladies psychiques ont été abordées: les troubles obsessionnels compulsifs (TOC), les troubles bipolaires, la schizophrénie, l’alcoolodépendance, le stress post-traumatique, etc. Une quinzaine d’épisodes sont déjà en ligne et peuvent être écoutés sur les plateformes de podcast.»

Pour en savoir plus: www.rts.ch/dingue

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Paru dans Planète Santé magazine N° 49 – Juin 2023

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