«Avorter» après la naissance?

Dernière mise à jour 11/04/12 | Article
Bébé qui pleure, sur une balance
Des partisans du droit à l’avortement argumentent en faveur de l’infanticide.

Alors même que la droite religieuse américaine semblait être allée au bout de sa folie (amendements sur le concept de «personne», attaque contre la contraception…), la gauche universitaire vient d’élaborer une idée plus délirante encore: l’avortement post-natal.   

Non, ce n’est pas une plaisanterie. L’ «avortement par naissance partielle» est une expression inventé par les opposants à l’avortement – mais le terme d’«avortement post-natal» a  bel et bien été inventé par deux philosophes, Alberto Giubilini et Francesca Minerva. Voici ce qu’ils ont proposé dans le Journal of Medical Ethics:

«[L]orsque des circonstances qui auraient justifié un avortement en cours de grossesse surviennent après l’accouchement, la pratique que nous appelons avortement post-natal devrait être admissible. […] [N]ous proposons d’appeler cette pratique “avortement post-natal” plutôt qu’“infanticide”; nous tenons ainsi à souligner que le statut moral de l’individu auquel on ôte la vie est comparable à celui d’un fœtus (…) plutôt qu’à celui d’un enfant. Nous estimons donc que le fait de tuer un nouveau-né devrait être admissible d’un point de vue éthique, et ce dans toutes les circonstances où l’est l’avortement. Ces circonstances comprennent les cas où le nouveau-né serait en mesure de mener une vie (à tout le moins) acceptable, mais représenterait un risque pour le bien-être de sa famille.»

Comme on pouvait s’y attendre, ce texte à provoqué un tollé. Il y a peu, les députés Joe Pitts (Républicain, Pennsylvanie) et Chris Smith (Républicain, New Jersey) l’ont dénoncé devant la Chambre des représentants. Mais ceux qui devraient s’inquiéter de la proposition de Giubilini et de Minerva ne sont pas les opposants au droit à l’avortement – mais bien ses partisans. La défense de l’«avortement post-natal» établit un lien logique entre, d’une part, plusieurs suppositions qui sont propres aux partisans du droit à l’avortement et, de l’autre, le concept d’infanticide. Elle nous pousse, implicitement et explicitement, à répondre à la question suivante: si l’avortement est autorisé, comment justifier l’interdiction de l’infanticide? Examinons certaines de ces suppositions.

L’importance morale du stade de développement fœtal est arbitraire

J’entends souvent cet argument invoqué par les partisans du droit à l’avortement (surnommés «pro-choix» en Amérique) lorsque qu’ils discutent des délais durant lesquels cette pratique est autorisée. Lors d’un débat organisé à l’automne dernier, j’ai présenté une frise chronologique du développement fœtal, semaine par semaine. Ann Furedi, la présidente du British Pregnancy Advisory Service, m’a répondu qu’il serait arbitraire de choisir un point précis de cette frise pour instaurer une date limite légale en matière d’avortement. Giubilini et Minerva semblent partager ce point de vue. «Mieux vaut réaliser l’avortement à un stade précoce, pour des raisons psychologiques et physiologiques», écrivent-ils, omettant clairement d’évoquer l’idée selon laquelle un avortement précoce est également préférable pour des raisons… morales. «Le fait d’être humain n’est pas intrinsèquement lié au droit à la vie, poursuivent-ils. En effet, nombre d’humains ne disposent pas d’un droit à la vie», comme les «embryons excédentaires lorsque la recherche sur les cellules souches embryonnaires est autorisée», ou «les fœtus lorsque l’avortement est autorisé».

Pour Furedi, la naissance est la première date limite logique – son raisonnement ne s’appuie toutefois pas sur le développement fœtal. (Elle évoque ce sujet à la 44e minute de cette vidéo). Mais Giubilini et Minerva dépassent cette frontière. Ils notent que le développement neuronal se poursuit après la naissance, et que le nouveau-né ne correspond pas à leur définition de la personne humaine: «un individu capable d’attribuer une valeur (basique, à tout le moins) à sa propre existence, et qui considérerait donc la fin de cette existence comme une perte». Ils estiment donc que «le statut moral du nourrisson équivaut celui du fœtus: l’un et l’autre ne peuvent être considérés comme une “personne” d’un point de vue moral».

Nous n’avons aucune obligation morale envers la vie humaine, seulement envers les personnes

J’ai souvent vu les défenseurs du droit à l’avortement avancer cet argument sur Internet. Giubilini et Minerva se contentent d’y ajouter ce postulat : on ne devient une personne qu’après la naissance. Une fois ce postulat formulé, le nouveau-né devient, comme le fœtus, une entité manipulable à souhait. Voici ce qu’ils écrivent:

Pour causer un préjudice, il faut que la cible dudit préjudice soit en mesure d’en ressentir les effets. Si une personne potentielle, comme un fœtus ou un nouveau-né, ne se transforme pas en personne réelle, comme vous et moi, alors aucune personne réelle ou future ne peut être la victime d’un préjudice. […] Dans les cas susmentionnés, puisque aucune non-personne ne peut être victime d’un préjudice, nous n’avons aucune raison d’interdire les avortements post-natals. […] En effet, aussi minimes soient les intérêts des personnes réelles, ils surpasseront toujours les prétendus intérêts des personnes potentielles à devenir des personnes réelles – et ce parce que cet intérêt est inexistant.

Le propos manque peut-être de chaleur, mais l’argument présente-t-il une faille? Si le fœtus n’est pas encore formé d’un point de vue neuronal, et s’il ne dispose d’aucun droit moral, pourquoi en serait-il autrement pour le nouveau-né, qui partage cette caractéristique physiologique?

Le fardeau de la mère l’emporte sur la valeur de l’enfant

Giubilini et Minerva notent que certains philosophes (comme Peter Singer) avancent des arguments en faveur du néonaticide depuis de nombreuses années. Jusqu’à maintenant, ces arguments s’intéressaient avant tout au bien de l’enfant – pour citer les directives récemment adoptées par les Pays-Bas, «les nourrissons ayant fait l’objet d’un pronostic sans appel, et dont la souffrance est jugée insupportable par les experts médicaux et les parents». Giubilini et Minerva se contentent de reprendre cette idée et de la développer – ainsi, leur proposition « est appelée ‘avortement post-natal’ et non ‘euthanasie’ car l’intérêt de l’être qui perd la vie n’est pas nécessairement le critère premier de ce choix. »

«Le bien-être des personnes réelles pourrait être menacé par le nouvel enfant (même si ce dernier est en bonne santé), qui nécessite de l’énergie, de l’argent et de l’attention; éléments qui peuvent faire défaut à la famille en question», remarquent-ils. Ainsi, «si les circonstances économiques, sociales ou psychologiques changent, et que la prise en charge de l’enfant se mue en fardeau insupportable, l’individu devrait avoir accès à une solution lui permettant d’échapper à cette situation insurmontable.» «Les intérêts des personnes réelles (parents, famille, société) et la poursuite de leur propre bien-être» pourraient justifier un avortement post-natal; y compris «les intérêts de la mère, qui pourrait éprouver une grande détresse psychologique en confiant son enfant aux services d’adoption».

La valeur de la vie dépend du choix

Les «pro-choix» n’acceptent pas l’idée selon laquelle le chemin qui lie la grossesse à la maternité mérite d’être suivi parce qu’il est naturel. Ils estiment que le choix appartient à la mère. Certains affirment que la vie qu’elle porte ne jouit d’aucun statut moral jusqu’à ce qu’elle décide de la mettre au monde.   

Là encore, Giubilini et Minerva se contentent d’étendre cette logique au-delà de la naissance. Le nouveau-né ne pouvant être considéré comme une personne, son importance dépend encore des décisions de sa mère. «En fonction de notre choix, [les nouveau-nés] peuvent devenir, ou non, des personnes à part entière», argumentent-ils. A ce stade, nous n’avons aucune obligation envers l’enfant, «car rien ne nous oblige à le considérer comme une personne en devenir. Son existence future est très précisément l’objet de notre choix.»

La découverte d’un grave problème de santé justifie l’avortement

Le développement fœtal peut virer au tragique à tout moment. La plupart des gens estiment qu’un grave problème de santé découvert lors de l’amniocentèse peut justifier un avortement. Dans le débat sur l’avortement «par naissance partielle», les «pro-choix» ont étendu ce raisonnement en affirmant qu’une horrible malformation découverte au troisième trimestre pourrait justifier cette même pratique. Giubilini et Minerva poussent cette logique au niveau supérieur, en soulignant que les problèmes de santé  sont souvent découverts après la naissance:

«La consultation de dix-huit registres européens révèle qu’entre 2005 et 2009, seuls les 64% des cas de trisomie 21 ont été diagnostiqués lors d’examens prénataux. Ce pourcentage indique – en prenant uniquement en compte  les régions européennes concernées – qu’environ 1700 enfants sont nés trisomiques 21 à la surprise de leurs parents. Une fois ces enfants mis au monde, leurs parents n’ont d’autre choix que de les élever – ce qui est parfois l’inverse de ce qu’ils auraient fait si l’anomalie avait été diagnostiquée avant la naissance.»

Pour les auteurs, «si une anomalie n’a pas été détectée pendant la grossesse, si un problème est survenu pendant la naissance, ou si les circonstances économiques, sociales ou psychologiques ont changé et que la prise en charge de l’enfant  se mue en fardeau insupportable, alors l’individu devrait avoir accès à une solution lui permettant d’échapper à cette situation insurmontable». Reste à savoir à quel stade l’infanticide devient inexcusable – question à laquelle les auteurs n’offrent aucune réponse catégorique. «Nous n’avançons aucune affirmation quant au moment précis où l’avortement post-natal ne serait plus justifiable», écrivent-ils. Ils doutent que «la détection d’anomalie chez l’enfant par les médecins prennent plus de quelques jours», mais certains de leurs détracteurs font déjà remarquer que la détection de nombreuses anomalies demande plus de temps.

Les auteurs concluent:

«Si des critères tels que le coût (social, psychologique, économique) que l’enfant représente pour les parents potentiels justifient un avortement (et ce même lorsque le fœtus est en bonne santé), si le statut moral du nouveau-né est le même que celui de l’enfant et s’ils n’ont pas de valeur morale en leur qualité de personne potentielle, alors  les raisons qui justifient l’avortement peuvent également justifier la mise à mort d’une personne potentielle au stade post-natal.»

Je n’accepte pas cet argument; j’estime, avec Furedi, que la naissance constitue un profond changement. L’autonomie corporelle de la mère n’entre plus alors en ligne de compte. Mais je pense également que la valeur de l’embryon augmente au fur et à mesure de son développement. Furedi rejette ce point de vue, et son rejet ne s’arrête pas au stade de la naissance. Comme elle l’expliquait lors de notre débat, à l’automne dernier, «le passage de l’enfant par la filière génitale n’a rien d’un processus magique, qui transformerait d’un coup un fœtus en personne.»

L’avortement post-natal est une pierre dans le jardin de Furedi et du reste des partisans absolutistes du droit à l’avortement. Comment répondre à l’argument avancé par Giubilini et Minerva, selon lequel tous les intérêts de la mère (le fardeau que représente un nouveau-né anormal, par exemple) l’emportent sur la valeur de cette non-personne fraîchement mise au monde? Quelle est la valeur d’un nouveau-né? A quel stade acquiert-il cette valeur? Et pourquoi la loi devrait-elle protéger cette valeur contre les décisions d’une mère et de son médecin?

http://www.slate.com/articles/health_and_science/human_nature/2012/03/after_birth_abortion_the_pro_choice_case_for_infanticide_.html

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