Il faut plus qu’un clic pour faire un don d’organe

Dernière mise à jour 05/12/12 | Article
Du donneur au receveur
Sur Facebook, il est désormais possible de se déclarer donneur d’organes. Précisions.

De quoi on parle?

Les faits
Depuis le 1er novembre, il est possible de se déclarer donneur d’organes sur Facebook. Si ce geste ne remplace pas une carte de donneur, il permet de sensibiliser le public à une question cruciale.

Le bilan

En Suisse, quatorze mille cartes de donneurs ont été commandées ou téléchargées en deux semaines, soit sept fois plus qu’habituellement, et le site Web de Swisstransplant, l’organisation qui coordonne le don d’organes, reçoit maintenant trois fois plus de visites qu’auparavant.

«En 2012, Mireille Reymond a décidé d’être donneuse d’organe.» Voici la mention qui pourra s’afficher sur votre profil Facebook si vous utilisez la nouvelle fonctionnalité du géant bleu disponible en Suisse depuis le début du mois de novembre. Le don d’organes sauve des vies, c’est évident (222 transplantations en 2011). Mais que vaut une telle annonce sur un réseau social et, surtout, à quoi vous engage-t-elle?

Premier point: cette mention n’a pas de valeur légale, au contraire d’une carte de donneur d’organes. Cela, Facebook l’a bien compris puisqu’il vous propose de gagner en un clic le site de Swisstransplant, la fondation nationale pour le don et la transplantation d’organes. Une fois sur ce site, vous pouvez commander une carte de donneur. «Ce document n’est pas un blanc seing, souligne Corinne Delalay, coordinatrice du don d’organes pour le Valais, il permet aussi d’indiquer que l’on refuse d’être donneur ou de choisir les organes que l’on souhaiterait donner.»

Cent morts par an

Les besoins sont en tout cas criants. Swisstransplant estime que, chaque année, une centaine de malades décèdent faute d’organes disponibles. Plus de mille personnes attendent actuellement une transplantation. La grande majorité (près de huit sur dix) a besoin d’un rein, puis (en ordre décroissant) d’un foie, d’un poumon, d’un pancréas ou d’un cœur. Les maladies les plus fréquentes nécessitant une transplantation sont, respectivement: «Pour le rein, une insuffisance fonctionnelle avancée; pour le foie, le cancer ou la cirrhose; pour le poumon, la mucoviscidose; pour les cellules de pancréas, un diabète devenu très instable; et pour le cœur, des insuffisances cardiaques très sévères», résume Eric Masson, coordinateur de transplantation à Genève.

L’avis de la famille prime

Du côté des donneurs, «c’est le plus souvent un accident important du cerveau (hémorragie cérébrale ou traumatisme cranio-cérébral) qui permet qu’un don d’organes soit envisagé», explique Raymond Friolet, médecin-chef des soins intensifs à l’Hôpital du Valais romand. L’âge est d’ailleurs loin d’être un obstacle: en 2011, près de six donneurs sur dix avaient plus de 51 ans.

Avant de penser à un éventuel don d’organe, «la priorité de l’équipe soignante est évidemment de sauver la vie du patient», insiste encore le spécialiste. Pour qu’un don d’organes soit envisagé, il faut que la personne se trouve en état de mort cérébrale: c’est-à-dire que, victime de lésions irréversibles, son cerveau ne montre plus aucun signe d’activité. «La mort cérébrale est définitive, précise Corinne Delalay. On n’en revient pas, ce n’est pas un coma.» A la suite d’un protocole médical strict, la personne est alors déclarée décédée. Ce qui n’empêche pas que les organes, eux, fonctionnent encore et peuvent être prélevés.

Ce n’est qu’à ce moment que le don d’organes est évoqué. Dans tous les cas, que le défunt ait une carte ou pas, une discussion a lieu avec ses proches pour savoir s’ils l’acceptent. «La carte de donneur étant un document légal, elle permettrait de passer outre l’accord de la famille. Mais, dans les faits, les médecins respectent systématiquement sa volonté», insiste Franz Immer, directeur de Swisstransplant.

En Suisse, lorsque toutes les conditions sont remplies, un don sur deux est refusé par les proches, une proportion «nettement supérieure à la moyenne européenne», précise Swisstransplant. Un quart de ces refus est motivé par des convictions religieuses.

Un pic Facebook

Si le don est accepté, il faut prélever les organes (en moyenne quatre par donneur) avant de les faire parvenir aux transplanteurs (voir infographie). «C’est une opération chirurgicale pratiquée selon les règles usuelles, détaille le docteur Friolet. Il y aura une cicatrice mais le corps ne différera pas de celui d’un défunt qui n’aurait pas donné ses organes.» Les familles sont averties que cela peut retarder les funérailles, généralement de vingt-quatre heures. Un don d’organe est toujours anonyme. La famille du donneur ne connaît pas la ou les destinataires. Si les uns et les autres le souhaitent, ils peuvent toutefois échanger des courriers par l’intermédiaire de l’hôpital.

Derrière un don, il y a donc des vies sauvées. C’est dire à quel point l’initiative de Facebook doit être saluée. Swisstransplant a reçu sept fois plus de demandes de cartes de donneur les deux premières semaines de novembre (à noter que l’on trouve ces cartes dans les pharmacies et les hôpitaux). Aux Etats-Unis, où la fonction Facebook a été introduite début mai, un accroissement similaire a été observé. Seul bémol à l’ensemble de la démarche: le nombre d’inscriptions est rapidement revenu à la normale.

Quoi qu’il en soit, le grand intérêt de cette initiative est qu’elle pousse de nombreuses personnes à se positionner sur la question du don. Sur la base de sondages, Swisstransplant estime que quatre Suisses sur dix ne se sont jamais interrogés à ce sujet. Or, lorsque des proches doivent accepter ou refuser un don, leur choix est beaucoup plus facile si le défunt a fait savoir son avis, mais aussi si eux-mêmes ont déjà réfléchi à la question.

Du donneur au receveur

 

L'accord doit avoir été clairement exprimé

Législation

En Suisse, le don d’organes fonctionne selon le principe du «consentement explicite». Si l’on veut donner, il faut exprimer ce souhait. Dans d’autres pays, c’est le contraire: en l’absence de documents attestant un refus, tout le monde est supposé être donneur d’organes. C’est alors le refus qui doit être manifesté. Passer de l’un à l’autre système augmente-t-il les dons? La question reste très discutée. Fin octobre, la Commission nationale d’éthique recommandait le statu quo en la matière. Pour pallier la pénurie, le Dr Philippe Eckert, président du Programme latin de don d’organes (cantons romands et Tessin), cible trois chantiers essentiels: renforcer l’information auprès de la population, améliorer la manière de communiquer avec les proches quand le don est proposé et organiser les hôpitaux en réseau pour coordonner les pratiques de dons et les faire financer par les pouvoirs publics.

«C'est un indice de la volonté de la personne»

Ethique

L’initiative de Facebook es telle une bonne chose? Samia Hurst, professeure d’éthique biomédicale, nous donne son avis.

«Une mention sur Facebook n’est pas une carte de donneur, mais c’est un indice de la volonté de la personne: elle aura signalé d’elle-même son intention. Le moment venu, cela peut faire une différence par rapport à quelqu’un qui n’aurait rien annoncé.

Certains pourraient craindre que les personnes n’affichant pas une volonté de donner soient mal vues. Mais pour notre société, le choix de donner doit se faire sans pression. De plus, l’absence de mention sur Facebook ne signifie même pas que le détenteur du profil n’a pas de carte de donneur. Ce risque pourrait exister si Facebook devenait le seul lieu où une personne pourrait s’annoncer comme donneur. Mais ce n’est pas le cas. Que Facebook soit en dehors du système de santé peut être un avantage. Quand je vivais aux Etats-Unis, il fallait inscrire sur son permis de conduire si l’on était donneur d’organes ou non. Le problème passait du domaine médical à la sécurité routière et cela changeait beaucoup la réflexion.»

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