Ces personnes au potentiel hors norme

Dernière mise à jour 12/11/15 | Article
Ces personnes au potentiel hors norme
Plus qu’un phénomène de librairie, l’intelligence à haut potentiel est une réalité pour environ 2 à 5 % de la population adulte. Une particularité que certains découvrent tard et qui n’est pas toujours bien vécue.

Leur cerveau est en ébullition perpétuelle. Les pensées fusent et défilent sans relâche dans leur tête. Les adultes qui découvrent leur surdouance sur le tard ont passé une partie de leur vie à se demander s’ils n’étaient pas fous, à douter en permanence de leurs capacités, à se sentir en décalage avec le monde. Ces victimes du «syndrome de l’imposteur» se remettent excessivement en question. Ils perçoivent qu’ils sont différents, sans en comprendre les raisons.

Des sentiments qui contrastent fortement avec l’idée qu’on se fait généralement de la surdouance –que certains appellent la surefficience–, un potentiel d’intelligence hors norme qu’on imagine forcément synonyme de réussite et de bonheur. Tout n’est pas si simple. D’abord, «la surdouance est une différence, et non une supériorité», précise d’entrée de jeu Nicolas Guberan, psychiatre et psychothérapeute au Mont-sur-Lausanne et spécialiste du sujet. «Pas forcément premiers de classe, un tiers d’entre eux se situe dans la moyenne. Un tiers suit un parcours chaotique, fait d’incompréhension, de rejet et d’échecs ou simplement d’un sentiment de mal-être diffus. Et un tiers réussit à exploiter son potentiel et consulte plus rarement, déclare Marie Pretti, neuropsychologue à Lausanne. Ces derniers, souvent universitaires, mènent généralement une carrière brillante». Ils n’échappent cependant pas aux remises en question excessives liées à leur tourbillonnante pensée et à leur hypersensibilité, malgré la reconnaissance sociale dont ils jouissent.

Un QI de 130

Non, la surdouance n’est pas un trouble psychiatrique, mais une façon différente de réfléchir et de percevoir le monde. Les personnes dites à haut potentiel se distinguent d’abord par un quotient intellectuel au-dessus de la moyenne, soit de 130 au moins (125 pour certains experts). «Mais cette intelligence hors norme ne se résume pas à cette seule mesure objective. D’autres indices, que le spécialiste recueille en marge du test, sont nécessaires pour poser le diagnostic», insiste Laurence Chappuis, psychologue et psychothérapeute à Lausanne.

En effet, alors que le mode de pensée est plutôt linéaire ou « séquentiel » chez la plupart des gens, il se fait en arborescence ou sur un mode dit «global» chez les haut potentiel (HP). «Une idée engendre chez eux une multitude d’autres idées, poursuit Laurence Chappuis, ce qui les rend très créatifs mais aussi parfois difficiles à suivre dans leur discours lorsqu'on ne connaît pas leur fonctionnement». Très curieux, ils ont besoin d’être davantage stimulés que la moyenne, se posent beaucoup de questions, recherchent la complexité, peuvent suivre plusieurs discussions à la fois et faire plusieurs choses en même temps. Ils décrochent rapidement des conversations des autres, bien souvent par ennui.

Prédominance du cerveau droit

Pour Christel Petitcollin, auteur de Je pense trop, comment canaliser ce mental envahissant, ce traitement particulier de l’information s’explique par un «câblage neurologique différent». Alors que la majorité des gens traite l’information avec son cerveau gauche, soit en abordant les choses de manière méthodique, logique et analytique, on observe une prédominance du cerveau droit chez les hauts potentiels: «L’hémisphère droit privilégie l’information sensorielle, l’intuition et même l’instinct. Il perçoit les choses de façon globale et peut restituer un ensemble à partir d’un seul élément, même mineur», écrit l’auteur.

Les personnes à haut potentiel sont en plus dotées d’une hypersensibilité émotionnelle et d’une empathie hors norme. Ils ont une grande tendance à prendre en charge les autres. Ce sont de vraies éponges, qui risquent dès lors des surcharges émotionnelles.

Sur le plan sensoriel encore, une autre caractéristique importante est une hyperesthésie, entendez par là une acuité de l’un ou de plusieurs des cinq sens. Les hauts potentiels détectent les odeurs et les goûts les plus fins, ils sont très sensibles aux sons, à la lumière, au toucher et de manière générale à toutes sortes de stimulations. Une hypersensibilité couplée à une hyperlucidité, à un grand sens du détail et à un perfectionnisme forcené. Dans le contexte professionnel, ils sont peu à l’aise lorsqu’on leur impose un cadre trop normatif ou restrictif. Aussi, ils supportent mal une autorité qui refuse de se remettre en question. Ce sont moins les enjeux de pouvoir qui les gênent que leur sens aigu de la justice, de la précision, de la logique et de la cohérence.

La découverte

Toutes ces caractéristiques peuvent conduire les HP à vivre des situations difficiles (mobbing, burn out) sur leur lieu de travail. Dans les relations personnelles, ils peuvent également aller jusqu’à un point de rupture. C’est dans ce cadre qu’une démarche psychothérapeutique est parfois entamée et que le «diagnostic» de surdouance tombe. Dans d’autres cas, la découverte du haut potentiel est plus progressive. Les premiers questionnements peuvent survenir à la suite d’une émission, à la lecture d’un article ou d’un livre sur le sujet. «Parfois, c’est par l’intermédiaire de leur propre enfant, suspecté d’être haut potentiel, que ces personnes sont confrontées à cette éventualité», déclare Patricia Luthy, spécialiste en coaching et accompagnement des parents d’enfants HP.

«La révélation peut être un moment très fort. Un véritable choc émotionnel qui les fait fondre en larmes», raconte le Dr Guberan. Le fait d’être enfin entendu et reconnu est important au vu de l’intensité de ce qu’ils vivent. Pouvoir donner du sens entraîne un profond soulagement. Mais très vite, le déni –propre au doute perpétuel qui les habite– peut reprendre le dessus, comme si l’idée d’avoir une intelligence hors norme n’était pas concevable en regard de la faible estime de soi qu’ils ont d’eux-mêmes. Parfois, c’est la colère qui se déclenche, celle d’être resté si longtemps incompris, d’avoir essuyé des échecs scolaires puis professionnels, subi le rejet des pairs jusqu’au harcèlement, ou simplement le fait que personne ne leur ait permis d’exploiter leur fort potentiel.

Faire un test de QI auprès d’un spécialiste de cette problématique –ils sont encore peu nombreux en Suisse romande– est une étape importante, pour évacuer le doute et retrouver un apaisement. «C’est un pas vers l’acceptation de sa différence. Certes, les personnes à haut potentiel peuvent être vues comme torturées, compliquées, trop sensibles, par les autres comme par elles-mêmes. Elles peuvent avoir des perceptions différentes et des comportements étonnants ou difficiles à comprendre pour leur entourage. Mais elles n’en restent pas moins des personnes comme les autres, avec leur histoire de vie, leurs épreuves et leurs blessures bien humaines», conclut le Dr Guberan.

Tester son QI

Il existe plusieurs tests permettant d’évaluer le quotient intellectuel. En Europe, on utilise l’échelle de Wechsler. Plusieurs paramètres sont investigués: la vitesse de traitement de l’information, la compréhension verbale, le raisonnement visuospatial, et la mémoire de travail (l’attention, la concentration). On estime qu’un QI de 125 à 130 ou supérieur est un critère pour le haut potentiel (la moyenne étant de 100). Des troubles divers (déficit d’attention avec ou sans hyperactivité, dyslexie, etc.) peuvent fausser les résultats, raison pour laquelle ils doivent être interprétés par une personne spécialisée. A savoir que la plupart des adultes testés se révèlent effectivement être à haut potentiel. Un accompagnement psychothérapeutique ou des séances de coaching sont des options possibles, selon les besoins de chacun.

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Paru dans Planète Santé magazine N° 21 – Mars 2020