Quand la violence s’infiltre dans le quotidien

Dernière mise à jour 09/11/16 | Article
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Jeux de pouvoir ou petites manipulations, la violence est parfois subtile. Olivier Spinnler, psychiatre et psychothérapeute à Lausanne et auteur de «Vivre heureux avec les autres»*, nous en explique les mécanismes et donne des pistes pour la contrer.

         

Planète santé: Les coups sont l’expression la plus évidente de la violence, mais peut-elle prendre d’autres formes?

Dr Olivier Spinnler: Oui. Les gens voient souvent des choses énormes dans la violence, mais celle-ci peut aussi s’infiltrer dans le quotidien de manière subtile par des petites manipulations ou des petites phrases assassines. Elle peut toucher aussi bien le couple, la famille, le monde professionnel ou encore les groupes associatifs.

Pouvez-vous nous donner des exemples?

Il y a toutes sortes de comportements et de paroles nuisibles. On peut les appeler des toxiques relationnels. Cela peut prendre la forme de cris, d’insultes, de moqueries, mais aussi de reproches déguisés, de sous-entendus, de silences… Être autoritaire, faire du favoritisme, essayer d’avoir un ascendant physique ou psychologique sur l’autre sont des attitudes violentes. De même, le dénigrement, avec des phrases du type «Tu n’y arriveras pas», constitue une atteinte à l’intégrité psychique. Appréhender de rentrer chez soi, s’inquiéter de ce que l’on va entendre, la peur de se faire disputer sont des signes d’un contexte de violence. Un enfant qui n’ose pas dire qu’il a eu une mauvaise note à son père ou à sa mère montre qu’on n’a pas à son égard une attitude de soutien et de bienveillance.

Quelles sont les conséquences de cette violence au quotidien ?

La violence provoque un effet de boule de neige. La répétition de telles situations peut empoisonner l’atmosphère et faire des ravages, en particulier chez l’enfant. Subir de la violence abaisse l’estime de soi, mais peut aussi causer des troubles du sommeil, de l’anxiété, une dépression ou un burn-out.

La propension à être violent se transmet-elle?

Je ne dirais pas que la violence se transmet par l’éducation. Ce n’est pas parce qu’on a subi de la violence en tant qu’enfant qu’on va forcément reproduire ces mêmes schémas relationnels. C’est plutôt le résultat d’un manque d’apprentissage. Si, dans sa famille, on règle les conflits par la violence, on aura tendance à trouver cela normal, simplement parce que c’est ce que l’on connaît. Et tant que l’on n’aura pas appris d’autres modes de faire, on aura tendance à se faire entendre ou respecter par la violence. Mais on peut très bien apprendre à gérer les conflits autrement.

Comment s’en sortir?

Pour commencer, il est très important d’identifier la violence comme telle. Plus on prend les problèmes tôt, mieux c’est. Une fois qu’on l’a repérée, il faut arrêter de la tolérer. Comme je viens de le dire, il y a souvent de la violence parce que les gens ne savent pas se faire entendre autrement. Mais à tout âge, on peut apprendre à exprimer ses envies et ses besoins de manière non violente. Dire les choses franchement, éviter les sous-entendus, demander l’avis de l’autre, chercher des consensus, négocier plutôt qu’imposer ses choix ou mettre l’autre devant le fait accompli sont des pistes à suivre. La bienveillance passe aussi par la tolérance, c’est-à-dire accepter que l’autre ne pense pas de la même façon ou qu’il n’a pas les mêmes méthodes pour faire les choses. Il est également très important d’apprendre à écouter l’autre et s’exprimer gentiment.

Où peut-on apprendre ce savoir-faire relationnel?

On peut acquérir ce savoir-faire en regardant faire les autres, en consultant des ouvrages sur le sujet, en participant à des groupes de parole, à des ateliers de communication non-violente par exemple ou en entamant une thérapie —individuelle ou familiale selon les cas.

La violence, c'est quoi?

  • Frapper quelqu’un, lancer des objets, claquer les portes, avoir des gestes menaçants
  • Les cris et hurlements
  • Les insultes
  • La moquerie
  • Les reproches gratuits
  • Les critiques non constructives
  • Rabaisser une personne, la dénigrer
  • Les menaces, le chantage
  • Les accusations sans fondement
  • Etc.

On dit souvent que les enfants sont cruels entre eux. Comment les aider dans le chemin de la non-violence?

Dès le plus jeune âge, on peut éduquer les enfants à gérer leurs émotions et leurs frustrations, pour éviter qu’ils ne les reportent sur les autres. Cela passe aussi par le rappel des interdits, tels que «ne pas se moquer» ou «ne pas taper» autrui. En tant qu’adulte, il faut éviter de banaliser la violence à l’école et de considérer que ce ne sont que des enfantillages, mais au contraire prendre de tels actes au sérieux. L’immaturité propre aux enfants peut les conduire à appliquer la loi du plus fort, à considérer l’autre comme un ennemi, à faire preuve d’intolérance, à imposer leur position par la violence. On doit les aider à dépasser cela et leur enseigner qu’il y a de la place pour chacun. C’est un long processus.

La colère d'un parent face à son enfant paraît moins légitime aujourd'hui selon certains discours. Qu'en pensez-vous?

Le ressenti d’une émotion, comme la colère, est toujours légitime. La non-violence n’est pas une injonction à être zen en toutes circonstances. Il faut simplement faire attention à la façon dont on exprime son mécontentement. Il y a une grande différence entre «Ta gueule, espèce de morveux!» —qui est une attaque contre la personne— et «Ça suffit, j’en ai marre, je n’en peux plus» —qui exprime un ressenti. Il faut veiller à ne pas porter atteinte à l’intégrité physique et psychique de son enfant. Ce principe reste le même en toutes circonstances.

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* Vivre heureux avec les autres, une nouvelle approche des relations humaines, Olivier Spinnler, Ed. Odile Jacob, 2012.