Dormir tout en faisant travailler sa mémoire

Dernière mise à jour 29/04/13 | Article
Dormir tout en faisant travailler sa mémoire
Nous passons un tiers de notre vie dans l’inconscience du sommeil. Mais est-ce bien de l’inconscience? Pouvons-nous, directement ou pas, commander à nos songes, les utiliser? Le cerveau peut-il apprendre en dormant? Ce sont là de vieilles questions. Des chercheurs américains et allemands apportent de nouvelles réponses. Et l’un des plus grands spécialistes mondiaux du sommeil révèle le contenu de ses rêves.

Les mystères du sommeil sont-ils insondables? Pourquoi certains souvenirs peuvent durer toute la vie? Pourquoi d’autres disparaissent-ils rapidement? Et pourquoi d’autres encore demeurent mais en se transformant? Ce sont quelques-unes des questions que se sont posées des chercheurs de la Northwestern University, qui publient les résultats de leur étude dans le Journal of Neuroscience (on trouvera ici un résumé, en anglais, de ce travail). Et ils suggèrent à cette occasion que le fait de réactiver certains souvenirs pendant son sommeil ou à son réveil peut avoir un impact sur la consolidation de la mémoire.

Leur étude se fonde sur l’idée que lorsqu’une information nous concernant a une grande valeur (par exemple lorsqu’elle est liée à un être cher ou à de l’argent), elle est plus susceptible que les autres d'être à la fois répétée et renforcée durant nos phases de sommeil. Elle serait ainsi en quelque sorte «consolidée» grâce à des mécanismes biologiques qui restent à découvrir. Serait-il dès lors possible de stimuler cette réactivation de certains souvenirs durant le sommeil afin de mieux les mémoriser pour plus tard? C’est sur la réponse à cette question sur la «consolidation des souvenirs» qu’a travaillé ce groupe de chercheurs, dirigé par Delphine Oudiette (département de psychologie de l'Université Northwestern).

Manipuler le cerveau qui dort

Ces chercheurs expliquent comment ils ont «systématiquement manipulé» la valeur de certaines informations apprises par soixante jeunes personnes qui ont mémorisé soixante-douze associations «objet-localisation» tout en écoutant les sons d'objets caractéristiques. A chaque objet était associé un numéro indiquant la valeur de la récompense qui pourrait être obtenue lors d'un test de mémoire à venir. Ils expliquent comment ils sont de la sorte parvenus à «sauver certains souvenirs de l’oubli» en agissant soit durant les phases d’éveil, soit (grâce aux sons) durant les périodes de sommeil des participants de cette expérience.

Par extension ils estiment que certaines «réactivations secrètes» peuvent déterminer le sort ultime de nos souvenirs. «Nous pensons que pendant le sommeil se produit une réactivation de l’information, expliquent-ils. Nous montrons en effet que nous pouvons dynamiser les souvenirs de faible valeur afin qu'ils soient mieux mémorisés». Pour le dire autrement, tout ce qui sera «répété» pendant notre sommeil va déterminer ce dont nous nous souviendrons plus tard, et inversement, ce que nous aurons tendance à oublier.

Une nouvelle question est ainsi posée: celle de la sélectivité de la consolidation de la mémoire. La plupart des efforts de recherche sur la mémoire ont en effet porté sur ce qui se passe lorsque l’on enregistre et sur ce dont, au final, on se souvient. On a peu étudié à l’inverse ce que l’on oublie. L’«entre-deux» reste donc un terrain de recherche fascinant, ne serait-ce que parce que le stockage intermédiaire des souvenirs n'est pas statique, les souvenirs qui demeurent changent. Pourquoi en améliore-t-on certains en répétant sans cesse tous les détails? Pourquoi en déforme-t-on d’autres en les embellissant ou en les noircissant?

Pourquoi réfléchissons-nous pendant notre sommeil?

Et d’ailleurs, réfléchissons-nous véritablement en dormant? Si oui, pourquoi? C’est la question posée par une équipe de chercheurs américains (Université de Californie – Los Angeles) et allemands (département de neurobiologie, Max Planck Institute, Munich). Ils expliquent de quelle manière un cerveau endormi se comporte comme s’il devait se souvenir de certaines informations. Le résultat de leurs recherches a fait l’objet d’une publication récente dans la revue Nature Neuroscience (un résumé en anglais de leur travail est disponible ici). C’est en mesurant, durant le sommeil, l'activité d'une région du cerveau connue pour être impliquée dans l'apprentissage, la mémoire et la maladie d'Alzheimer, que ces scientifiques ont découvert de quelle manière se comporte cette région cérébrale, et ce même sous anesthésie.

Les auteurs de ce travail se sont penchés sur le cas de la souris, et se sont concentrés sur trois régions du cerveau: le néocortex, l'hippocampe et le cortex entorhinal, une région reliant les deux précédentes. Au moyen de nouvelles techniques sophistiquées l'équipe a pu simultanément mesurer l'activité individuelle des neurones impliqués dans la formation de la mémoire. Ils ont ainsi pu déterminer précisément quelles régions s’activaient et comment se propageait cette activation.

Neurones actifs même sous anesthésie générale

Des études précédentes ont déjà suggéré que ce dialogue entre l'«ancien cerveau» (hippocampe) et le «nouveau cerveau» (néocortex) pendant le sommeil était un élément essentiel pour la formation de la mémoire. Toutefois le rôle précis du cortex entorhinal dans ce dialogue restait mal connu. L’équipe a découvert que ce cortex entorhinal présente une activité persistante, et c’est cette activité qui sert de médiateur pour la mémoire de travail utilisée au cours de la vie éveillée. Ce qui est véritablement nouveau, selon ces chercheurs, c’est que cette activité persistante se poursuit pendant le sommeil, quasiment en permanence, et ce même quand l’organisme est placé sous anesthésie générale. Cette découverte pourrait notamment expliquerpourquoi le manque de sommeil entraîne des effets néfastes sur la santé en touchant notamment les fonctions d'apprentissage et de mémoire.

«Il s'agit là d'une toute nouvelle théorie de la consolidation de la mémoire. Il y a un nouveau "joueur" impliqué dans ce processus et il pourrait avoir un impact énorme», explique Mayank R. Mehta qui travaille au centre pour l’apprentissage et la mémoire de l’université californienne. Ce «troisième joueur» est entraîné par le néocortex, et non par l'hippocampe. Les chercheurs émettent l'hypothèse que les processus en action durant le sommeil sont aussi une méthode permettant de «faire le ménage» dans nos souvenirs et de supprimer un certain nombre d’informations déjà traitées au cours de la journée. Les souvenirs importants seraient de la sorte si non de plus en plus «visibles», du moins plus facilement accessibles à la conscience.

Les rêves érotiques de l’inventeur du sommeil paradoxal

C’est aux mêmes questions qu’a cherché à répondre au cours de ses travaux le Pr Michel Jouvet, 87 ans, l’un des plus grands spécialistes mondiaux de la recherche sur le sommeil et inventeur du concept de «sommeil paradoxal». Sous le titre De la science et des rêves, mémoires d’un onirologue il vient de publier ses mémoires aux Editions Odile Jacob. Un ouvrage passionnant. Dans le chapitre intitulé «Mon inconscient érotique (1970-2009)» le Pr Jouvet nous révèle les statistiques élaborées à partir du contenu de ses 270 rêves érotiques (soit entre le 14 novembre 1970 et le 9 mars 2009). Des «commerces érotiques» avec «cent femmes et une crevette».

Plus généralement, le Pr Jouvet a rempli vingt-deux gros cahiers de ses souvenirs de rêves de 1970 à 2009. Soit 7155 auto-expériences recueilliespendant 13 454 jours. Puis, il les a résumées ou dessinées et classées par thème: l’eau, l’agressivité, l’air, la sexualité et les animaux (parmi lesquels les chats qu’il adore et sur lesquels il a beaucoup travaillé). Le Pr Jouvet conseille volontiers à chacun de faire comme lui (non pas à propos des chats mais concernant ses souvenirs nocturnes). Et plus encore que de coucher ses rêves par écrit sur le papier il conseille de les dessiner. Lui-même cherche aujourd’hui un éditeur qui voudra bien publier les dessins de ses songes.

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