Comment le sommeil travaille pour nous en toute discrétion

Dernière mise à jour 10/11/16 | Article
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Des spécialistes français de neurosciences ont découvert comment le sommeil parvient à consolider la mémoire. Des applications médicales sont désormais envisageables.

La clé de nos songes se trouve pour partie au sein de notre hippocampe, qui joue un rôle central dans de très nombreux domaines, dont la mémoire. C’est la mémoire qui suscite le plus d’intérêt des chercheurs en neurosciences et, plus encore, la mémoire associée aux innombrables activités cérébrales du sommeil.

Des chercheurs américains avaient, en 2014, expliqué de quelle manière le sommeil permettait de préserver et de reconstituer les capacités de nos neurones. Une équipe dirigée par Karim Benchenane, de l’École des neurosciences de Paris Île-de-France, vient pour sa part de mettre en lumière certains des mécanismes neuronaux grâce auxquels le sommeil peut consolider la mémoire. Quoique menée chez l’animal, cette approche pourrait ouvrir la voie vers de nouvelles et remarquables dimensions thérapeutiques.

Famille de neurones

Ces chercheurs français se sont penchés sur une famille de neurones présents au sein de l’hippocampe: des neurones découverts en 1978 par John O’Keffe, Prix Nobel 2014 de médecine. Karim Benchenane et ses collègues ont enregistré les activations de ces neurones parfois qualifiés de «cellules de lieu», eu égard aux changements de leurs caractéristiques en fonction, notamment, de la situation géographique de leur propriétaire. Différentes observations complémentaires sur ces mêmes cellules nerveuses devaient par ailleurs conduire le chercheur Gyorgy Buzsaki, de l’Université de New York, à proposer une nouvelle «théorie du sommeil». «D’après cette théorie, explique Karim Benchenane, les informations encodées par l’hippocampe pendant l’éveil sont rejouées pendant le sommeil: les neurones impliqués dans un apprentissage ou dans la formation de souvenirs se réactiveraient spontanément pendant le sommeil de façon à consolider les souvenirs, mais également à les transférer vers le cortex pour un stockage à long terme.»

Ces «réactivations» sont-elles vraiment utiles à la mémorisation? Ne sont-elles pas, au contraire, une forme de coquetterie neurologique sans impact véritable sur nos capacités mnésiques?

Souvenirs artificiels

C’est pour tenter de répondre à ces questions que le chercheur français a eu l’idée de supprimer ces réactivations afin de voir si elles étaient bénéfiques. Après quelques ajustements méthodologiques et plusieurs expériences, il est apparu que les rongeurs ainsi manipulés avaient, au réveil, des performances diminuées: ils ne se souvenaient plus de ce qu’ils avaient appris la veille.

La preuve obtenue n’était toutefois pas suffisante. Le chercheur a complété sa démonstration en créant des «souvenirs artificiels» au moyen d’une technique sophistiquée de stimulations électriques dans le circuit de récompense des rongeurs.

Croyance en une récompense

«Ainsi, chaque fois qu’une cellule de lieu se réactivait pendant le sommeil, une stimulation de récompense était envoyée, explique Karim Benchenane. Cette association permettait de créer artificiellement, pendant le sommeil, une préférence de l’animal pour le lieu correspondant. Et, au réveil, les souris se dirigeaient effectivement vers le lieu encodé par ce neurone. L’effet sur le comportement de l’animal était significatif: il passait davantage de temps dans le lieu associé au faux souvenir. Et il mettait moins de temps pour s’y rendre au réveil.» L’animal semblait réagir comme s’il avait la certitude de retrouver une récompense là où il n’y en avait jamais eu. Cette expérience spectaculaire est, aussi, lourde de conséquences: elle démontre qu’il est possible de créer des souvenirs explicites et bien concrets durant le sommeil. Il ne s’agit plus ici d’associer une odeur à une récompense ou de conditionnements simples du même type fondés sur un apprentissage ou une action réflexe a un stimulus sensoriel.

Cobayes humains?

«L’ensemble de ces observations indique qu’il est possible de changer la teneur émotionnelle d’un souvenir pendant le sommeil: le rendre plus positif ou potentiellement plus négatif. Une des applications possibles de notre étude est le développement de nouvelles thérapies pour soigner le stress post-traumatique», écrit Karim Benchenane dans La Recherche. Expérimenter chez l’homme? Cela nécessiterait des implants neuronaux invasifs, ce qui n’irait pas sans soulever quelques problèmes éthiques.

Ces problèmes pourraient toutefois trouver leurs solutions, comme le montrent des expériences déjà menées chez l’homme via la stimulation (a visée thérapeutique ou de recherche) de certaines zones cérébrales profondes. Pour leur part, les chercheurs français sont persuadés que, en approfondissant leurs connaissances sur les mécanismes fins mis en jeu durant notre sommeil, ils pourront maximiser concrètement les effets bénéfiques du sommeil dans la mémoire. Parmi leurs perspectives: «améliorer les performances des sportifs» ou «limiter les méfaits des maladies neurodégénératives».

Les neurosciences avancent donc à grands pas dans le décryptage de notre sommeil –une tâche à la fois vaste et passionnante. Car, en dépit de décennies d’efforts, l’un des plus grands mystères de la biologie est de savoir pourquoi le sommeil existe et pourquoi il est à la fois indispensable et réparateur. Ou encore, à l’inverse, pourquoi le manque de sommeil altère le fonctionnement de notre cerveau.

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Paru dans Générations, Hors-série «Tout savoir sur notre mémoire», Novembre 2016.

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