Prendre soin de sa mémoire aujourd’hui

Dernière mise à jour 22/01/18 | Article
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Les troubles de la mémoire affectent durement le quotidien de la personne concernée. Lorsqu’ils sont graves, la vie des proches est aussi touchée. Poser des diagnostics plus précoces, offrir des traitements ciblés, améliorer la prévention et avancer dans la recherche: ce sont les objectifs du nouveau Centre de la mémoire des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).

Elle est la gardienne du temps qui passe, elle est aussi la promesse de pouvoir vivre chaque jour en toute autonomie et d’envisager demain avec sérénité. La mémoire est profondément liée à notre identité. La préserver, la stimuler, s’en préoccuper à temps, mais aussi la soigner quand ses failles brouillent les cartes est essentiel à plus d’un titre. Sur le plan individuel bien sûr, mais aussi de manière plus globale en raison de l’impact qu’ont les troubles de la mémoire sur l’individu, sa famille, la société et le système de santé.

L’ouverture du nouveau Centre de la mémoire des HUG est une façon de répondre aux multiples défis posés par les troubles de la mémoire. «L’atout du Centre est d’offrir une approche médicale et scientifique très avancée, qui intègre dans la prise en charge une approche psycho-comportementale essentielle. Cela au sein d’une structure hospitalière multidisciplinaire et universitaire», explique le Pr Giovanni Frisoni, neurologue, spécialiste de la mémoire et responsable du Centre. «Il s’agit en effet de permettre aux patients d’avoir accès aux techniques diagnostiques de dernière génération, d’intégrer des projets de recherche et des essais cliniques pour tester de nouveaux médicaments et, enfin, de bénéficier de l’expertise de psychologues et de psychothérapeutes grâce à différents programmes de soutien», poursuit le spécialiste.

J’y pense et puis j’oublie

Immédiatement, lorsqu’un nom nous échappe, lorsqu’on perd ses clefs ou qu’on ne se souvient plus du titre d’un film, la peur de la maladie d’Alzheimer nous gagne. «Mais ces types d’oublis sont bénins et peuvent arriver à tous», rassure le Pr Gabriel Gold, médecin-chef du service de gériatrie. En revanche, se perdre dans la rue et ne plus savoir comment faire pour retrouver son chemin, se rende à un rendez-vous le mauvais jour, ramener de ses courses des produits qu’on a en nombre chez soi, ou encore avoir des problèmes pour gérer ses finances sont des situations inquiétantes. «Dans ce cas, il faut réagir et consulter son médecin traitant», préconise le Pr Gold.

L’heure des tests

Il arrive que les gens aient peur de consulter et repoussent ce moment, avec le risque que les choses s’aggravent. Or, les spécialistes insistent sur l’importance d’un diagnostic précoce, pour savoir si les problèmes de mémoire sont dus au vieillissement normal ou à une maladie (démences dont la maladie d’Alzheimer, troubles neurologiques, psychiatriques, vasculaires, etc.). «Il n’est pas facile de faire la part des choses entre un trouble de la mémoire et d’autres difficultés, de type psychiatrique par exemple, certaines pouvant même être associées», explique le Dr Frédéric Assal, responsable de l’unité de neuropsychologie et neurologie comportementale. Une série de tests permet de déterminer la cause, la nature et la sévérité des troubles.

Le bilan neuropsychologique

Témoignage

«Le plus dur, c’est le déni»

JANE, 76 ans

«Mon mari a 77 ans. En 2011, on lui a diagnostiqué la maladie d’Alzheimer. Le plus dur pour moi aujourd’hui est qu’il est dans le déni complet. Je vois Lara Fazio, responsable du programme de soutien aux familles, toutes les quatre à cinq semaines. C’est une aide énorme de pouvoir raconter ce qu’il se passe. Mon mari a perdu la notion du temps. Il me demande tout le temps si on va sortir, si on va aller faire les courses, une balade. La psychologue m’a conseillé de ne pas lui annoncer les événements trop à l’avance, mais peu avant de sortir. Il n’a rien pour occuper ses journées, et tout le poids tombe sur moi. Elle m’a orientée vers des structures comme le Centre ambulatoire de psychiatrie et de psychothérapie de l’âgé (CAPPA) et un foyer de jour pour me soulager.»

La prise en charge débute par un entretien avec un médecin (neurologue, psychiatre ou gériatre) qui recueille les plaintes du patient et procède à un examen clinique. Une première évaluation cognitive globale sert à situer les difficultés et à orienter le diagnostic. Généralement, l’entretien se déroule avec un proche. Dans un deuxième temps, un bilan neuropsychologique plus approfondi est réalisé afin d’objectiver les difficultés, mais aussi les capacités préservées. Le patient passe une série de tests psychométriques, adaptés en fonction de son âge, sa langue, son niveau de scolarité, etc. «Nous évaluons le système où se situe le déficit et les processus touchés», explique Christian Chicherio, neuropsychologue au Centre de la mémoire. L’ensemble des fonctions cognitives sont passées en revue: mémoire, attention, langage, habiletés gestuelles, reconnaissance des objets ou des lieux familiers, capacité à s’orienter, organisation et planification des tâches, etc. Le contexte (attentes, émotions, etc.) dans lequel s’inscrit la consultation est également pris en compte.

Et ensuite?

Dans 40% des cas, malgré les plaintes subjectives exprimées, les tests ne révèlent aucune difficulté objective. Ces patients sont revus et ont la possibilité de participer à des programmes de recherche (lire plus loin) pour connaître leur risque de développer une démence (ou trouble cognitif majeur) dans le futur, grâce à des examens d’imagerie, du liquide céphalorachidien, ou génétiques. Si, en revanche, les tests sont clairement anormaux, alors les investigations se poursuivent. Les médecins disposent désormais de toute une palette d’examens hautement technologiques pour rechercher l’origine des troubles et visualiser les éventuelles lésions dans le cerveau. «Certains examens ne sont pas pris en charge par l’assurance maladie. Grâce au Centre, les patients y ont toutefois accès via la recherche. C’est le cas de l’analyse de bio-marqueurs dans le liquide céphalorachidien et de la détection de la protéine Tau et des plaques d’amyloïde qui peuvent indiquer une maladie d’Alzheimer», explique le Dr Assal.

Dans environ 25% des cas, un diagnostic de démence tombe. Mais les choses sont parfois moins claires. Comme lorsque la personne ne rencontre pas de grands problèmes dans la vie courante, mais que ses tests révèlent une diminution de ses capacités cognitives. Dans ce cas, le diagnostic de démence ne peut pas être posé. On cherche alors à écarter d’autres causes, psychiatriques notamment. Pour environ 35% des patients, on conclut à un «déficit cognitif léger». Celui-ci peut entraîner des difficultés subtiles au quotidien, notamment dans l’aptitude à s’organiser, à assumer de nouvelles tâches, à être efficace, à gérer les finances, à prendre des décisions, sans toutefois que l’autonomie du patient soit compromise. Ces symptômes peuvent affecter l’humeur, les interactions sociales et la confiance en soi. Une prise en charge adaptée est proposée à ces patients, qui sont par ailleurs plus à risque de développer une démence dans le futur.

Une prise en charge personnalisée et pluridisciplinaire

Selon les résultats, l’annonce du diagnostic peut être particulièrement éprouvante. «C’est l’un des moments les plus durs», confirme le Pr Frisoni. Un soutien avec des psychologues et psychothérapeutes spécialisés est proposé pour aider les patients à «métaboliser la nouvelle», selon les mots du Dr Assal.

La suite de la prise en charge dépend du diagnostic, mais elle est multidisciplinaire et individualisée, avec une attention portée sur le vécu des troubles, puisque leur retentissement sur le bien-être et la qualité de vie sont majeurs. En plus du soutien psychologique, des thérapies de réhabilitation cognitive (groupes mémoire) et de psychoéducation existent pour apprendre aux personnes à comprendre la maladie, à l’accepter, et à développer des stratégies pour mieux utiliser les habilités de mémoire. Les proches ne sont d’ailleurs pas oubliés (lire encadré). «Ce sont des maladies qu’on ne voit pas. Peu à peu, la personne change. Le proche doit apprendre à évoluer et modifier son rapport à l’autre», confirme le Pr Frisoni.

Pour ce qui est des traitements pharmacologiques, les médicaments actuels améliorent les performances cognitives et l’attention, mais leur efficacité est limitée dans le temps. D’autres substances peuvent être prescrites contre les troubles de l’humeur (tristesse, idées noires) et du comportement (irritabilité, insomnie, agressivité).

Les espoirs

Si les armes thérapeutiques pour freiner ou arrêter la progression des troubles cognitifs et de la maladie d’Alzheimer manquent aujourd’hui, la recherche est quant à elle très active et les connaissances progressent vite. Les études portant sur l’immunothérapie sont les plus prometteuses et des premières réponses sont attendues d’ici 2020. Le principe consiste à «nettoyer» le cerveau des plaques d’amyloïdes –qui s’accumulent chez les malades d’Alzheimer– en injectant des anticorps et en provoquant une réponse immunitaire. D’autres études se penchent sur les processus responsables de la mort accélérée des neurones, à l’origine des symptômes.

Le Centre de la mémoire des HUG, en alliant la clinique et la recherche ainsi que la collecte de données scientifiques, se positionne clairement dans cette lutte. Un accent fort est également mis sur la prévention. Les patients qui se plaignent de leur mémoire, mais dont les tests sont normaux, peuvent intégrer des essais cliniques préventifs. De même, les personnes qui n’ont pas encore de symptômes, mais dont les examens ont montré la présence de marqueurs biologiques. Pour le Pr Frisoni, le chemin est pris: «Dans 10 ou 15 ans, ces programmes de prévention, s’ils démontrent leur efficacité, entreront dans la pratique clinique. Leur but étant d’empêcher la survenue de la maladie ou freiner sa progression.»

Deux idées reçues sur Alzheimer

1. La maladie d’Alzheimer atteint principalement la mémoire.

Faux. La maladie d’Alzheimer est une maladie évolutive qui attaque la mémoire épisodique, mais elle peut aussi s’accompagner de troubles du comportement et de l’humeur, du langage, de difficultés motrices et de reconnaissance des objets ou de la capacité à faire des mouvements. Ces troubles sont à l’origine d’une perte d’autonomie toujours plus grande et d’une souffrance psychique.

2. C’est une façon de vieillir normalement.

Faux. La maladie d’Alzheimer a été reconnue officiellement comme étant un type de démence et non comme un signe du vieillissement normal. Si on n’en comprend pas encore tous les mécanismes, on pense qu’elle est due à l’accumulation de la protéine Tau et au dépôt de plaques d’amyloïde qui provoquent des lésions dans certaines zones du cerveau et entraînent la mort des neurones.

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Article repris du site  pulsations.swiss

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