Notre société face à un «tsunami gris»

Dernière mise à jour 21/04/15 | Article
Notre société face à un «tsunami gris»
Le vieillissement des baby-boomers, un véritable «tsunami gris», questionne de plein fouet notre système de santé. Comment prendre en charge cette vague de personnes âgées et leurs besoins en matière de soins? Les réponses de la Dresse Stéfanie Monod, cheffe du Service de la santé publique du canton de Vaud.

La situation actuelle est sans précédent. On assiste à deux phénomènes croisés. D’un côté, le vieillissement des baby boomers (les personnes nées entre 1945 et 1970), les plus âgés d’entre eux étant déjà à la retraite alors que les plus jeunes le seront en 2035. De l’autre, l’espérance de vie qui s’allonge: elle est aujourd’hui de 80,5 ans pour les hommes et de 84,8 pour les femmes, mais pourrait, d’ici 40 ans, atteindre les 90 ans pour ces dernières.

En 2040, l’effectif des plus de 80 ans aura augmenté de 120%! «Si notre système de santé ne se remet pas en question et n’est pas réformé en profondeur, nous ferons face à une situation très difficile d’ici 20 à 30 ans. C’est certain. Car on ne sera pas en mesure de répondre aux besoins des générations de demain. Le système fonctionne déjà à flux tendu et il va falloir répondre à des besoins complexes, en particulier pour les patients très âgés», résume la Dresse Stéfanie Monod. Gériatre, elle est la nouvelle cheffe du Service de la santé publique du canton de Vaud qui fait œuvre de pionnier dans ce domaine.

Etat des lieux

Le vieillissement démographique pose en effet de nombreux défis.

L’avancée en âge des baby boomers va notamment créer une indéniable pression sur les ressources du système sanitaire. On vit plus longtemps, et dans l’ensemble mieux, mais aujourd’hui déjà, une grande partie des soins est consacrée aux seniors. «En termes de restructuration, l’un des secteurs les plus concernés par le vieillissement est l’hôpital. Dans les services de médecine du Centre hospitalier universitaire vaudois et des hôpitaux régionaux, 70% des patients ont plus de 65 ans et 40% ont plus de 80 ans! Or les hôpitaux ont été conçus pour traiter des maladies aiguës chez des personnes jeunes et non des pathologies chroniques invalidantes chez des personnes âgées», souligne la Dresse Monod.

Le pourcentage de situations simples diminue, l’hôpital doit s’adapter à une population qui présente plusieurs pathologies dans un système de santé et dans des infrastructures qui ne sont pas prévus pour cela. «Il existe une bonne pratique face à chaque maladie, mais pas face au cumul de plusieurs maladies chroniques. L’absurdité du système actuel, c’est que si l’on suit tous les guides de bonne pratique, on peut arriver à des prescriptions inappropriées et surtout à engendrer une poly-pharmacie délétère pour le patient», relève la cheffe de service.

A l’heure actuelle, l’état finance les hôpitaux, les soins à domicile et les EMS, qui ont chacun leur propre défi. «Le problème, c’est que tout est cloisonné. Nous devons créer un système qui colle aux besoins de l’individu», déclare la spécialiste. La première conséquence concrète de cette autre manière de voir les choses a été le décloisonnement de son propre service pour «favoriser la communication transversale».

«Il s’agit de changer de vision et de passer de la juxtaposition des prestations actuelles à l’intégration des soins, autrement dit, une organisation des soins qui soit centrée sur le patient. Le financement est dès lors lié à la coordination autour du patient, en fonction de ses besoins en soins, et non à l’institution. Ce ne devrait plus être le type d’établissement qui dicte le type de soins».

Etablir une continuité

Actuellement, il n’existe pas de continuité entre les différentes institutions qui prennent en charge les personnes âgées. Lorsqu’un patient suivi par un médecin doit être hospitalisé, les informations ne suivent pas toujours. A moins que le patient ne puisse expliquer lui-même sa situation, l’équipe hospitalière doit souvent recommencer les examens à zéro. Chaque changement représente une rupture majeure dans les soins apportés. A cela s’ajoute le fait que les différentes entités n’ont pas la même vision et ne partagent pas le même langage en matière d’évaluation du patient et de ses troubles. «C’est comme un orchestre composé d’un quatuor de musiciens à qui on ne donne pas de partition commune…», commente la doctoresse.

«L’un des premiers axes de changement va consister à réunir tous les partenaires, c’est-à-dire les hôpitaux, les réseaux de soins à domicile, les EMS ainsi que les médecins – puisque le système doit partir d’eux –, et à instaurer un langage commun à tous pour servir la continuité».

Rendre le patient plus autonome

Autre axe majeur: renforcer la prévention des maladies chroniques et promouvoir l’idée que chacun est acteur de sa santé. «Il est temps aussi de développer des programmes de prévention à large échelle. La Suisse consacre peu à la prévention spécifique aux personnes âgées, notamment pour ce qui est de l’activité physique et de la mobilité ou encore dans le but de limiter l’usage immodéré de certains médicaments. Il est pourtant urgent d’améliorer leur qualité de vie et de réduire le temps passé en dépendance». La possibilité pour les patients d’avoir accès à leur dossier médical grâce au transfert électronique des données sera aussi une manière de renforcer leur autonomisation.

Changer notre regard sur l’âge

Si le terme de «tsunami» est forcément associé à l’idée d’une catastrophe majeure, la cheffe du service de santé vaudois préfère considérer ce défi sociétal inédit comme une opportunité de revoir notre vision des personnes âgées et de réfléchir à la manière dont la médecine a évolué et à ses dérives.

«Le vieillissement de la population force à se reposer les bonnes questions, pas seulement en termes sanitaires mais aussi en matière de sens et de valeurs. C’est une occasion de re-questionner la dimension humaniste de la médecine que la médecine technologique a contribué à déshumaniser. Il faut toujours garder en tête cette question: “Cette mesure et cette avancée technologique sont-elles justifiées parce qu’elles améliorent la survie et la qualité de vie des patients?” Il s’agira de proposer une médecine humaniste qui tienne compte des besoins mais aussi des souhaits des personnes qui font face à la maladie.»

Le canton de Vaud fait office de pionnier, mais anticiper les effets du vieillissement démographique doit faire partie des préoccupations de tous les responsables de santé publique. «Si rien ne change, le risque est une diminution de l’accès aux soins et de leur qualité, donc une inégalité sociale avec une médecine à trois ou quatre vitesses. La qualité des soins de base, en Suisse, est bonne et il s’agit de la préserver et de l’optimiser. Mais on peut faire mieux par rapport aux personnes âgées qui ont développé plusieurs maladies chroniques».

Monde: la durée de vie s’allonge

On vit toujours plus vieux, non seulement dans les pays occidentaux mais aussi dans ceux dits en développement. C’est la principale conclusion d’une étude sur «La charge mondiale des maladies», publiée dans la revue médicale britannique The Lancet en décembre 2014.

Entre 1990 et 2013, l’espérance de vie mondiale a progressé d’un peu plus de six ans, passant de 65,3 à 71,5 ans (femmes: 74,3 ans, soit 6,6 ans de plus; hommes: 68,8 ans, soit 5,8 ans de plus). La longévité s’est particulièrement accrue dans une dizaine de pays en développement tels que le Népal, le Rwanda, l’Ethiopie ou l’Iran qui ont gagné plus de douze ans. Seul le sud du continent africain fait exception, le sida amputant l’espérance de vie de cinq ans en moyenne.

Dans les pays développés, la mort intervient de plus en plus tard grâce au recul de certaines maladies chroniques (la plupart des cancers ont diminué de 15% et les maladies cardio-vasculaires de 22% en 23 ans) et, dans les pays en développement, grâce au recul des maladies infectieuses. La mortalité infantile a quasiment été divisée par deux, passant de 7,6 millions d’enfants de moins de 5 ans décédés en 1990 à 3,7 millions en 2013.

Ce bilan positif masque toutefois une autre réalité: comme en 1990, les principales causes de mort prématurée sont l’infarctus et l’AVC, mais aussi la maladie d’Alzheimer (dont la mortalité a doublé en 23 ans), les cancers du poumon (+ 49%) et les diabètes (+ 70%). L’étude souligne que la progression de ces pathologies s’explique par le vieillissement de la population et par les conditions de vie: tabagisme et alcoolisme, hypertension artérielle, cholestérolémie, sédentarité et alimentation mal équilibrée.

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