Les défenses immunitaires, nouvelle arme contre le cancer

Dernière mise à jour 24/01/18 | Questions/Réponses
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L’immunothérapie, qui a révolutionné la lutte contre le mélanome et le cancer du poumon, est maintenant utilisée pour traiter diverses tumeurs.

Bio express

1972 Naissance à Lausanne.

1998 Diplôme de médecine à l’Université de Lausanne (UNIL).

2002 Doctorat de biologie et de médecine sur la résistance du VIH aux médicaments.

2016 Nommée cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV.

2016 Professeure associée d’oncologie thoracique à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL.

2020 Présidera la Société européenne d’oncologie médicale (ESMO).

Comment fonctionne ce nouveau mode de traitement? Quelles sont ses promesses et ses limites? Le point avec la Pre Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). 

Alors que votre thèse de doctorat portait sur le VIH, vous vous êtes très vite tournée vers l’oncologie. Diriez-vous: sida, cancer, même combat?

Ces maladies ont en effet plusieurs points communs. D’abord, même si le sida est aujourd’hui bien contrôlé et que la lutte contre le cancer progresse, la guérison reste un défi. Dans les deux domaines, la recherche est donc active et elle fait partie intégrante de ces spécialités médicales. Dans ces deux branches, il y a aussi la notion d’urgence. Quand j’ai travaillé sur le sida, on ne disposait pas encore des trithérapies et j’ai vécu l’émergence d’une maladie dans laquelle la recherche foisonnait. Quand je me suis intéressée aux cancers, j’ai trouvé la même situation d’urgence qui active les collaborations et crée des idées. Enfin, dans les deux cas, la relation aux patients est unique. 

La lutte anti-cancéreuse connaît actuellement un bouleversement avec l’arrivée de l’immunothérapie. Comment est née cette technique?

Tout vient d’une question que l’on se posait déjà il y a plusieurs décennies: pourquoi notre corps accepte-t-il la présence d’une tumeur? Les cellules cancéreuses sont très différentes, sur le plan morphologique, génétique et métabolique, des cellules saines.

Le système immunitaire –en particulier ses lymphocytes, un type de globules blancs– devrait donc les éliminer, comme il le fait avec les bactéries et les virus. En fait, il en détruit tous les jours quelques-unes, mais parfois, il n’y parvient pas. Comment les cellules tumorales échappent-elles à nos défenses? C’est à partir de cette question qu’est née l’immunothérapie. 

Et quelles réponses a-t-on apportées?

On a constaté que, quand elles sont attaquées par le système immunitaire, certaines cellules tumorales développent un mécanisme de défense contre lui. Elles mettent à leur surface des protéines auxquelles des composants des globules blancs se fixent. Et c’est là qu’elles méritent leur nom de malignes: elles les «débranchent» ou les font mourir. L’immunothérapie vise donc à empêcher les protéines tumorales de «parler» à leur contrepartie sur les globules blancs. 

C’est donc très différent de la chimiothérapie?

Les médicaments de la chimiothérapie bloquent la multiplication des cellules cancéreuses, mais aussi celle des cellules saines. L’immunothérapie utilise des anticorps qui se collent soit sur la protéine tumorale, soit sur sa contrepartie située sur le globule blanc, afin que les deux types de cellules ne puissent plus interagir. Le globule blanc peut donc faire son travail, recruter des congénères et lever une armée qui va s’attaquer à la tumeur. 

Cette méthode a d’abord été appliquée au traitement du mélanome et du cancer du poumon. Et maintenant, où en est-on?

On l’utilise par exemple pour les cancers du rein, de la vessie, de la tête et du cou, ainsi que pour des tumeurs plus rares: le cancer de Merkel (une tumeur de la peau) et la maladie de Hodgkin (qui touche le système lymphatique). En revanche, elle est peu efficace pour les cancers du sein, du côlon et de la prostate, qui font sans doute intervenir d’autres mécanismes «de tolérance immunitaire» que celui dont je vous ai parlé.

Tous les patients y sont-ils réceptifs?

Non. Comme la chimiothérapie, l’immunothérapie est efficace chez certaines personnes seulement: 20% des cancers du poumon ainsi traités régressent, 40 % sont stabilisés, mais 40% continuent à progresser. 

Dans ce cas, quel est son intérêt?

D’abord, sa toxicité est bien moindre. Mais surtout, lorsqu’il y a une réponse, elle est de plus longue durée. Lorsqu’un cancer du poumon métastatique est traité avec les méthodes traditionnelles, le taux de survie à cinq ans est nul, alors qu’il est de 15%, voire 20%, pour l’immunothérapie. 

Peut-on dire qu’ils sont guéris?

On aurait envie d’y croire, mais il faut s’accorder plus de temps pour le dire. Mais déjà, certaines personnes peuvent arrêter le traitement et leur système immunitaire continue à fonctionner. Elles peuvent être réinsérées dans la société et leur qualité de vie peut parfois rejoindre celle de personnes qui n’ont pas eu de cancer. 

Reste que le coût du traitement est très élevé: environ 150’000 francs par an et par patient.

Oui, mais si l’on tient compte du fait que certaines personnes peuvent retravailler, elles coûtent finalement moins cher à notre société. 

Avec la généralisation de l’immunothérapie, cela ne risque-t-il pas quand même de poser des problèmes?

C’est vrai. En tant que médecins, nous devons faire bénéficier nos patients de ces médicaments et, en Suisse, on peut encore le faire. Mais ce n’est pas le cas dans des pays proches et à l’échelle régionale, il y a une iniquité dans les traitements. Il faut donc se préoccuper du problème, afin de ne pas aboutir à une médecine à plusieurs vitesses. 

Que peut-on faire?

Il faut réfléchir, au niveau suisse mais surtout européen, à la manière de faire régner la transparence dans les prix des médicaments. Leur fabrication doit bien sûr rester rentable pour les entreprises pharmaceutiques et leurs actionnaires, mais ceux-ci doivent faire des calculs au long cours. Si, lors des quinze prochaines années, leur médicament est prescrit pour dix ou quinze indications partout dans le monde, leurs bénéfices ne seront-ils pas plus grands que si le même médicament n’est utilisé que pour une indication, et uniquement en Suisse, qui a les moyens de le rembourser? A terme, je pense que l’iniquité risque de coûter cher aux entreprises. En outre, celles-ci doivent prendre en compte le fait qu’elles fournissent des soins. Je suis peut-être utopiste, mais je pense qu’il faut essayer de les convaincre politiquement.

La recherche sur le cancer du poumon

Seuls 20% des patients avec un cancer pulmonaire voient leur tumeur régresser sous immunothérapie. La Pre Solange Peters et ses collègues du groupe collaboratif ETOP (Plateforme européenne d’oncologie thoracique) tentent d’identifier les facteurs qui prédisent cette réponse dans le cancer du poumon et le mésothéliome (lié à l’amiante).

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Paru dans Le Matin Dimanche le 14/01/2018.

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